Chapitre 24 - Comme un coq en pâte

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Après moult essais, je parviens à retirer la drôle d'attelle qui m'enserre le pied. Ma cheville a retrouvé une couleur et une taille normale. Je parviens même à la bouger à condition de ne pas forcer. D'ici deux jours, cette blessure ne sera plus qu'un mauvais souvenir. Je remarque que ma vision s'est encore améliorée. C'est très léger, mais ça me procure une sensation étrange. Je suis à présent certaine d'entendre des bruits de pas au-dessus de moi. L'escouade de pilotes de Kalen est probablement de retour sur Tavira. Cette idée m'angoisse. Je me sens trop vulnérable.

Je repense à la discussion surréaliste que j'ai eue hier avec Kalen. On peut dire qu'en peu de temps, j'ai eu avec lui des conversations qui m'auraient mise mal à l'aise avec n'importe qui d'autre. Je crois que j'ai accepté l'idée que je l'apprécie malgré ma captivité. Je lui suis même reconnaissante d'une certaine manière. Il a voulu nous épargner Gatien et moi à Faraday-4, il m'a toujours bien traitée, et m'a sauvée de la noyade. Il a raison : si une entente entre terriens et selcyns est possible, je suis clairement celle des deux qui y met le moins d'entrain. Et pourtant, une graine d'espoir a germé en moi. Se pourrait-il vraiment que leur Grand Consul change d'avis s'il comprend que son fils, enfin le selcyn qui possède ses gènes, est ami avec une humaine ? D'ailleurs, peut-on dire que Kalen et moi sommes amis ? Je ne vais pas me mentir, le projet de voler une batterie au labo et de retourner au bunker pour demander de l'aide est toujours d'actualité. Je ne suis pas certaine que le monde soit prêt à accepter un mélange des races, et moi je ne compte pas abandonner ma liberté si facilement. Nous ne sommes pas libres, ce n'est qu'une illusion. Les mots de Kalen me reviennent sans que je sache quoi en penser. De toute manière, je dois fuir avant de me retrouver mêlée à leurs expérimentations qui, avouons-le, ont peu de chance d'être annulées.

Je passe ma matinée à lire et à initier de moi-même une rééducation de ma blessure tout en méditant sur mon avenir proche. Quand ma porte s'ouvre, c'est Jafro et Sayan qui font leur entrée.

— Lyna ! s'écrie le premier. Je suis ravi de te retrouver en bonne santé. Tu nous as fait une belle frayeur !

— Tu as saccagé les couveuses, déclare Sayan sans aucune animosité. Cependant, je comprends pourquoi tu l'as fait. Comme m'a dit Jofen par visio, tu as montré ton sens de l'honneur.

— Jofen... le frère de Kalen ?

— Oui, il est à Bleiselcyon, me précise Sayan. Mais je suis régulièrement en contact avec lui, nous avons de très bonnes interactions sociales tous les deux.

— Je vois, vous êtes amis...

— Pas dans le sens humain du terme, je suppose. Malgré ton coup de folie, je suis quand même content de te revoir parmi nous, ton absence aurait laissé un vide.

— Tu apportes du renouveau à cette base, renchérit Jafro.

Étonnée de la réaction des deux selcyns, je leur adresse un sourire timide. Je note silencieusement le passage au tutoiement. Les deux hommes ne se formalisent pas de mon manque de réaction. Après tout, pour une fois, les rôles sont inversés. Ils retournent dans le couloir pour en revenir avec une table ronde drapée d'une nappe et deux chaises rembourrées.

— Qu'est-ce que vous faites ? demandé-je alors qu'ils procèdent à un nouvel aller-retour.

— Le chef Kalen a passé sa matinée à te concocter une surprise, me répond Jafro. Il nous a demandé de préparer ta chambre.

— Un repas ? Il me cuisine un repas d'humain ? Mais pourquoi le prendre dans ma chambre ?

— Kalen ne veut pas que tu croises ses pilotes, m'explique Sayan. Il développe un comportement ultra-protecteur avec toi, c'est fascinant. J'ai une théorie là-dessus, je pense...

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now