Chapitre 1 - L'habit ne fait pas le moine

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8 août 2289 - Cassy-1 - à proximité de la planète Terre

Nous ne sommes pas restés bien longtemps devant ce fichu écran, mais l'image effroyable qu'il projetait ne quitte pas mon esprit : le néant. La stupéfaction se lisait sur les visages habituellement impassibles de tous les selcyns présents. Varely n'a toutefois pas perdu de vue son objectif bien longtemps et nous a rappelé que le Grand Consul nous attendait. Nous sommes repartis. Et nous voilà à arpenter les immenses couloirs de Cassy-1. Si la couleur des murs changent régulièrement, passant du gris à l'orange, puis au violet, la configuration reste la même : l'éclairage se fait par une bande lumineuse située à deux mètres du sol, et les portes blanches s'alignent à égale distance les unes des autres.

Je ne lâche pas la main de Kalen. Il ne dit rien, mais à voir la façon dont il presse mes doigts et sa pâleur extrême, il est en état de choc. Jofen et Sayan sont à peine moins expressifs. Mei est absolument silencieuse, signe évident de sa sidération. Des larmes silencieuses roulent sur les joues chocolat de Sam. C'est elle qui prend la parole en premier pour exprimer à voix haute la question que nous avons tous les six au bord des lèvres :

— Est-ce qu'il restait encore des personnes à Bleiselcyon ?

Varely ralentit quelques instants sa marche avant d'accélérer à nouveau. Il s'est écoulé presque une minute quand il se décide à répondre.

— Vous, l'humaine, vous nous considérez comme des personnes ?

— Si on vous classait dans la catégorie « végétaux », on ne se serait pas précipités vers une mort certaine pour sauver vos miches ! grogne Mei.

Cette fois, Varely pile. Il se retourne d'un mouvement brusque et s'approche de ma meilleure amie. Sa coupe militaire et ses yeux plissés lui confèrent une aura d'autorité malgré son horrible combinaison vert sapin, typique de la première garde du Grand Consul. Son visage de marbre ne trahit pas la moindre émotion, mais d'expérience, je sais qu'il ne s'agit que d'une façade. Notre tornade brune ne se laisse pas démonter. Elle se redresse de toute sa petite taille et fixe sans ciller le grand brun qui lui fait face. Jofen vient alors se placer à côté d'elle, le visage menaçant. Varely paraît surpris. À vrai dire, il n'est pas le seul. Jofen et Mei ne sont pas pour ainsi dire en très bon terme. Je veux interroger Kalen du regard, mais il est concentré sur la scène qui se joue sous nos yeux. L'homme du Grand Consul finit par se reculer pour mieux nous regarder. Tous les six.

— Plusieurs milliers, finit-il par lâcher. Sur presque dix millions de... personnes, j'imagine que nous pouvons nous estimer heureux. Malheureusement, pour un peuple dans l'incapacité de se reproduire à grande échelle, ce nombre est déjà bien trop important.

— Vous avez entamé le projet couveuse ? m'étranglé-je.

— Vous n'êtes pas habilité à recevoir de genre d'information, docteur Ferrat, m'informe Varely avant de regarder à nouveau tous les membres de notre petit groupe. Aucun de vous n'est plus habilité à cela. Même si vous avez sauvé un grand nombre de selcyns, vous restez des fous pour les uns, des ennemis pour les autres. Une minorité vous considère comme... peu importe. Vous êtes des cibles à abattre. Venez, nous avons perdu trop de temps. Le Grand Consul n'apprécie pas qu'on le fasse attendre.

Et nous repartons en silence. J'essaye de faire le tri dans le flot de mes pensées. Oui, plusieurs milliers de victimes chez un peuple appelé à disparaître, c'est énorme. Oui, le projet couveuse a bel et bien démarré, autrement Varely aurait parlé d'incapacité à se reproduire sans ajouter à grande échelle. Je ne peux retenir une grimace de dégoût. Je me doutais bien que Tavira n'était pas la seule base à posséder un laboratoire dédié à cette écœurante ambition, mais en avoir la confirmation est une chose différente. Je suis prise de légers vertiges que j'attribue dans un premier temps au choc de ces révélations. Mais derrière moi, Mei trébuche au moment même ou Sam se plaint de nausées. Même les garçons semblent perturbés.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now