Chapitre 12 - Manger un clown

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19 avril 2289 - Cassy-3

Je crois que K a compris qu'il pouvait acheter ma bonne humeur avec du chocolat. Je ne suis qu'une faible femme, pardonne-moi, Mei. Il m'en a rapporté après mes quelques heures de sommeil en m'avouant ne pas raffoler de cet aliment. Quand je dis qu'il est fou... Mes envies chocolatées comblées, j'accepte qu'il me fasse visiter Cassy-3. À vrai dire, j'ai pas mal ruminé (il faut dire que je n'avais pas grand-chose d'autre à faire). Vous ne devez vos morts qu'à vous-même. Ce sont les paroles de Kalen. Sur le coup, elles m'ont hérissée. Ce sont bien les selcyns qui sont responsables du désastre que nous vivons. Oh oui, K et ses copains ont ruiné nos vies, sur ce point, je ne changerai pas d'avis. Ils se sont approprié des corps, pour cela, ils ont tué. Beaucoup tué. Des millions de victimes. Cependant... je dois reconnaître qu'après les bombes IEM, sans police, sans technologie, certains d'entre nous ont fait remonter à la surface leurs plus bas instincts. Oui, nous nous sommes faits du mal, nous nous sommes détruits. Oui, nous avons été acteurs de notre déchéance. Et effectivement, si les selcyns ont chassé les Européens, ils ne se sont pas montrés colonisateurs avec le reste du monde. Les torts sont-ils partagés ? Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est du cinquante-cinquante, mais j'ai pris suffisamment de recul pour accepter de suivre mon ravisseur pour une petite visite guidée.

Kalen semble très fier de son vaisseau et je ne suis pas encore disposée à le contrarier. Ça ne devrait pas tarder, c'est juste que je ne suis pas du matin.

La blancheur des lieux est fascinante, dépourvue d'imperfection sans être éblouissante. La bande lumineuse donne l'impression d'être sous un éclairage naturel, c'est vraiment surprenant. Je peux la fixer sans m'abîmer les yeux. Les portes vert pomme se suivent à distance égale les unes des autres. Kalen m'indique parfois ce qu'elles renferment : des chambres, des pièces de stockage, des toilettes. Pour ce dernier point, j'ai tenu à essayer d'actionner l'ouverture seule. J'ai galéré, mais j'y suis parvenue sans aide. Savoir ouvrir les portes me paraît un bon point pour mon futur plan d'évasion. Toujours pas de toilettes normales et ce fichu « pisse-debout ». Je découvre toutefois de quoi me brosser les dents avec un appareil dentaire à poils rigides du même style que ceux présents sur Faraday-4. Je suis sur le point de demander à Kalen sa technique secrète en cas de grosse commission, mais me ravise. Je ne suis pas encore prête pour cette conversation, et comme il n'y a aucune urgence de ce côté-là... Je ressors de la pièce avec toute la dignité dont je suis capable. Il faut dire que mon ravisseur scrute le moindre de mes mouvements avec une curiosité non feinte, c'en est gênant.

Nous descendons d'un étage à l'aide d'une échelle. Je découvre une salle de sport équipé de machines venant clairement de la Terre. Je vois même un vélo elliptique de la marque Sportfit du même style que celui que j'avais dans mon studio d'étudiante (et que je n'ai utilisé qu'une fois : le jour où je l'ai acheté).

— Vous vous êtes fourni sur place, à ce que je vois, dis-je en examinant les poids.

— Vos corps sont si faibles, si nous ne les entraînons pas, leurs muscles s'atrophient.

— J'ai entendu dire que vos anciennes enveloppes corporelles n'étaient pas adaptées à la Terre.

— C'est vrai. Nous avons mis nos meilleurs scientifiques à contribution pour rechercher d'une solution viable et pérenne, mais ils ont échoué.

— Alors vous avez récupéré des corps sur place. Est-ce qu'il reste une trace de... des personnes à qui ils appartiennent ?

— Non. Ils sont morts. Les souvenirs, la personnalité, les connaissances... tout ça est perdu à jamais et nous y avons inséré les nôtres, laissant nos organismes originels mourir à leur tour.

Corps étrangers [TERMINÉ] Όπου ζουν οι ιστορίες. Ανακάλυψε τώρα