4. Trahison

Depuis le début
                                    

Mon corps trop engourdi pour réagir, j'entrouvre la bouche pour lui faire comprendre de faire couler directement le champagne sur ma langue. J'aperçois un rictus amusé déformer ses lèvres et il obtempère, m'en versant la moitié sur le col de ma chemise.

J'ai l'impression que la musique est de plus en plus forte et que ma tête tourne de plus en plus. Je tiens pourtant bien l'alcool, mais ce soir, une étrange émotion m'habite.

Soudain, je me redresse. Quelque chose cloche. Je tiens bien l'alcool en effet, alors pourquoi suis-je dans cet état ? Au moment où je me fais cette réflexion, le corps de Lev se colle un peu plus au mien, comme s'il s'affalait sous un surplus de champagne.

— Les trois gars au fond de la salle n'étaient pas là tout à l'heure, me glisse-t-il à l'oreille. Et Petrucci s'est barré depuis vingt bonnes minutes.

Sa voix rauque l'est d'autant plus après le nombre incalculable de clopes et de verres qui sont passés par ses lèvres. Je comprends que la proximité qu'il a fait semblant d'établir sans le vouloir avec moi a pour but de ne pas éveiller les soupçons des gorilles au fond du casino.

Une vague de fureur déferle dans mon estomac et ruisselle dans mes veines. Je devine que Petrucci nous a trahis et ce constat me retourne les tripes d'une colère incommensurable. Lev me pince discrètement le bras.

— Contrôle tes putains de phéromones, ordonne-t-il d'un ton sec.

Je me reprends, conscient que la haine quasi tangible qui s'échappe de mon corps pourrait nous mettre en danger. Je suis tellement en colère que j'ai envie d'écraser la bouteille de champagne qui trône sur la table contre la gueule de chaque personne présente dans cette salle.

Sans un mot, je me lève et m'approche d'un pas faussement séducteur de la belle oméga qui se déhanche devant nous. J'enlace mon bras autour de sa taille et pose mes lèvres contre son cou avant de titiller son lobe de mes dents. Elle frémit sous mes caresses et se presse un peu plus contre mon torse.

— Dis moi, susurré-je d'une voix charmeuse, tu ne voudrais pas continuer la soirée avec mon pote et moi ? Je veux dire... dans un endroit plus privé.

Je murmure ces derniers mots en déposant un baiser brûlant au coin de ses lèvres et lorsqu'elle tourne son regard enflammé vers moi, une vague de phéromones s'échappe de son corps. Elle hoche doucement la tête, m'attrape par la main et me tire vers une petite porte dissimulée entre deux machines à sous.

Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir que Lev me suit, ayant compris mon manège. Lorsque nous sortons enfin de l'ambiance étouffante de la salle de spectacle, j'analyse rapidement l'environnement autour de moi. Nous sommes dans un petit couloir aux murs gris qui doit certainement servir pour le passage des domestiques. J'essaie de me retracer dans la tête le plan de la villa pour deviner approximativement où nous nous trouvons. Je me doute que les gars de Petrucci nous ont vus partir et vont nous suivre d'une minute à l'autre.

La belle oméga se colle soudainement un peu plus contre moi, mais sa chaleur sensuelle m'agace profondément. Je la repousse d'un geste brusque et me retiens de lui en coller une. Cette connasse savait sûrement depuis le début que Petrucci comptait nous trahir.

— Casse-toi, sifflé-je entre mes dents.

Les phéromones que je dégage doivent désormais être chargées de tant de rage et de dégoût que je la vois se plaquer contre le mur, le visage blême et les yeux écarquillés. Cette vision m'énerve un peu plus, mais je n'ai pas le temps de réagir que Lev me tire par le bras.

— Allez, bouge toi, me presse-t-il. Faut qu'on dégage d'ici.

Nous nous mettons à courir dans le petit couloir et déjà, j'entends des cris étouffés à quelques mètres de nous. Je sais que la villa regorge de passages pour les domestiques et que toutes les pièces sont accessibles par cette voie ; nous devrions donc pouvoir l'utiliser pour sortir d'ici. Je bifurque soudainement à gauche, croyant sentir des relents de nourriture qui indiqueraient que nous nous approchons de la cuisine.

