Chapitre 24 - Elles

Depuis le début
                                    

Dans un silence pesant, l'ingénieur attendit, le regard vissé dans celui du jeune homme, qui relevait la tête vers son ami, lentement. De l'éclat perçu, Reeve su que c'était grave et que la nouvelle terrifiait cet esprit intouchable. Il le connaissait, même, si bien qu'il pouvait affirmer sans risque qu'aucun mort n'était à déplorer. Un empire construit sur des cadavres avait rendu son âme particulièrement froide à tout ce qui pouvait choquer le commun des mortels. Et là, c'était bien plus grave qu'un mort.

- Bon alors, il va parler ou faut qu'on l'aide?!

Barret et Cid, rouges de colère, donnaient l'impression d'une transformation imminente en Bombos, et Reeve dû lever une main en signe d'apaisement.

- Calmez vous. Vos amis vont bien.

- Et comment tu peux le savoir?! Il n'a pas moufté depuis tout à l'heure!?

Parce que Rufus avait peur. Peur comme jamais auparavant. Une émotion rare, chez cet homme, mais particulièrement observable à cet instant.

Les regards de Reeve et Rufus ne se quittaient pas. Aucun mot, pas le moindre bruit, ni le moindre geste ne résultaient de cet échange étrange. Seules leurs pupilles, tremblantes pour l'un, brillante pour l'autre, se parlaient, se répondaient.

Et comme soudainement apaisé, soutenu par la présence d'un ami précieux, un souffle s'échappa des lèvres du blond, alors que ses yeux se refermèrent.

- Il est vivant...

Le souffle se transforma en brise glaciale et vint s'emparer de toutes les âmes dans la pièce. Chacun d'eux imaginant ce que leur angoisse personnelle pouvait suggérer de pire.

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Les pierres froides de l'église vibraient sous la tension soudaine, et semblaient pousser un gémissement de douleur face à la pression exercée sur elles, par une entité spectaculaire. Des racines énormes, d'un vert maladif, œuvraient à l'ouverture du sol et des murs, écartant lentement mais avec force, les lattes fragiles et anciennes d'un parquet abimé. Les piliers porteurs de ce bâtiment, plusieurs fois centenaires, semblaient se déplacer de quelques millimètres, dans un cri effrayant. Le beffroi vibrait, donnant l'alerte sur le danger imminent et poussait toutes vies à fuir la bâtisse avant qu'elle ne s'effondre sur elle-même.

Mais Marlène n'en fit rien.

Debout, tendue, prête à bondir sur le dos de Choco, elle avait les yeux rivés sur ce qui émergeait des profondeurs de la terre. La rivière bouillonnait en vase clos, malmenée comme un colis que transporterait son père, sur une route accidentée. Et alors que les racines continuaient leur percée de toute part, un tourbillon plus violent apparut, maelstrom d'un petit bassin, trou noir surgissant du néant.

Toute l'eau de la rivière disparue, aspirée ou avalée, par l'invisible et le tonnerre.

L'église retrouva son calme. Les pierres ne gémissaient plus. Le bois s'était tut. Et les racines, dévastatrices, ne bougeaient plus.

En revanche, quelque chose faisait trembler le fond du bassin. La terre remuait, comme si elle grouillait de vers... La petite fille avait déjà vu ça, chez son père. Dans le champs du voisin quand celui-ci le labourait et faisait remonter à la surface tout une couche de terre enfouie et habitée. Cela ne lui avait jamais fait peur, ni provoqué le moindre dégout. L'agriculteur lui avait expliqué que la présence de ces petits êtres était signe de bonne santé et de bonne récolte. Une terre vivante était une terre nourricière et porteuse d'un futur prometteur.

Mais de cette terre grouillante, sortie brutalement une main, sale, abimée, puis tout un bras, suivit d'un autre.

Marlène recula, sans crier, les yeux immenses. L'horreur la saisissait, quand son regard, lui, refusait de lâcher cette scène épouvantable.

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