Hildegarde

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Un instant est suspendu dans le temps, comme s'il durerait éternellement. Ma tête était si légère, plus aucune douleur ne me traversait en cet instant. Les horreurs s'étaient envolées. Mon regard se posait sur mon corps. Mon corps est si beau, j'ai toujours été un peu narcissique, mais mes formes d'elfe ne m'avaient pas paru aussi belles depuis longtemps.

Quatre personnes qui ne se connaissaient pas, Quatre destinées croisées, un seul chemin final. La bascule de nos avenirs se jouait simplement au fait d'arriver simultanément devant le portail d'entrée. Rien n'avait poussé à l'heure de nos arrivées individuelles et pourtant, c'était la même. Un elfe, un mage noir et deux humains. On dirait le début d'une blague et en y repensant, si une autorité divine existe, c'était probablement une de ses blagues. Nous étions ainsi réunis par le hasard et poussés par les coïncidences à poursuivre notre aventure ensemble. Notre objectif était désormais face à nous, un immense labyrinthe. La cohésion était plutôt bonne dans l'équipe, je me sentais bien entourée et protégée. Shio était une guerrière, elle ouvrait la marche et j'espérais sincèrement qu'elle soit mon meilleur bouclier de protection. Hans, un type agile avait grimpé au-dessus du mur du labyrinthe pour nous prévenir des dangers venant au loin. On en a d'ailleurs vu venir plus d'un, ce lieu regorgeait décidément de créatures plus étranges les unes que les autres. On était bien préparé à les recevoir, j'aime à penser que ma magie a fait la majorité du travail.

Trois heures plus tard ou était-ce trois minutes, ce combat me parut une éternité. Un bras, c'est ce qu'a perdu Shio à notre premier ennemi. Elle ne l'avait techniquement pas perdu, mais, je mentirais si je disais qu'elle aurait pu s'en servir de nouveau un jour. L'avant-bras pendouillait chaotiquement au bout du reste de celui-ci tenant à quelques bouts de chair et des espoirs de guérison qui ne seront jamais concrétisés. Ma peur grandissait au vu de la blessure, mais je ne devais pas me déconcentrer, le lieu était trop dangereux. Mara, notre mage restait assez paisiblement derrière sans pour autant être inefficace. À la vue du bras de Shio, j'avais l'impression de ressentir une douleur aussi forte que la sienne au même endroit, impression si forte que j'en souffrais réellement. La douleur et la fatigue s'accumulaient petit à petit en moi alors que l'atmosphère lugubre nous disait qu'il était impératif d'avancer. Il y avait des monstres bien étranges dans ce dédale. Maintenant que j'y pense, ils n'étaient pas notre plus gros problème, on avait beau être talentueux dans nos défenses, le labyrinthe se jouait de nous. C'est ainsi que sans prévenir, je vis des morceaux de chair éclater sur une longue distance provoquant une éruption sanguinaire tandis que le corps de Mara se retrouvait véritablement scindé en deux parties. Son corps s'étalant au sol comme un gruyère se déplace sur une rappe à fromage. J'aurais pu pleurer, mais voir cet homme se faire transpercer par un carreau de baliste m'a pétrifié dans mon dégoût et ma peur saupoudré par la surprise. Il était vivant un instant auparavant et sans prévenir le labyrinthe l'avait tué. Il était piégé, non pire, nous étions piégés à l'intérieur. Après le bras de Shio et la vie de Mara, je craignais d'être la prochaine. J'ai trop de choses à perdre, je veux sortir d'ici. Je ne pouvais plus tenir, la fatigue, la douleur, la peur, je devais me reposer. Je ne sais même pas s'il faisait nuit, je me souviens seulement de Shio qui me réconforte. À notre réveil, Hans avait disparu, je n'ai jamais su s'il avait jugé préférable de fuir et de nous abandonner à notre sort ou si lui aussi avait été avalé par le labyrinthe.

Deux sur quatre, la moitié de l'équipe étaient évaporée mais le sang teintait durablement le sol poussiéreux. Je redoutais la suite. On marcha à deux, côte à côte. On allait s'en sortir, on devait s'en sortir. Peu m'importe de gagner de l'argent pour ceci, je veux seulement sortir. On peut le faire, me disais-je. Shio avait un regard déterminé, elle aussi en était convaincue, nous irons jusqu'à la sortie, elle était peut-être plus proche que nous ne le pensions. C'est à ce moment précis qu'un petit déclic de mécanisme se fit entendre, je perçus le changement d'expression immédiat du visage de Shio alors qu'en une fraction de seconde elle se retrouva épinglée au mur si fort qu'elle explosa en pièces comme un ballon qu'on viendrait mettre en contact avec une aiguille. J'affichais un visage déconfit qui vient d'ailleurs d'être recouvert de morceaux difformes et méconnaissables de Shio. Mes yeux sont noyés dans un océan lacrymal, je ne vois plus ou je marche, mais je marche. J'avance tel un mort-vivant. L'horreur à puiser ma vitalité et mes espoirs, je suis un arbre dont la sève à séché. La douleur de mon bras ressurgit. J'avance machinalement. On pourrait dire que c'est à ce moment-là que je suis morte et pourtant ma vie physique continue et je m'y attache. Je tourne pour la énième fois dans ce labyrinthe. Ce labyrinthe qui me terrifie au point que j'ai plus l'impression que c'est le labyrinthe qui est en moi. Et c'est là que je l'ai vu. C'est lui qui allait me tuer. Un immense colosse, il n'avait pas la tête d'un taureau mais il sera mon minotaure. Je n'ai aucune chance de réchapper à ce combat. Mon esprit n'a rien décidé et pourtant mon corps s'est mis à fuir. Je cours, je cours... je jette un regard de désespoir derrière moi. C'était sûr, il serait derrière moi prêt à me déchirer à mains nues et pourtant c'est un couloir vide qui se présenta à mon regard. Mon pied s'enfonça légèrement, je perçus du coin de l'œil le mur s'ouvrir, encore un piège avec lequel le labyrinthe se joue de nous.

Un instant est suspendu dans le temps, comme s'il durerait éternellement. Ma tête était si légère, plus aucune douleur ne me traversait en cet instant. Les horreurs s'étaient envolées. Mon regard se posait sur mon corps alors que j'allais fermer les yeux pour la dernière fois. Mon corps est si beau, j'ai toujours été un peu narcissique, mais mes formes d'elfe ne m'avaient pas paru aussi belles depuis longtemps. Mes petits pieds aux pas gracieux, mes hanches marquées sans plonger dans la vulgarité, mon petit ventre mignon, ma poitrine généreuse qui fait ma fierté et mon regard remonte ultimement vers le tronc de mon coup tranché dégoulinant d'une marée rouge tandis qu'au contact du sol mes yeux se ferment définitivement et closent cet instant suspendu qui m'aura duré une petite éternité.

Nul ne réchappe au labyrinthe, nos destins se sont tout simplement croisés pour se clôturer dans la mort.

Un instant suspendu dans le tempsWhere stories live. Discover now