Chapitre 12 - Trop beau pour être vrai

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21 août 2289 - Cassy-1

Bien que le flaster ait fait grand bien à Kalen, ce n'est toujours pas la forme olympique. Son pas est moins assuré que d'habitude, de légers tremblements agitent ses membres je remarque une difficulté à se concentrer qui passerait presque inaperçue... si je ne le connaissais pas si bien. Cependant, il n'émet aucune protestation et se propose même de me porter lorsque ma blessure se met à me ralentir sérieusement. Évidemment, je refuse. Évidemment, il insiste, et finit par me prendre la main. Je pense que nous marchons au moins trois heures, peut-être plus, passant par de petits couloirs secondaires et des réserves en tout genre. Les complices de Varely refusent que nous empruntions les navettes qui doivent, selon eux, être surveillées, tout comme les allées principales. L'ennemi semble partout, du moins c'est ce que je fais remarquer aux deux hommes. Nous apprenons alors que la première garde reçoit le soutien d'une partie de la population de Cassy-1 et qu'il devient difficile pour les rebelles de savoir à qui se fier. Lorsque je demande si, au contraire, d'autres selcyns ont rejoint la résistance, le bref soupir d'un de nos accompagnateurs ne me rassure pas beaucoup. Visiblement, Ranissa et ses alliés s'attendaient à plus d'engouement. Difficile pour un peuple privé de son libre arbitre de saisir sa chance. Nous apprenons tout de même que l'immense majorité des habitants du vaisseau-mère adoptent une neutralité indécise et perplexe.

— La neutralité est un premier pas vers la désobéissance, conclut Kalen en pressant ma main.

Peut-être...

Nous arrivons enfin dans une zone sombre qui semble être une sorte d'usine de pièces détachées. Les personnes qui travaillent ici ne le font clairement pas dans de bonnes conditions : fortes odeurs, vacarme démentiel, manque de lumière... ils appartiennent forcément à des castes inférieures (les Scalts ?), et sont, sans surprise, des partisans de la rébellion. J'apprends que la très grande majorité des ouvriers sont à l'origine des femmes ayant glissé dans des corps aussi bien féminins que masculins, à l'image de Houlm. Je me rappelle que ce dernier n'avait pas eu le choix : les selcyns ont dû procéder à un maximum de glissements en un minimum de temps pour s'établir sur Terre, et la plupart de leurs prises étaient des hommes. C'est pourquoi beaucoup de selcynes sont à présent prisonnières de corps masculins. Inversement, dans un but expérimental, quelques rares soldats Borls comme Jofen ont été contraints de procéder à des tests pour éprouver les limites des deux sexes, et se sont vu attribuer des réceptacles féminins... sans savoir qu'il leur faudrait attendre huit ans pour procéder à un nouveau glissement sans risquer de mourir. Bref, la notion d'hommes et de femmes est plus que floue.

Les travailleurs lèvent le nez à notre passage (j'ignore comment ils parviennent à nous entendre dans ce brouhaha mécanique). Leurs regards inexpressifs se posent sur nous avant de retourner à leur tâche : pas de haine, pas de joie, ni même un minimum de curiosité. Je suis terriblement mal à l'aise. Nous nous éloignons enfin de cette immense usine pour arriver dans une zone réservée au personnel, puis nous empruntons une échelle et finissons, trois pièces en enfilade plus tard, dans une salle où s'entassent de manière anarchique des vis, écrous, câbles ou tuyaux probablement défectueux.

— D'ici six heures terriennes, nous passerons en service de nuit, nous apprend le grand black aux épaules de lutteur.

Les termes de jour et de nuit me paraissent bien étranges dans un vaisseau spatial, mais je ne relève pas. Le selcyn poursuit :

— Il y aura moins d'agitation, du moins nous l'espérons, et les gardes encore en poste seront concentrés sur les sabotages de nos vaillants alliés. Je viendrai vous chercher pour vous escorter jusqu'au hangar des mini-Cassy. En attendant, reposez-vous. À tout à l'heure.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now