Au moment où nous dépassons cette dernière, une porte s'ouvre brusquement et un homme de carrure impressionnante se rue vers nous. Je me prépare à le frapper dans le nez quand un éclair blond passe devant moi et un bruit de verre brisé retentit, suivi d'un hurlement de douleur.

Hébété, je recule d'un pas et vois l'homme tomber à genoux, les mains enserrant son crâne qui ruisselle de sang. A ses pieds, le cadavre d'une bouteille gît paisiblement. En baissant les yeux, je vois que des gerbes de sang sortent également de son ventre et tâchent la moquette du sol.

— Tu bouges ou tu veux le rejoindre ?

La voix éraillée de Lev me ramène sur Terre et je tourne mon regard vers lui. Il se tient droit, le visage impassible, la chemise maculée de plusieurs tâches rouges et un canif plein de sang dans la main droite. Je comprends qu'il a frappé à la fois le gars à la tête avec un cul de bouteille, et au ventre avec son couteau. Je souris.

— Merci pour ce bel exemple concret de lutte des classes !

Lev me lance un regard terrible et je me mords l'intérieur des joues pour ne pas exploser de rire. Il tourne le dos et se met à rebrousser chemin en courant. Je le suis.

— Tu ne pousses pas un cri de guerre lorsque tu tues un aristocrate ? le provoqué-je par pur amusement. Du type « Les prolétaires vaincront ! » ?

Le Russe ne se retourne pas, mais j'imagine très bien son visage crispé par l'énervement.

— Tu ferais mieux de la fermer si tu ne veux pas que je me révolte contre ta gueule de bourgeois, grince-t-il sans me jeter un regard.

Je ricane mais retrouve mon sérieux lorsque de nouvelles voix retentissent derrière nous. Putain ces connards ne veulent vraiment pas nous lâcher !

Agacé, je tire Lev par le bras et ouvre une petite porte à ma gauche. Nous nous retrouvons dans un bureau entièrement vide où trônent seulement une table et une étagère croulant sous des livres.

Les bruits de pas se rapprochent et nous retenons notre respiration. Je serre les poings, prêts à m'en servir, et Lev dégaine son couteau. Mais les hommes bifurquent juste avant la porte derrière laquelle nous nous cachons et le silence retombe.

Je m'autorise enfin à prendre une grande inspiration, n'ayant pas remarqué que j'avais retenu mon souffle sous l'adrénaline. Maintenant, il faut que nous trouvions un moyen de sortir discrètement d'ici et de nous faufiler à l'extérieur sans nous faire prendre. Je sors mon portable et envoie un message à Dario pour lui indiquer notre position, l'informer de la situation et lui demander d'envoyer des renforts. Ça va le faire. Ces fils de pute ne nous auront pas cette fois.

Pourtant, au moment où cette certitude m'envahit, une étrange sensation s'empare de moi. Quelque chose ne va pas. Un horrible frisson remonte le long de mon dos et je sens mon cœur s'accélérer anormalement. L'atmosphère de la pièce, jusqu'alors froide et silencieuse, se charge soudainement d'une espèce d'électricité qui picote ma peau et raidit mes membres. Une intense vague de chaleur déferle dans mon ventre et je sens ma tête tourner sans que je ne puisse l'anticiper.

Merde, mais que se passe t-il ?

Le corps tremblant et la vision brouillée, je me retourne difficilement pour chercher Lev du regard, quand une douce odeur parvient à mes narines. Un espèce de mélange de notes suaves, presque sucrées, et de quelque chose qui se rapprocherait des effluves portées par le vent d'été glissant au pied des montagnes. J'ai l'impression de perdre le contrôle de mon corps et suis obligé d'entrouvrir la bouche pour tenter de calmer ma respiration devenue laborieuse.

Puis je comprends. Un oméga. Il y a un putain d'oméga dans la pièce.

Paniqué, je me retourne d'un coup, les sens en alerte. Et je me fige. Juste là, à quelques pas de moi, adossé contre la bibliothèque croulante et le visage déformé par le combat intérieur qu'il est visiblement en train de mener, Lev me fixe, haletant.



NDA : Héhé petit retournement de situation... Vous l'aviez vu venir ?

A votre avis, comment vont-ils se sortir de cette situation ? Et comment Gian va réagir face à un Lev visiblement en galère ?

N'hésitez pas à donner votre avis :)

Les dents longuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant