Le jeu perdant

12 - Cinquième échange

- Très bien. Fais au moins semblant de t'intéresser à mon cours, déclare-t-il avant de reprendre ses explications.

Je hoche la tête et me concentre sur mon travail. Il n'y a que les cours de mathématiques où je me permets de partir. Sinon je suis plutôt le bon élève même si je transgresse les règles en utilisant mon portable.

- Tu m'expliques ? me demande Steve après quelques minutes.

- De quoi ?

- Ne fais pas l'innocent. A qui parlais-tu?

Je hausse les épaules. Je n'ai pas envie de lui dire, je veux y garder pour moi.

- Si tu avais des ennuis tu me le dirais ? s'enquiert-il.

- Évidemment.

La vérité est tout autre. Non, je ne lui dirai pas afin de ne pas le mettre dans la mouise à son tour. Je n'ai pas envie qu'il se sente mal pour moi. Je préfère l'avoir joyeux à mes côtés que préoccupé. C'est pour ça que je ne lui ai jamais parlé de mes parents. Sûrement parce que j'ai peur de perdre notre lien. Je sais que c'est débile, que c'est mon meilleur ami, mon frère mais j'ai peur.

- Tu m'en parleras ce soir, affirme mon meilleur ami.

- Je ne sais pas, je lui avoue.

- Pourquoi ?

- Je crois que j'ai envie d'y garder pour moi.

- Alors tu me parleras quand tu voudras, conclut-il en me pressant ma cuisse droite de sa main gauche.

- Merci, je chuchote.

- C'est normal.

‡ ‡ ‡

Une fois installé dans la chambre de Steve pour faire nos devoirs, je réponds à l'inconnu. Je n'ai pas voulu lui répondre plus tôt dans la journée pour ne pas montrer que je suis en attente de ses messages, tellement je trouve mon comportement pathétique.

Moi - 17h45
Vérité.

Je range mon téléphone et me concentre sur les sciences. J'ai toujours détesté devoir faire du travail chez moi, comme-si les huit heures par jour à l'école ne suffisaient pas.

- Tu pourrais m'aider ? me demande Steve en regardant ses cours de philo.

- Je ne sais pas, ça va dépendre du sujet.

- Ne dis pas n'importe quoi, même dans les matières où tu ne comprends rien tu a des bonnes moyennes.

- La philosophie c'est différent Stevy, le contredis-je.

- Je veux juste savoir ce qu'Aristote pensait du bonheur. Je dois faire une dissertation dessus et je n'y comprends rien, m'explique-t-il. Je sais pertinemment que tu as retenu toutes les citations, donc c'est plus simple pour toi de connaître sa pensée.

J'acquiesce et me place sur la seconde chaise de bureau.

- Tu as parlé de Kant déjà ? je le questionne en jetant un rapide coup d'oeil à ses notes.

- Oui oui je n'ai aucun soucis avec lui. C'est Aristote qui me donne le plus de mal.

- Pourquoi ? je lui demande intrigué.

- Parce que quand on me parle d'Aristote je pense au roman Aristote et Dante découvrent les secrets de l'univers, m'informe mon meilleur ami.

Devant mon air incompréhensif, il secoue la tête.

- J'avais oublié que tu ne lisais pas. C'est un livre écrit par Benjamin Alire Sáenz. Je te jure je n'arrive pas à comprendre Aristote, revient-il à la charge.

- D'accord, dis-je amusé. Ce philosophe pense que le bonheur est le but de la vie humaine et qu'il n'est pas un bien fourni par l'extérieur. De ce fait, il déclare que nous devons le trouver en nous-même, dans nos propres activités.

- Merci, tu es plus simple à comprendre que mon professeur.

Je lui souris, lui ébouriffe les cheveux et repars me vautrer sur son lit en attendant un message de l'inconnu qui ne tarde pas à arriver.

Lui - 18h03
Que penses-tu de l'amour ?

A part que c'est toxique ? Rien. Mais ce n'est pas ce que je lui réponds. Parfois, il faut savoir sauver les apparences et essayer de comprendre les autres.

Moi - 18h04
Je pense que dire que c'est le rêve d'une vie est exagéré.

Lui - 18h04
Mais encore ?

Moi - 18h04
Je ne suis jamais tombé amoureux.
De toute façon j'aurai trop peur de me blesser.

Lui - 18h04
C'est le risque à prendre.
Si tu ne tombes jamais comment veux-tu devenir plus fort ?

Moi - 18h04
Aucun idée.

Je ne regarde pas si j'ai d'autres messages de sa part qui arrivent et coupe mon téléphone.

Vu ce que l'amour a fait de mes parents je n'en veux pas. Je le laisse aux autres.