2 . Monstres

Depuis le début
                                    

   Son annonce fut suivie par un léger tremblement de terre, si l'on en jugeait par les tressautements de la caméra et la soudaine angoisse sur les visages.

Ça commence à devenir intéressant, songea Oria.

   Les soubresauts se répétaient, tout d'abord légers puis insistants, avec une régularité alarmante. Des hurlements de terreur les accompagnaient dans leur marche funèbre, presque macabre. D'autres cris, cette fois-ci à résonance animale, s'élevèrent de derrière une barre d'immeubles, cachés des lumières des véhicules.

   L'hélicoptère jugea utile d'aller à leur rencontre.

Erreur.

   Une forme jaillit de la nuit si vite, qu'elle ne fut qu'une tâche de ténèbre. Une tâche avec des dents immenses qui arrachèrent l'engin à sa gravité. Oria se pencha un peu plus, elle avait l'impression de regarder un film d'action. Mais où était le héros qui venait sauver les foules ?

   La caméra pivota un peu trop brusquement pour paraître un mouvement normal et détendu. Devant eux, des ombres énormes sortaient d'une petite rue dans de grands bruits de pas. Leurs yeux étaient rouges et brillants, à moitié cachés par une crinière de lion d'un blanc immaculé. Leur taille était telle qu'ils devaient défoncer les murs du petit passage qu'ils avaient emprunté à grands coups d'épaules pour avancer. Ils mesuraient au moins trois bon mètres.

   Mais l'obscurité les cachait en grande partie. Tous les projecteurs de lumières se tournèrent vers ces créatures, révélant leur identité.

   Devant la foule et toutes les personnes qui regardaient la télé, se tenaient quinze lions d'une taille effrayante. Mais le plus étonnant était leur posture : debout. Ils étaient debout sur leurs pattes arrières.

   Celles de devant servaient plus de mains que de "pattes" à proprement parler. Elles tenaient fermement des armes adaptées à leur taille démesurée : haches ornées de pics, épées faisant la taille d'un des policiers, lances aiguisées...

   Ce qu'on pourrait tout aussi bien qualifier de peau que de pelage était blanc comme neige. Leurs griffes polies reflétaient si bien la l'éclat des phares, que la caméra de télévision captait des étincelles de lumière dérangeantes pour les yeux des téléspectateurs.

   Ils arboraient des espèces d'armures faites de cuir et d'acier dont les surfaces lisses étaient ornées de fils d'or représentant de belles courbes s'enroulant sur elles-mêmes ou de pierres. Pour certains, des dents disproportionnées agrémentaient leurs épaulières ou leurs protèges tibias.

   Leur queue se balançait de droite à gauche comme s'ils étaient excités à l'idée du carnage certain qui allait advenir. Des bandes de cuir brun, décorées de ses mêmes lignes d'or, recouvraient leurs poignets. Leurs oreilles frétillaient sur leur tête fièrement dressée et décorée de traits de peinture noire et rouge.

  - On dirait des autochtones du chaos, pensa tout haut Oria dans un élan de poésie qui ne collait pas à la situation. A vrai dire, elle ne prenait pas vraiment conscience de la gravité de cette apparition morbide.

   Chose étrange, ils avaient les yeux orangés, humains, et pourtant emplis d'une haine sans nom.

   Ils étaient tout aussi magnifiques que inquiétants. On entendit plusieurs cris de stupeur.

Mais qu'est-ce que c'est ???

   La créature de tête, sans doute le chef de la bande, fronça le museau, découvrant deux rangées de crocs luisants. Il rejeta sa tête en arrière et lança un énorme rugissement, comme pour donner le signal du début du massacre.

Oh mon Dieu !

   Horrifiés, les policiers restants déchargèrent leurs mitraillettes sur les créatures qui grognèrent de douleur et se recroquevillèrent sur elles-mêmes. Leur chef fléchit soudain et se jeta sur les véhicules dans un crissement de griffes, sans se préoccuper de son museau couvert de sang. Après quelques hésitations, les autres suivirent en rugissant.

   Au même moment, la porte du petit appartement d'Oria s'ouvrit à la volée sur une femme paniquée, lui faisant faire une mini crise cardiaque.

  - Suis moi ! lui hurla-t-elle presque à la figure. Il y a des monstres dans le quartier de Catherine, je viens de l'avoir au téléphone et apparemment il y en a partout ! Il faut se cacher à la cave avec les autres si on ne veut pas finir en chair à pâté !

   Tout en criant et en gesticulant, elle empoigna le bras de l'adolescente et la força à la suivre. La jeune fille n'aimait pas quand sa mère se mettait dans cet état. D'ordinaire, elle était toujours très attentionnée, douce et calme. Elle ne la reconnaissait presque plus.

   Mais elle consentit enfin à y mettre un peu du sien quand ses yeux se posèrent sur l'écran de la télé.

   Le journaliste qui tenait la caméra l'avait laissé tomber, donnant un drôle d'angle au cadrage. Oria dût pencher la tête sur le côté pour voir avec terreur les créatures qui vomissaient des flammes sur les gens, ou les déchiquetaient à l'aide de leurs armes géantes.

Le Chant des Âmes fantômesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant