Chapitre 21 - Comme un cheveu sur la soupe

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24 août 2289 - entre Brasilia et Faraday-51

Je me cramponne à la main de Kalen comme une moule à son rocher. J'ai peur, c'est la première fois de ma vie que je monte dans un hélicoptère, et en plus, j'ai les yeux bandés, ce qui ne fait qu'augmenter mon stress. Je sens Malyan se tendre sur mon autre bras. Elle ne dit rien, mais je sens qu'elle est terrorisée. J'espère qu'elle ne regrette pas son choix de nous accompagner. Le Maréchal prend vraiment beaucoup de précautions, preuve qu'il n'est toujours pas certain que Malyan, Kalen et moi ne soyons pas des espions ou des terroristes. Théoriquement, je comprends. Mais dans la pratique, je me sens juste humiliée de me faire trimballer ainsi, privée de mes sens. Malyan et Kalen se montrent bien plus coopératifs que moi, au grand étonnement des hommes et des femmes qui nous entourent. Le point positif du bandeau, c'est que nous n'avons pas eu à subir bien longtemps les regards tantôt curieux, tantôt réprobateurs des Brasiliens.

Les hélices ronronnent au-dessus de nos têtes. Nous sommes en route pour Faraday-51 et la seule chose qui m'empêche de devenir folle, c'est de savoir que je vais revoir Mei, Sayan, Jofen et Sam. Le voyage ne dure pas bien longtemps. Peut-être un quart d'heure s'écoule avant que je sente l'hélico perdre en altitude. La main de Kalen se resserre davantage sur la mienne : il est nerveux, mais petit joueur à côté de notre amie rebelle qui enfonce ses ongles dans mon avant-bras.

— Tout va bien se passer, les rassuré-je d'une voix que je veux ferme.

— Je ne garde pas un bon souvenir des deux bases Faraday que j'ai visité, répond K.

— Je comprends. Ce sera différent ici. Faraday-51 est la base du maréchal des Nations-Unies.

— À quoi correspondent les numéros des bases ? demande Malyan d'une voix légèrement tremblante.

Je sens qu'elle veut parler pour éviter de trop cogiter. La turbine de l'hélico n'émet qu'un bourdonnement plutôt discret, facilitant la discussion. Je prends une grande inspiration pour lui répondre.

— Les numéros correspondent à l'emplacement géographique. Faraday-1 est à Pékin, car c'est là-bas que ces bases ont été conçues. Les bases une à douze se situent en Grande Asie et dans l'Empire russe. La douzième, à Kiev, fut la première détruite par les armées selcynes. La seconde étant Faraday-4, à Hanoï, attaquée par Kalen et une de ses divisions. De treize à vingt-deux, ce sont les bases européennes. Elles sont nombreuses, car les régions de cet État-nation en voulaient toutes une. Ironique quand on sait que c'est aussi là que les selcyns se sont établis. Nous n'avons aucun contact avec la plupart d'entre elles, on les suppose inhabitées.

— Je n'ai pas connaissance de bases enterrées à proximité de nos villes, réfléchit Kalen. Hormis une située dans une région nommée Roumanie.

— Il n'en reste plus rien, si tu veux mon avis, fait Malyan avec son franc-parler habituel.

— Je ne suis pas vraiment surprise. De Faraday vingt-trois à trente-six, c'est l'Afrique Réunifiée. Il y en a peu par rapport à la superficie, car l'Afrique est le dernier État-nation à avoir vu le jour. Au moment du Grand Chaos, un programme civil envisageait de doubler leur nombre. De Faraday-37 à Faraday-45, nous sommes en Amérinord, et enfin, de Faraday-46 à Faraday-59, c'est l'Amérisud.

— Rien sur ce que vous appelez l'Océanie ? s'étonne la brunette.

— Autrefois, l'Océanie était composée de nombreuses îles qui ont presque toutes disparu avec la montée des eaux, expliqué-je. Et l'Australie est devenue un désert géant. C'est une île d'exil pour les prisonniers condamnés à perpétuité depuis... une vingtaine d'années.

— Je vois.

Au même moment, l'hélico heurte le sol et Malyan n'est pas loin de me briser les os. Fichus bandeaux, si au moins on pouvait anticiper ce genre de mouvement.

Corps étrangers [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant