22 : Morgane - Mon bonnet me manque

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— Tu es grande à présent oui. Mais tu es née neuf mois après la mort de Kassendro, tu comprends ? Les gens savent compter sur leurs doigts.

Je reste interdite. L'abbé avait aussi évoqué Kassendro. Mais je n'avais pas fait attention.

— C'est pour cela que ma mère est exilée dans sa propre demeure ?

— Comme nous, dame Kalinarinéra a à cœur de te protéger. Elle a sacrifié beaucoup pour ce faire. Jusqu'à ce que ce décret, c'était faisable. Mais là, il faut que tu comprennes Morgane, tu es classée dans les non-purs, cela signifie que tu peux être tuée sans suite grave.

— Toi non plus, tu n'es pas pur, lui rétorqué-je

— Non, mais moi, je suis un serviteur venant des limes, je ne suis pas un fidèle de l'Église.

Je ne peux même plus hériter de la charge de ma mère, Fario sera le prochain Gardien. Je ne suis plus rien. Mon expression a dû trahir mon état d'esprit car je reçois une bourrade sur l'épaule alors que Kim dit :

— Hé, ce n'est pas la fin du monde.

Sa voix semble avoir retrouvé un peu de sa chaleur. Je souris :

— je sais comment arranger tout cela : je vais annoncer à ma mère que je pars chercher mon frère maintenant qu'on sait ce qu'il est devenu. Comme je ne serai pas là, elle n'aura pas à s'occuper de ce décret. Le retour mon frère résoudra tout.

Alors même que je prononce ces dernières paroles, je me rends compte de la naïveté qu'elles contiennent. Kim inspire profondément.

— Tu vas avoir à prendre tes propres choix, énonce-t-il d'une voix distante, mais avant, il faudrait que tu voies l'abbé et Rhinée.

Je m'appuie contre le mur sans vie, qui me repousse comme l'attitude présente de Kim.

— Je pourrai emmener ton neveu aussi, comme ça, il serait en sécurité, tenté-je.

Un sourire illumine ses traits.

— Tu me rendrais un grand service, je te remercie pour l'intention répond-il d'une voix prudente.

Sa réponse me déçoit, je pensais qu'il viendrait avec moi, ou qu'il serait plus enthousiaste. J'attends le "mais".

— Il faut que tu voies l'abbé et Rhinée, tu as beaucoup de choses à découvrir, complète-t-il d'une voix ferme.

— En attendant, je t'aiderai pour Rénio, affirmé-je.

La stridence de ma voix l'alerte. Alors qu'il commençait à avancer vers la suite de l'escalier, il se retourne et me prend dans les bras.

— Tu me manqueras, dit-il en éloignant trop vite sa chaleur de moi. Viens, le soleil est levé.

Ces mots, ciblant mon réconfort, tombent à côté. Kim m'a accompagnée depuis ma plus tendre enfance, remplaçant à la fois la figure de mon frère et de mon père. J'ai toujours su qu'il était l'instrument de ma mère et de l'abbé mais je l'avais occulté, le pensant à mes côtés de façon immuable.

Nous allons tous les deux jusqu'à une porte arrondie qu'il pousse doucement. Je l'observe plus aisément quand nous sommes de l'autre côté. Elle s'intègre parfaitement dans le mur et l'obscurité sous l'escalier la cache très bien. Ce n'est pas l'entrée que j'ai prise hier. Kim s'est éloigné de quelques pas, m'observant d'un œil critique. Va vite te changer me dit-il, on se retrouve dans 10 minutes sur le terrain d'entraînement.

Mon chagrin se mue en rage et l'entraînement est pour moi un exutoire. Je bats Kim à trois reprises. C'est en boitant qu'il s'installe sur notre muret habituel pour découvrir ce que cache le panier qu'a amené Maïeul. Il y a deux gros sandwichs. La mie d'un des pains est parsemé de petits points violets. Il me le tend en silence avec un regard sur le côté. Je le prends sans un mot et nous mangeons de même. J'ai l'impression d'être à côté d'un étranger. Au bout de quelques minutes, Kim me demande de lui parler de la journée d'hier. Comme je précise avec négligence que Fario a été infect comme après chaque visite du représentant de l'Église, son attention s'aiguise.

— Rugar est revenu ?

— Quand nous sommes partis à Taënne, c'était pour que je ne le voie pas, non ?

Il répond en jetant un regard sur le côté, sa façon de me dire de surveiller mes paroles.

— On sort quand on en a besoin ! dit-il tout haut avant d'ajouter, à voix basse : merci pour ta proposition de m'aider, je te ferai signe.

La matinée se passe comme d'habitude, avec Kim me lisant les médas, sous les oreilles, je le devine à présent, indiscrètes du garde Galien. Parfois, mon bonnet me manque.

La Meute des Barbelés [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant