Chapitre 94 / Les liens du sang

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— Il n'est pas à plaindre. C'est plutôt moi qui... commença à marmonner Lupita, mais elle s'arrêta brusquement se rendant compte que Charlotte n'était au courant de rien concernant le contrat. L'épouse de Magnus n'était ni Emmanuelle, ni Aïko, qu'elle n'avait pas pu appeler faute de forfait suffisant.

— Peu importe ce qu'il y a entre vous, insista Charlotte en lui faisant un drôle de regard, je crois que Darius est très attaché à toi.

— C'est sûr. Je ne l'ai jamais vu embrasser qui que ce soit en public, surenchérit Elektra sans savoir à quoi faisait vraiment allusion sa belle-sœur. Il est plutôt du genre discret d'habitude. Tu ne devrais pas douter de son amour pour toi.

— Son amour pour moi ? répéta Lupita qui fixait maintenant les deux jeunes femmes avec incertitude. Oui, oui, il m'aime. Il me le dit sans arrêt, finit-elle par dire se rappelant le rôle qu'elle était censée jouer. Mais nous n'avons pas eu un moment à nous depuis notre arrivée et...

— Ça viendra ce soir. Tout ira mieux ce soir, tu verras, dit Charlotte en l'entraînant vers un portant de chemisiers.

Lupita se laissa faire, mais elle doutait fortement que quoi que ce soit aille mieux le soir même. Au fond, elle craignait que les Ryker se retournent contre elle en se serrant les coudes, que toute cette sympathie pour elle finisse par disparaître, que Darius cesse d'avoir de drôles d'attentions à son égard, que les choses changent pour prendre encore un chemin complexe qui la mènerait vers d'autres sables mouvants. Elle avait envie d'un sol stable, mais ignorait comment atteindre cet objectif. Une chose était sûre, elle ne parviendrait à rien ce soir, car la présence même de Darius Ryker la perturberait trop. Fallait-il qu'elle réfléchisse plus à ce constat ? Pas pour le moment.

***

Cyrus se tenait parfaitement immobile devant une petite peinture qui ne payait pas de mine face à ses gigantesques voisines. Il s'agissait du portait d'une femme. Quand il avait vu Mlle Jones, la veille, il avait cherché à savoir où il l'avait déjà aperçue. Puis, lors de leur repas chez Magnus, la réponse lui était apparue. C'est pour cette raison qu'il était venu ici. Pour s'assurer que ce portrait était bien là où il pensait. Et il était là.

Maintenant, il attendait Mlle Jones.

Seule. Épuisée par les boutiques, Charlotte avait déclaré forfait et s'était fait raccompagner par Elektra en taxi. Ce serait mieux de toute façon. Parce Cyrus devait parler avec Mlle Jones. Et la conversation qu'ils auraient n'avait pas besoin de témoin.

***

— Bonjour M. Ryker, dit Lupita en le rejoignant enfin.

Cyrus n'avait que deux ans de plus qu'elle, mais malgré son aspect dégingandé, il avait une sorte de présence, de prestance, qui lui donnait l'air plus âgé. Il lui faisait un peu penser à Éric Vivier, mais sans l'élégant costume. Cyrus portait un jean et des converses avec une chemise mal boutonnée et une veste trop chaude pour la saison.

— Pas de M. Ryker pour moi, Mlle Jones. Simplement, Cyrus.

— Alors, ce sera aussi simplement, Lupita.

Le jeune homme sourit en l'incitant à s'asseoir près de lui, ce qu'elle fit de bonne grâce. Elle était épuisée d'avoir cavalé pour le trouver. Il lui avait envoyé tout un tas d'indications toutes plus cryptiques les unes que les autres pour quelqu'un qui ne connaissait pas le musée aussi bien que lui. Elle avait failli se perdre.

Une fois assise, elle vit que le jeune homme fixait un tableau face à lui, qu'elle se mit à observer aussi.

— Ça alors ! ne put-elle s'empêcher de s'exclamer avant de baisser le ton aussitôt. C'est incroyable. On dirait...

— Vous.

Lupita sourit avant de se lever pour lire le petit cartel qui donnait quelques informations sur le portrait.

— Je suis rassurée. À moins d'être une vampire, ce que je ne suis pas à ma connaissance, ce portrait n'est pas le mien, dit-elle en se rasseyant. J'avais déjà vu des post de gens qui ressemblaient de manière étrange à des figures de tableau... jamais je n'aurais cru en faire partie moi-même.

— Vous savez, je crois aux signes, se contenta de dire Cyrus.

— Aux signes ?

— Quand Magnus nous a présenté Charlotte il y quelques années, je travaillais sur des croquis d'un peintre italien. L'un d'eux était la réplique exacte du visage de la femme de mon frère.

Lupita fixait Cyrus, interloquée. Elle ne voyait pas où il voulait en venir et commençait à se demander si toute cette famille n'était pas totalement folle...

— Je crois que vous êtes la femme de la vie de Darius, dit-il alors simplement en se focalisant de nouveau sur le portrait.

Lupita faillit éclater de rire, mais elle se retint. Elle voyait bien que Cyrus croyait en ce qu'il disait.

— Parce que vous m'aviez déjà vu dans ce portrait ? Je ne suis pas si remarquable. Je crois que ce portrait correspond à beaucoup de jeunes femmes dans le monde. Pour peu qu'elles aient des cheveux noir bouclés et la peau caramel...

— Non. Vous êtes unique. Comme Charlotte. Je le sens. Mon père avait l'habitude de dire que j'avais un don. Je sens ces choses et je crois aux signes.

Lupita ne savait pas quoi dire. Comment expliquer que la relation qu'elle avait avec son frère aîné était factice ? Que tout ne reposait que sur un bout de papier qui exposait une transaction financière des plus banales ? Elle ne le pouvait pas, évidemment. Qui était-elle pour briser les illusions de cet artiste aux yeux si doux ?

— Nous verrons si les signes avaient raison, dit-elle en lui souriant.

Il détacha alors une feuille du carnet à dessin qui ne le quittait jamais. La veille, alors que les conversations allaient bon train, il avait fait son portrait. Elle fut stupéfaite de la délicatesse avec laquelle il avait saisi chacun de ses traits. Elle se trouva belle sous sa mine sèche. Son sourire s'élargit encore, et dans un élan qu'elle n'expliquait pas, elle enlaça Cyrus pour le remercier. Décidément, il était bien difficile de ne pas aimer les enfants de la famille Ryker.

— Et voilà. Je te laisse une journée, et tu tombes sous le charme de mon plus jeune frère. Cyrus, arrête d'être aussi charmant, c'est épuisant de tenter de te voler la vedette... dit alors une voix derrière les deux jeunes gens enlacés.


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