Et à présent, je dois m'éloigner. Fuir loin d'ici, loin de toi, mon amour. Toi, qui épousais mes larmes dans tes bras, lorsque les miens ne pouvaient plus me porter. Toi, qui gardais le silence pour écouter la mélancolie du mien lorsque je n'étais que l'ombre de moi-même. Toi, qui a eu pour moi toute la foi du monde durant la tempête ; les dieux eux-mêmes ont dû envier ton dévouement éperdu. Bouclier de mon cœur contre la rage du monde.
Yibo.
Je me relève, le corps mou et les bras ballants, mais ma main reste bien serrée, elle, renfermant l'un des bijoux en argent qui nous liait vraiment, sans qu'aucun ne le sache. Unis sous les yeux de ceux qui nous adulaient et pensaient voir une idylle sans en percevoir les précipices. Et comment l'auraient-ils pu, derrière les sourires et les silences révérencieux qui nous étaient imposés.
Di Di.
Mon esprit s'imprègne de ta voix, déjà trop lointaine ; ma poitrine s'alourdit d'un poids invisible. Je sors mon téléphone de ma poche de jogging et décide d'immortaliser cet instant pour une raison qui m'est inconnue. Peut-être pour garder en mémoire ce moment où j'aurai perdu pied – que sais-je, moi, de ce genre de folie ?
Sur mon écran se fige un soleil de feu, embrassant le fil d'or de la mer.
Toi, que fais-tu ? Et que feras-tu d'ici peu, lorsque j'aurai pris le large ? Seras-tu devant ton téléviseur avec celle qu'ils te contraignent à chérir depuis trois ans, en train de suivre les conflits qui ébranlent notre population ? de contempler les désastres en chaîne, la violence qui s'abat sur ceux qui luttent pour leurs libertés et s'opposent à la force ? Comment pourrai-je, moi, continuer à rester de marbre ? Leur haine m'aura tout pris, aujourd'hui, j'ai tout perdu. Je t'en prie, ne me juge pas.
Je range mon téléphone et fais quelques pas lents sur le quai pour me rapprocher de l'entrée du bateau. Quand seulement reviendrai-je... ?
Ce cliché sera le dernier avant longtemps, en ces lieux. Dans ce pays qui aura épuisé mes ressources, nous aura brisés comme il a brisé tant d'amours et bafoué tant de droits. Mais finalement, nous le savions. Ne sommes-nous pas responsables de notre malheur ? – c'est bien ce qu'ils nous répétaient sans cesse. Nous connaissions l'illusion que toi et moi serions. Dès le début, il n'y avait qu'elle, cette absence de nous.
A l'approche du vigile que j'ai déjà rencontré (et soudoyé), je réajuste mon masque noir sur le nez et, dès que j'ai à nouveau présenté mes papiers, m'en vais rejoindre mon sac de voyage en cabine. Lorsque je monte sur le ponton mobile, que je quitte le sol chinois, quelque chose en moi se déchire. J'ai officiellement baissé les bras. Je t'abandonne. Mais je m'abandonne, moi aussi. J'oublie ma vie pour ne plus faire semblant, juste un temps. Pour écarter celui que je suis devenu, celui qui porte un autre reflet de lui-même à force de courir entre les flammes.
Sur mon passage, malgré la foule qui se brasse à l'intérieur du hall, mon regard ne s'arrête sur aucun autre être humain. Je n'en ai aucune envie. La solitude est ma seule amie. Sous ma casquette noire, mes lunettes de soleil et mon masque, dans ces habits ordinaires, tous ignorent ma fuite. Être transparent. Connaître la paix. C'est tout ce à quoi j'aspire, désormais. Penseras-tu que j'agis en lâche ? Vois, les ruines qu'ils ont jonchées sur nos chemins à tous, la destruction de nos espoirs. Nous n'avons qu'une vie, j'en ai pris conscience. Nos couleurs se sont échouées sur les rivages de leur violence.
Je laisse tomber mon cuir marron sur le lit de mon humble petite cabine puis monte à la proue, errer en bout de pont en quête d'un peu de silence ; la brise marine saura garder la foule à l'abri. A l'inverse de toutes les tenues d'automnes que je rencontre, je ne suis vêtu que d'un t-shirt blanc, l'un des tiens ; le dernier que j'aurai gardé. Peu m'importe la fraîcheur. Mon cœur ne risque plus de prendre froid.
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Nos couleurs (𝑦𝑖𝑧ℎ𝑎𝑛)
FanfictionDerrière les sourires des plus grands se cachent les cœurs les plus lourds. 2026, Chine. Deux hommes célèbres et leur amour interdit, malmenés par une société répressive. Le passé n'est que ruines, le présent chaos. L'avenir ne tient plus qu'à un fi...
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