Chapitre 37 - Renaître de ses cendres

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23 juillet 2289 - Base selcyne de Lausanne

Assise sur le matelas de la chambre que je partage avec Sam et Mei, je regarde avec détachement les fines cicatrices qui zèbrent mon bras et qui sont à présent totalement refermées. Je suis vivante, tout le monde n'a pas eu cette chance. Jafro n'a pas survécu à ses blessures. Cette tragédie ne quitte pas mes pensées. Je n'ai encore pas su prendre les bonnes décisions, et le grand selcyn aux boucles dorées en a payé le prix. Gatien ne l'a pas raté : mort sur le coup. Aucun flaster ne peut ressusciter un cadavre.

J'ai pleuré pour lui, sous le regard à la fois sceptique et peiné de Mei. Elle m'observe en silence, ne sachant trop comment se positionner, touchant nerveusement sa peau quasiment cicatrisée. Depuis mon réveil, quelques heures plus tôt, je ne me suis pas montrée très loquace non plus. Tant que j'étais sur Faraday-23, j'arrivais à faire face, à encaisser la succession dramatique des évènements, tenue par l'adrénaline et l'instinct de survie. Mais à présent, je me sens vidée, fébrile, recouverte d'un voile de terreur dont je n'arrive pas à me dépêtrer. Purée de chiotte, je me sens aussi terriblement coupable. Je n'attire que la mort et la douleur dans mon sillage. Aussi bien chez les selcyns que chez les terriens, pensé-je en jetant un coup d'œil à Sam, recroquevillée contre le mur.

Mei m'a informée que nous étions dans une petite base selcyne au milieu des Alpes. L'état de mes blessures et cette sensation de perception accrue de mon environnement ont suffi à me faire comprendre que j'étais passée par la case flaster durant mes heures d'inconscience, avant même que mon amie évoque la machine miracle où il faut se mettre à poil. Elle aussi y a eu le droit, son beau visage ne garde que de légères traces des profondes coupures qui le lacéraient.

Je n'ai pas encore vu Kalen. Je suppose qu'il doit actuellement justifier notre présence, aux filles et à moi, sur cette base, ainsi que la perte de Jafro. Après avoir ouvertement défié le Grand Consul, il a tout intérêt à marcher sur des œufs. D'après Mei, il y avait une femme pilote dans le vaisseau qui nous a ramenés. Pendant que Kalen et les autres nous récupéraient, elle a détruit la quasi-totalité des protos avec une sorte de souffle défensif que nous avions déjà observé à Hanoï. Une femme... ça ne peut être que Jofen, à mon plus grand étonnement. Le frère de Kalen aurait-il basculé dans la révolte ? Plus je me remémore la dureté de ses traits féminins, et moins cela me semble possible. Et pourtant, la description que m'en a faite Sam correspond bien au personnage.

La porte de notre chambre se soulève dans un léger bruit de frottement. Je ne parviens pas à bouger, paralysée par une peur panique. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Que va-t-il m'arriver cette fois ? Kalen fait son entrée : je souffle. Tout va bien. Mei bondit sur ses pieds, tandis que Sam relève la tête. Je peine à faire ralentir mon rythme cardiaque. Je ne vais quand même pas me mettre à stresser chaque fois qu'une porte s'ouvre ? K me rejoint et se met à genoux pour me faire face. Je vois l'immensité de son inquiétude dans ses yeux noisette. Une petite ride creuse son front pour témoigner du souci que je lui donne. Il prend délicatement mon visage en coupe pour le relever. Je peine à soutenir son regard.

— Lily, murmure-t-il. Pourquoi tu as fait une chose aussi stupide ?

Je le regarde sans comprendre. Parmi tous les trucs idiots que j'ai faits dernièrement, duquel me parle-t-il ? Voyant mon manque de réaction, il poursuit :

— Tu t'es jetée sous les tirs de ce dangereux terrien. Tu as failli y laisser la vie... je vous aurai alors perdu, Jafro et toi, en même temps. Je n'aurais pas pu le supporter...

— Je suis désolée pour Jafro, balbutié-je.

— Je préfère ne pas en parler, déclare Kalen sans ciller. Je ne sais pas gérer le deuil et je préfère me concentrer sur toi. Tu es passé à un poil de la mort.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now