Chapitre 31 - Ménager la chèvre et le chou

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Tandis que j'avance au plus vite en direction de la grande porte, un bruit monstrueux m'électrifie de peur. Un œuf a traversé le reste de plafond dans un fracas épouvantable pour s'écraser devant l'entrée, tandis qu'une pluie de verre et de bitume me tombe dessus. Accroupie au sol, j'ignore la douleur et la voix de Kalen qui scande mon nom, je suis trop sonnée. Je finis par me remettre sur mes jambes vacillantes. L'épaisse fumée me provoque une violente quinte de toux. Malgré le désastre qui se déroule dans le hall, je distingue du mouvement devant moi. Je me remets à avancer. Et je les vois : quatre protosoldats alignés à une centaine de mètres. J'en reste sans voix. Les protos sont des géants de fer bipèdes, possédant en leur centre une protubérance brillante : un miroir sans tain marquant l'emplacement de la cabine de pilotage. Car oui, qui dit proto dit humain à bord. Les terriens entrent en scène aux côtés des drones et des IAM : c'est la dernière ligne droite. Encore une fois, la supériorité de l'Afrique me saute aux yeux. Lee n'avait pas totalement tort. Jamais les armées de cette nation n'ont proposé de partager de telles armes avec Hanoï ni aucune autre base asiatique. En tout cas, pas que je sache. Je comprends mieux les discours acerbes de Lee, même si ça n'excuse en rien la violence de ses opinions envers les Africains.

Les protos couvrent un détachement d'une douzaine d'hommes en tenues marron et casques connectés. Leurs silhouettes engoncées dans des armures de protection paraissent presque surnaturelles. Ils m'ont repérée et avancent dans ma direction en regardant tout autour d'eux, avec une attention particulière pour le vaisseau selcyn échoué entre nous. Je progresse vers eux du mieux que je peux, enjambant les débris en tout genre. Plus que quelques mètres avant d'arriver aux premiers soldats africains. Je bifurque pour contourner l'œuf. Mais au moment où je le dépasse, il s'ouvre. Je jette un regard curieux et me fige. Jofen y est allongé, le visage en sang. Il tend une main vers moi. J'hésite. Un premier humain tire en direction du blessé.

— Éloignez-vous, Docteur ! me hurle l'un d'eux.

— Ne tirez pas ! riposté-je. Il est blessé !

— Cet Alien est dangereux, reculez !

Je ne bouge pas. Les yeux de Jofen sont plantés dans les miens, il a l'air mal en point. Je ne peux pas le laisser se faire tuer sous mes yeux. J'ai déjà causé trop de morts, dont celle de Terk. Je sens alors deux mains m'enserrer la taille. Je crie de surprise avant de comprendre qu'un des soldats d'Alger m'a attrapée pour me ramener vers eux. Un autre s'approche du frère de Kalen, fusil en main.

— Une selcyne ? s'étonne-t-il en voyant le corps féminin de Jofen.

— Qu'importe, lui répond l'homme qui me tient. Tue-la.

Dans un ultime effort, je lance mon talon dans l'entrejambe de mon assaillant. Ne s'attendant sûrement pas à une quelconque résistance de ma part, il se laisse surprendre et relâche sa prise. Il y a une faille dans leur armure à cet endroit, pas très malin.

— Laissez-le ! hurlé-je au deuxième en faisant rempart de mon corps devant le blessé.

— Qu'est-ce qui vous prend ? grogne un troisième soldat en approche. Ils vous ont droguée ?

L'homme au fusil hausse les épaules et tend son arme en direction de sa proie. Sans réfléchir, je lui saute dessus. Le coup part de travers. Les derniers soldats arrivent en courant, et l'un d'eux me saisit brusquement. Je lui colle mon poing dans les mâchoires. Le prochain à se risquer à mes côtés écope de la même sentence. Je les vois alors se reculer. Puis un silence s'installe, les échanges de tirs qui nous surplombent ont cessé. Une ombre passe au-dessus de nous. Je lève la tête et reconnais Cassy-3, ou en tout cas un vaisseau équivalent.

— Besoin de renfort à l'extérieur, grommèle un des soldats en se tenant l'oreille. Bien, compris.

Il se tourne vers les quatre protos pour leur adresser un signe, et ces derniers ressortent immédiatement, sans doute pour affronter ce nouvel ennemi. Dans le même temps, des selcyns en armure intégrale envahissent le hall, pistolets laser en main. Les douze soldats se placent en position défensive, et j'en profite pour me précipiter vers Jofen.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now