Nadin Pellezac avait toujours aimé le monde, célébré ses diversité et ses plaisirs. Un exemple de curiosité et de bienveillance dont l'Epistel aurait parfois du s'inspirer.

Cette grande réception n'avait pas réellement de motif. Les plus sérieux disaient qu'il s'agissait de célébrer la confiance du Conseil envers son ministre. Qu'il était bien rare de voir pour vingt ans consécutif le même individu porter un titre aussi prestigieux. Que cela était une preuve à la fois de dévotion à la cause qu'il défendait, des services qu'il rendait à la cité, et de son ingéniosité politique pour parvenir à, encore aujourd'hui, s'attirer les sympathies des grandes familles qui siégeaient au Conseil... Mais en vérité le succès de Nadin n'était une surprise pour personne et bien au contraire, le voir destitué aurait causé plus de trouble dans la cité qu'autre chose. Croyez moi.

S'il était une chose qu'il fallait craindre en ce monde, surtout lorsque l'on parle de politique ou de responsabilité aussi importante que celles de l'Ephèdre, c'étaient les individus qui savaient se rendre indispensable. Jamais Kaztel n'avait connu de paix plus grande que depuis l'arrivée de Nadin, après la sanglante guerre contre l'Empire il y a plus d'un siècle les catastrophes s'étaient enchainées les unes après les autres jusqu'à la terrible Peste Ephialte il y a vingt ans. Après la mort de l'Ephèdre précédente, l'incertitude et le doute s'étaient emparé de la population comme du Conseil. Nadin n'était rien d'autre qu'un disciple du Temple parmi tant d'autres à cette époque mais une fois nommé, chaque année fut meilleure que la précédente.

Les Aïons regardaient enfin Kaztel avec bienveillance, les rêves se faisaient plus nombreux que les cauchemars et bientôt la Cité d'Or avait retrouvé son éclat d'antan. Les marchands venaient enfin de nouveau vendre leurs biens sur les grandes places, les routes avaient été reconstruites et les émissaires de tous les royaumes étaient venus rendre leur hommage à la Cité au centre du monde. Les quartiers désolés et insalubres avaient été entièrement reconstruit pour accueillir la population croissantes à tel point que de nouveaux murs avaient été construit, un nouveau cercle, bien plus grand que les précédents, s'était ajouté à la cité.

Aujourd'hui Kaztel continuait de grandir, guidé par le Conseil et ses cinq ministres, l'Alyside, le Nomismar, le Zygon, l'Epistel et l'Ephedre, mais tout le monde accordait la plus grande importance au dernier. Ce qui est bien naturel, croyez moi.

Mais la politique n'était pas ce qui nous intéressait ce soir, pas plus qu'elle n'intéressait notre hôte... Non, s'il y avait bien une chose que le ministre Pellezac appréciait, plus que l'art, plus que la gastronomie ou la musique, c'était les gens. Découvrir de nouveaux visages, échanger quelques mots avec de parfaits inconnus, apprendre à briser la glace et poser les premières pierres du pont de la confiance, visiter des passions, des idées, des futurs et des passés. Plus que le monde, ce que Nadin aimait était ses habitants. C'était pour eux que depuis vingt ans il veillait à l'équilibre entre Kaztel et l'Oneiranthe et c'était pour eux qu'il avait organisé cette soirée, pour leur divertissement et grâce à leur présence, le sien.

Entre les bourgeois avides de reconnaissance, les nobles en quête de partenaires commerciaux, les administrateurs à la solde des différents ministres, les émissaires de passage et les membres des familles du Conseils, quelques visages se distinguaient. Quelques visages qu'il suivait du regard, tel un curieux devant un aquarium de la plus haute qualité.

Un homme approchant la trentaine, habillé de précieux vêtements aux marques d'usure habilement camouflés par ses histoires si fascinante que personne ne semblait faire attention aux colliers qui disparaissaient et aux bagues qui quittaient subrepticement leurs mains.

Une jeune femme au potentiel de perle rare mais qui se trouvait voutée, le dos accablée par la fatigue, les yeux cernés, son expression figée dans un mélange d'usure et d'irritation, présente malgré elle à cette soirée qu'elle préfèrerait fuir pour retrouver le calme d'une étude ou d'un jardin particulier.

Une silhouette dissimulée dans l'ombre du jardin et des convives, pas plus grande que celle d'un enfant, la main avide et précipitée. Un audacieux enfant des quartiers les plus éloignés à la recherche d'un repas ou de quelques pièces dans un lieux qui ne l'avait pas invité.

Une dame, élégante, une coupe de champagne à la main, prise dans une discussion entre deux messires prêts à tout pour accaparer son attention. Souriante, peut être un peu gêné, elle ne laissait apparaitre son vrai sourire qu'une fois le verre à ses lèvres, tirant sans difficultés les ficelles de ces pantins avec un mots, une questions, une réaction ou un simple regard.

Nadin avait toujours eut l'œil vif et la perspicacité nécessaire pour voir ce genre de chose, et pourtant il n'y ferait rien. Les agitateurs et les filous donnait à l'aquarium cette dynamique si divertissante, bien hypocrite aurait-il été d'interrompre ainsi leur jeu. De plus, une étrange sensation étreignait son cœur, comme l'impression que le futur de la cité s'apprêtait à basculer et que son rôle touchait à sa fin.

Quelque agitation attirait temporairement son attention loin de la fête. La garde de nuit se présentait à sa porte, leur capitaine prodige et ingénu le saluant respectueusement, l'alarmant de la présence de délinquant autour de sa demeure, tentant de s'introduire entre ses murs. Loin d'être surpris, l'Ephèdre laissa le jeune homme accomplir sa mission sans plus de contrainte que l'interdiction de déranger la fête, s'en retournant à ses propres affaires.

Contre la balustrade de la Tour du Midi, face au reste de la ville et à la falaise qui le séparait du second cercle, sous le regard bienveillant de la Nuit et des étoiles, l'Ephedre prit une grande inspiration. Son sourire s'étira lorsque son regard se posa sur une silhouette pas plus grande qu'un insecte en contrebas. La perspective nous donnait parfois une étrange vision des autres êtres humains mais ils n'en restaient pas moins nos concitoyens.

« Mon brave ! Que faites-vous si tard dehors ? »

La voix claire, bien qu'usée, de Nadin traversait le calme de la nuit et l'inconnu tourna sur lui même, déboussolé à la recherche de la voix qui l'interpellait d'aussi loin.

« Au dessus ! Levez le tête ! »

Un verre à la main et un peu d'alcool dans le sang, le ministre s'amusait beaucoup de cette incongrue situation. Quelques instants plus tard l'inconnu levait enfin la tête, son visage pâle lui aussi rougis par l'alcool indiscernable, mais pourtant son état semblait bien vite évident.

« Gneinh ? Ah ! C'est un m'sieur de la haut ! Eh bah... V'voyez m'sieur ! Je fais comme vous ! Je bois !

- J'entend ça ! Vous buvez seul ?

- Eh bah... non ! Je suis avec ma belle et ma bouteille ! »

Surpris, Nadin leva un sourcil à la recherche d'une seconde silhouette sans en trouver aucune. Le pauvre homme devait être dûment imbibé, l'alcool était pour les citoyens lambda ce que les rêves étaient pour les gens comme lui : une terre ou tout est possible.

« Que diriez vous de venir boire avec moi mon brave ! J'ai fait ouvrir de belles bouteilles ce soir, il serait dommage de les laisser s'éventer ! »

Il ne pouvait lire l'expression sur le visage de cet homme mais il se l'imagina tout de même très bien. Un mélange de surprise, de doute, d'intérêt et d'incompréhension.

« Eh bah... C'est gentil m'sieur mais je crois pas que je sois la bonne compagnie v'voyez ? Et pis ma belle aime pas trop les gens comme vous, alors...

- Vous êtes le bienvenue et elle aussi mon brave ! Il n'y a pas de raison que je ferme mes portes à quelqu'un d'aussi sympathique !

- Si vous le dites m'sieur. Comment que je monte moi ?

- Restez ici, je vais vous faire chercher, cela ne prendra que quelques minutes ! »

Moquerie cynique ou intérêt ingénu, je ne saurai pas trop dire, mais à cet instant les rouages du destin décidèrent enfin de s'activer. L'Ephèdre, en route pour alerter l'un de ses serviteurs, n'eut pas le temps de quitter le balcon qu'une odeur rance emplit ses narines. Une odeur de pourriture et de fer. Une odeur qui éveilla en lui de terrible souvenir. L'instant d'après, une détonation arracha la Tour du Midi à ses fondations dans un nuage putride qui emporta la demeure, les invités et Nadin Pellezac dans sa course.

Les flambeaux d'alerte s'allumèrent à travers la ville dans un reflexe presque instinctif alors que les pierres taillés s'effondraient sur les maisons en contrebas comme une pluie funeste.

Le pauvre homme ne s'était pas trompé, le destin de cette cité d'or au centre du monde s'apprêtait à changer.

Oneiranthe : Le rêve d'un enfantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant