Chapitre 14 - Prendre ses quartiers

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Je me sens comme une criminelle en cavale, avec cette fichue sacoche sur moi. J'ai enfilé une veste noire appartenant à Kalen pour la dissimuler, ça devrait le faire. Enfin, j'espère. J'admire la vue sur une Venise portugaise depuis mon hublot quand mon ravisseur me rejoint. Je fais un bond de trois mètres. Franchement, je ne pourrais pas avoir l'air plus coupable. Mais heureusement, K semble aussi doué pour détecter les émotions que pour les exprimer. Il me fait signe de le suivre et je m'exécute docilement.

— Ta cheville va bien mieux à ce que je vois, me dit-il.

— Oh, oui, finalement rien de grave...

— Tant mieux. Ton rythme cardiaque est rapide, ta sudation est importante et tes pupilles sont dilatées. Tu es effrayée.

— Et toi, tu es stressant, K.

— Je t'assure que tu ne crains rien sur Tavira, Chaton. Jafro veillera sur toi le temps de mon absence.

— Tu t'en vas ? demandé-je, inquiète.

— Je reste deux jours, puis je dois séjourner plusieurs semaines sur Bleiselcyon pour régler quelques affaires. Je ferais mon rapport au Grand Consul depuis là-bas. Il se peut également que je sois réquisitionné pour une intervention défensive à la frontière est avec ma deuxième escouade. Vos soldats métalliques pullulent depuis deux ans, nous forçant à abandonner certains territoires pour nous regrouper.

— C'est une bonne nouvelle, fais-je avec un sourire narquois.

— Sans doute pour toi, en effet.

— Et donc, tu vas me parler des raisons de ma présence ici avant de m'abandonner ?

— Oui.

Je ne suis pas capable d'analyser son rythme cardiaque ou son taux de sudation, mais je jurerai que K est inquiet. Il fuit mon regard et accélère le pas.

Nous arrivons vers les colonnes vertes que j'ai repérées quelques jours plus tôt. À mon grand étonnement, deux sont ouvertes. Mon selcyn me fait signe de m'installer dans l'une d'elles. J'obtempère, pas vraiment rassurée. Il me fait ensuite croiser les bras et se recule. La colonne se referme, et me voilà enveloppée d'une lumière blanche vaguement électrique. Je n'ai pas le temps de me poser plus de questions que je me retrouve les pieds sur du bitume, à l'extérieur du vaisseau. Incroyable. Je lève la tête : Cassy-3 stationne au-dessus de moi. Un couloir lumineux me relie au vaisseau, identique à celui que j'ai pu observer à Hanoï avant d'être enlevée. Je m'empresse d'en sortir et continue d'explorer visuellement mon environnement. D'un côté, un village d'un autre siècle, protégé par une haute digue, de l'autre, un bâtiment circulaire d'un gris éblouissant. Inutile de demander de quel côté je vais être conduite. J'inspire longuement : l'air marin est perceptible et je sens comme un élan de liberté. Puis Kalen apparaît à mes côtés. Il se dirige vers la base sans un mot, je me contente de le suivre, à regret. Je jette des coups d'œil en arrière pour regarder Cassy-3 s'éloigner vers l'océan.

Quand nous franchissons les portes du bâtiment. Je suis surprise de constater que les murs sont transparents de ce côté-ci. Je retrouve des couloirs blancs comme sur le vaisseau, sur deux étages, mais ceux-ci sont circulaires, épousant parfaitement la forme de la structure principale, et les portes sont grises et non vert pomme. Les étages ne s'enchaînent pas directement, mais sont séparés par des zones vides, ce qui permet de faire circuler la lumière extérieure. Près de cinq minutes de marche plus tard, nous arrivons au premier étage et Kalen m'ouvre une porte. Je pénètre prudemment dans une vaste salle dont la pièce centrale et un matelas incrusté dans le sol, comme dans la cabine de Kalen, mais en plus grand. On pourrait tenir à cinq dessus sans se gêner ! Pas de fenêtre, inutile puisque tout un pan du mur est transparent. Je suis surprise de constater la présence de nombreuses plantes décoratives. Il y a également un miroir, une console musicale, un dressing immense, mais presque vide, une longue table placée contre le mur et sur laquelle sont posées deux machines que je n'identifie pas et des gâteaux verts, bleus et orangés. Et enfin, dans un recoin, les toilettes (toujours le même système) et une vraie douche à l'ancienne, avec un pommeau et un robinet ! J'en reste bouche-bé.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now