Lâchez les chiens

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"Ca n'a pas de sens, pourquoi ne dévoilent-ils pas toutes leurs pièces en virant ? Pourquoi exposer leur navire amiral comme cela ?" Les mains de Haus blanchissent sur ses jumelles, alors qu'il ne comprend pas la tactique de l'amiral français.  

"Amiral, les guetteurs signalent la présence d'autres navires entre les cuirassés français" crie soudain le capitaine.

L'amiral pointe ses jumelles sur l'arrière du Courbet et distingue des sillages supplémentaires.

"Lâchez les chiens !" hurle Boué de Lapeyrère.

Parvenue à 8000 mètres, au signal convenu, la flotte française oblique de 10° sur tribord, un virage insuffisant pour dévoiler l'essentiel de son artillerie, mais qui permet à toute une meute de chasseurs de s'ébrouer.

Camouflés dans l'ombre des grosses unités, les torpilleurs d'escadre  de classe Bisson et Bouclier accélèrent brutalement à 30 nœuds, doublent les cuirassés et se lancent vers la ligne austro-hongroise. Sur les ponts des petits bâtiments, les équipages sont en effervescence et préparent les torpilles, ils doivent parvenir à 800 mètres de leurs pesants adversaires pour lancer efficacement.

Sur la passerelle du Viribus Unitis, Haus se tourne vers son subalterne et crie "Des torpilleurs ! Envoyez les nôtres, ils ne doivent pas parvenir à distance de lancement. Que toute l'artillerie secondaire les cible ! Manœuvres d'évasion" 

Le temps que les ordres soient envoyés , les lévriers français ont parcourus plus de 5.000 mètres, le temps que les premières unités austro-hongroises réagissent et que les premiers tirs des canons de 10 cm retentissent, ils en ont avalé 1500 de plus. 

Sur la deuxième ligne austro-hongroise, les torpilleurs manœuvrent, mais ne peuvent passer entre les navires de ligne sans risque de collision. Contraints de passer derrière la première ligne, ils perdent de précieuses minutes. 

Le long de la coque du Courbet, les traces des obus ennemis se multiplient et tout l'équipage serre les dents à chaque impact, mais le blindage du cuirassé tient bon. Quelques incendies mineurs se sont déclenchés, sans gravité et rapidement maitrisés par les marins.

"Virez à tribord, 25 degrés, feu à volonté !!"

Pendant que les torpilleurs français dévoraient la distance entre eux et la flotte ennemie, l'Armée Navale s'est encore rapproché de plus de 2500 mètres et tourne, maintenant, l'ensemble de son artillerie lourde et moyenne vers la ligne austro-hongroise. Cette ligne, qui manœuvre de façon précipitée, dans l'espoir d'éviter la meute qui se jette sur eux, et dont la visée et la cadence de tir se dégradent brutalement.

Dans la nuée des torpilleurs, lancés à peine vitesse, le Renaudin est soudain touché par une série de projectiles qui perforent sa coque et lui font embarquer des tonnes d'eau de mer. Lâchant une fumée noire, ses moteurs s'arrêtent tout à coup et le petit bâtiment se met à dériver sur tribord, ripostant de ses canons, en un ultime défi.

Les tirs suivants achèvent le courageux navire qui explose et se brise en deux, engloutissant son équipage.

L'auteur de la mise à mort, le Radetzky, n'a guère le temps de se réjouir, le temps passé à achever le Renaudin a permis aux torpilleurs français de se rapprocher dangereusement. Les craintes du capitaine du cuirassé se confirment lorsque les rapides petits bâtiments tournent pour présenter leurs flancs et leurs lance-torpilles, au mépris du feu adverse.

Les Boucliers lâchent 18 torpilles vers la flotte austro-hongrois, les Bissons 20. 38 torpilles filent vers les cuirassés austro-hongrois, alors que les torpilleurs français virent de nouveau pour rejoindre la protection de la flotte. Le Casque et le Cimeterre n'y parviendront pas, le premier est touché par un obus de 305 qui ravage sa poupe et fait détonner ses munitions, le second est criblé par les canons rapides autrichiens et chavire. 

Sur le pont de Radetzky, les ordres sont hurlés pour tenter d'éviter les torpilles qui filent vers le cuirassé et celui-ci commence à tourner, lentement, très lentement, trop lentement. Le capitaine du cuirassé s'accroche à ce qu'il peut alors que quatre torpilles se dirigent vers son navire. 

Le virage lui permet d'en éviter une, d'extrême justesse, mais la deuxième et la troisième touchent le flanc du cuirassé sur tribord avant alors que la quatrième ne fonctionne pas. L'explosion éventre le blindage du bâtiment qui embarque des  centaines de tonnes d'eau de mer et prend rapidement une gite de plus de 20°. A l'intérieur du colosse, les compartiments, mis à mal par les torpilles françaises, cèdent les uns après les autres sous la pression de l'eau. 

Le reste de la ligne austro-hongrois s'en sort, un peu, mieux, mais le Erzherzog Ferdinand Max a également été touché par une torpille, qui a détruit ses safrans et est hors de contrôle.

Le Habsburg a encaissé deux torpilles à bout portant, qui semblent l'avoir désemparé. Depuis le pont du Radetzky, le capitaine voit les marins du Habsburg qui sautent dans la mer Adriatique. Soudain, le vieux cuirassé s'incline et s'effondre, comme une bête touchée à mort. Les cheminées touchent l'eau, dans un sifflement et le cuirassé s'enfonce dans les flots avec le reste de ses marins.

Sur le Radetzky, un lieutenant s'approche du capitaine en secouant la tête, l'eau gagne du terrain et noie compartiment après compartiment. Au moment où il termine sa phrase, l'électricité du bâtiment tombe en panne. Le capitaine donne l'ordre d'évacuer le navire, puis après le départ de son subalterne et des hommes de la passerelle, s'assoit et regarde avec tristesse la flotte austro-hongroise.

Le Viribus Unitis, qui avait viré dès le début, est parvenu à esquiver les deux torpilles qui lui étaient destinées, mais le Tegetthoff n'a pas eu autant de chance. Trois torpilles ont explosés dans ses flancs, alors qu'il tentait de s'écarter, trop tard. Anton Haus regarde avec horreur le sister-ship de son bâtiment, ralentir et prendre de la gite. 

Les pertes sont terribles, le Habsburg a coulé, le Radetzky est en train de suivre le même chemin, le Tegetthoff est, au mieux, hors de combat, de même que Erzherzog Ferdinand Max. Le croiseur Saida, récemment admis au service, n'a pas pu éviter la torpille qu'avait esquivé le Zrinyi et a été coupé en deux. 

Et la flotte française a achevé de virer.


Bataille en mer AdriatiqueWhere stories live. Discover now