Chapitre 36 - Partir sans demander son reste

151 21 19
                                    

Gatien donne un coup de pied à Sam, accroupie près de son beau-père blessé. J'observe la scène comme si j'étais une lointaine spectatrice, je suis si lasse.

— Bougez-vous ! hurle mon ex avant de me pousser dans le couloir que nous avions eu tant de mal à quitter.

Évidemment, je m'effondre lamentablement au sol, tout étourdie et percluse de douleurs. Mei se précipite vers moi. Ses joues sont inondées de larmes qui marquent des sillons dans le sang séché qui recouvre ses joues. Les suppliques désespérées de Sam qui parviennent jusqu'à mes oreilles me font comprendre que Gatien ne lui laisse guère le choix. Les murs tremblent de plus en plus.

Alerte, Alerte, verrouillage des portes de sécurité dans cinq minutes, hurle la sirène en réponse à cette menace.

Purée de chiotte, ça sent vraiment mauvais. Je prie pour que cette intrusion soit l'œuvre de Kalen. Mon esprit retrouve un peu de force à l'idée de le voir arriver pour me sauver, tel un preux chevalier de l'espace. L'image est amusante, et à en juger par le regard surpris de Mei, je n'ai pas retenu mon rire. Mon épuisement vire à la folie, mais au moins, il me rend de plus en plus insensible à la douleur.



— Chose promise, chose due, et je suis un homme de parole, confirma Lee. Est-ce que j'ai réussi à tuer Hassan ?

— Il agonise, mon Général. Beau tir à cette distance.

Mei se met à hurler en se jetant sur mon ex. Il faut quelques secondes supplémentaires à mon esprit divagant pour comprendre qu'il nous a trahis. Je n'en reviens pas. Aucun son ne veut sortir de ma bouche tandis que je vois l'homme que je croyais inoffensif frapper ma meilleure amie avec la crosse de son pistolet.

— Ça suffit, tuons ces deux-là et emmenons le docteur avec nous, intime Lee.

— Je sais tout ce qu'il y a à savoir, Général, déclare Gatien. Nous pourrions juste les laisser là, toutes les trois, à la merci des aliens...

— Elles en savent bien trop, rétorque Lee. Et rien ne nous garantit que les extraterrestres les achèveront. Regardez donc votre ex-petite amie, elle est allée jusqu'à se faire sauter par l'un d'eux pour survivre. Nous n'avons pas le choix, Moussaka. Il est trop tôt pour nous dévoiler aux yeux des Africains. Nous devons détruire les preuves. Débarrassons-nous d'elles et allons achever ce cher Hassan.

Sam ouvre la bouche, sans doute pour crier, mais le son de sa voix est recouvert par un vacarme assourdissant accompagné d'une secousse qui en fait perdre l'équilibre à Gatien. Mei réagit aussitôt et profite du nuage de poussière pour tenter de lui dérober son arme. Mais mon ex est vif et se jette sur elle. Lee en profite pour me saisir le cou afin de me remettre debout. Outch, ça fait trop mal ! Il colle le canon de son arme sur mon front. Je ferme les yeux, attendant l'ultime impact. Mais mon agresseur relâche sa prise pour se débattre. C'est Sam qui essaye de lui arracher le pistolet ! Bon sang, je me sens si inutile dans cet état de faiblesse. Cependant, je rassemble tout ce qu'il me reste de force pour coller mon poing dans la face de cet enfoiré. Il ne vacille que légèrement, mais c'est suffisant pour que Sam prenne le dessus et lui tire dans la jambe.

— Arrête-toi ! crie Gatien.

Nous nous retournons pour découvrir avec horreur qu'il tient Mei en joue.

— Nous devons gagner la cage d'escalier immédiatement ! grogne Lee, à quatre pattes. Finis-en avec ces pestes et filons.

— Vous ne tuerez personne ! ordonne une voix grave derrière moi.

Sortant de la poussière, j'accueille l'arrivée de Kalen avec un soulagement proche de la jouissance. Un son inintelligible s'échappe de ma gorge et je me mets à pleurer. Pour la dignité, on repassera.

