Chapitre 28 - Briser la glace

69 12 21
                                    

29 août 2289 - campo Santa Maria, Papuda

Je sens Paola se tendre, bien qu'aucune plainte ne sorte de sa bouche. Je m'excuse une nouvelle fois et adoucis mon geste. La petite métisse à la chevelure cuivrée est venue me réclamer une coiffure après avoir vu ce que j'avais fait de la tignasse de notre viking de l'espace, à savoir Sayan. Mais elle n'a pas assisté aux coulisses, ce moment où mon ami ne cessait de geindre parce que je lui arrachais le cuir chevelu. Je reconnais que je suis loin d'être aussi douée que Mei ou Sam en tressage, mais aujourd'hui, j'ai besoin de m'occuper les mains. Trois jours ont passé depuis notre entrevue avec Duarte. Depuis, les évènements se sont enchaînés.

Pour commencer, Mei et Jofen sont allés réclamer une chambre pourvue d'isolation phonique pour Kalen et moi. Je passerai rapidement sur ce moment de honte intergalactique, à son apogée lorsque Sayan a tenté de théoriser notre cas. Il a récolté une proposition sulfureuse de la part de Mei, et ma plus belle grimace.

Deuxièmement nouvelle, plus sérieuse : Kalen a réussi à engager la conversation avec une vingtaine de bases selcynes. Il ne dévoile que prudemment ses intentions, mais le nombre de nos alliés augmente progressivement. Un mouvement parallèle à celui des rebelles s'est mis en place, car soyons clairs : les Borls, cette caste de soldats dévoués, ne souhaitent pas mourir sur cette planète. Mais ils ne sont pour autant pas encore prêts à voir leur modèle de société se disloquer. Bref, Kalen a été nommé chef implicite de cette armée parallèle, ni rebelle, ni fidèle au Grand Consul. J'ai encore du mal à digérer l'info. Kalen a accepté le poste, mais j'ai senti à quel point cette décision lui pesait.

Troisièmement, en quatre jours, nous avons observé une véritable évolution dans les comportements des Brasiliens à notre égard. Merci Paola. La petite fille n'a cessé de me pister pour me saluer ou m'inviter à venir boire un verre avec ses parents. J'ai fini par accepter de venir les aider à stériliser les bocaux qui serviront à la conservation des légumes récoltés. Jofen m'a accompagnée, contrairement à Mei ou Sam qui étaient aux abonnés absents à ce moment-là (elles mijotent un truc ces deux-là, tantôt à se disputer, tantôt à se lancer des regards ardents).

Avec Jofen, nous avons immédiatement apprécié la compagnie de Jarod et Nema, les parents de Paola. Nema est originaire d'Haïti, et Jarod du Québec (et non pas d'Europe du nord comme je me laissais penser ses cheveux blonds et ses yeux bleus). Nous avons parlé sans pression, sans malaise. Tous deux forment un couple mixte qui a subi le racisme d'un côté comme de l'autre. Comme vous, m'a soufflé Nema en faisant allusion au dégoût que provoque ma relation avec Kalen. Nous sommes victimes de la même maladie, celle qui finira par avoir notre peau : l'intolérance. Nema m'a confié avoir été la cible d'attaques xénophobes. Je n'ai pas osé lui demander si c'était la raison de sa blessure. De près, il est évident que sa jambe droite forme un angle étrange.

Jofen a ensuite longuement expliqué l'impitoyable système de castes de son peuple et sans que nous ayons vu le temps filé, la lumière du soleil a commencé à décliner. Le lendemain, Nema a souhaité rencontrer Kalen. Nous avons fait un tir groupé puisque nous avons débarqué à sept dans leur minuscule appartement. Par manque de place, nous avons migré vers les terrasses extérieures et en moins d'une heure, d'autres habitants nous ont rejoints. D'abord frileux à l'idée de trop s'approcher des garçons (bizarrement, Malyan les inquiète nettement moins), il aura suffi qu'un de leur aîné se lance pour que mes amis se retrouvent mitraillés de questions. Paola nous a présentés à ses copines qui nous ont entraînées, Mei et moi, dans une partie de jeux à l'élastique (note pour moi-même : malgré le flaster, je suis à peine plus endurante que des gosses de six ans). Malyan s'est prise de tendresse pour un chien du campo, nous expliquant que c'est presque pareil qu'un chat. Cette remarque a fait sourire les propriétaires, un couple de personnes âgées, et un dialogue s'est noué entre eux. Bref, sans dire que nous sommes pleinement acceptés par nos nouveaux colocataires, l'ambiance est bien plus apaisée depuis que la glace a été brisée avec une partie de la population.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now