Mon Kalen est là, son visage d'habitude si impassible est voilé d'une colère que je ne lui connais pas. Ses cheveux noirs retombent de chaque côté de manière totalement anarchique, lui donnant un air sauvage et dangereux renforcé par sa barbe de trois jours. Il est vêtu d'un simple tee-shirt blanc et d'un pantalon noir qui met bien en valeur son... Enfin bref, je remarque que ce n'est pas une combinaison grise, la tenue de mission officielle. Pourtant, il est armé et braque sur Gatien son laser de combat. Il est accompagné de Jafro et Sayan, habillés de manière tout aussi peu conventionnelle pour une intervention de ce type. D'ailleurs, je me rappelle que mon Viking de l'espace n'est pas soldat, mais scientifique, ce qui explique qu'il tienne son arme de façon moins professionnelle que ses amis. Voilà qui me rassure : je doute que le Grand Consul soit à l'origine de leur venue.

Alerte, alerte, verrouillage des portes de sécurité dans deux minutes.

— OK, grogne Gatien en collant son arme à la tempe de Mei. Je vous reconnais, vous. Vous êtes celui qui se tape ma copine. C'est donc vous, le chef... Alors voilà ce qu'on va faire. Si vous voulez que je laisse la bridée en vie, vous allez nous laisser passer ces portes gentiment.

— Vous la lâchez d'abord, ensuite on vous laissera filer, répond Kalen d'un ton sans appel.

— Lui d'abord, fait mon ex en regardant son complice. Après je lâche la fille.

Kalen acquiesce lentement, mâchoires serrées.

— Bien, souffle Gatien. Général, allez-y.

Cette lavette de Lee ne se fait pas prier pour ramper jusqu'à la sortie. Je remarque que Hassan baigne à présent dans une mare de sang et que sa poitrine se soulève difficilement. Je m'apprête à plaider pour sa cause quand Gatien éjecte Mei sur Sayan. Je le vois alors détaler et, au dernier moment, se retourner et tirer plusieurs coups dans notre direction. J'ignore pourquoi, mais à cet instant, tous mes sens se réveillent et mes réflexes accrus grâce aux séances de flaster décident de se manifester. Je me précipite devant Kalen pour le protéger. C'est étrange, je sens l'impact au niveau de ma poitrine presque instantanément, mais la douleur, elle, attend quelques secondes pour submerger mon corps et mon âme. J'entends K crier mon nom tandis que je tombe à genoux. Sayan s'est remis de sa stupeur pour pousser avec peu de délicatesse une Mei complètement sonnée. Il tente de viser le fuyard, mais il est trop tard, Sam se précipite vers les portes qui se referment avec une lenteur irréelle, à moins que ce soit moi qui fonctionne au ralenti. Elle n'arrivera jamais à temps. Gatien, lui, est hors de danger. Je le vois s'accroupir et mettre une balle dans la tête de Hassan juste avant que les battants scellent définitivement la sortie.

Je bugge complètement, me retrouvant dans l'incapacité d'analyser ce qui m'entoure. Je suis soulevée du sol par Kalen. Il me parle, mais je ne comprends rien, à part une référence aux géants de fer qui s'en prennent à Cassy-3. Les protos, j'imagine. J'ai froid, mais je n'ai plus faim. C'est bon signe ? Je ne pense pas. Au milieu de la brume qui envahit mon champ de vision, je distingue Sayan portant Jafro. Ce dernier est inconscient et couvert de sang. Puis je vois Mei tenter de tirer Sam à la suite des selcyns. La toute jeune lieutenante est en pleurs. Normal. Elle vient de voir son beau-père, et probablement sa seule famille, se faire assassiner sous ses yeux. La trahison de Gatien dépasse l'entendement. Tout comme celle de Kalen envers le Grand Consul, me fait ma petite voix intérieure. Quelle situation inextricable. Je pose ma tête contre le corps musclé de mon sauveur. Sa chaleur suffit à m'apaiser. Je vais enfin pouvoir me laisser aller, parce qu'il est là et que je sais qu'il me protégera.

Corps étrangers [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant