2. Ça ne m'empêchera pas de gagner !

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 Un doux soleil printanier réchauffait le jardin fleuri de l'établissement. Les murs blancs s'ouvraient sur des parterres enivrants, tandis que des bancs de fer se reposaient à l'ombre de bouleaux bourgeonnants.

Jean-Hubert avait, certes, d'autres considérations que la météo, mais sa quête patinait, de toute façon et peut-être le temps chaleureux lui offrirait-il un tant soit peu d'inspiration pour sa quête. Depuis trois jours, la photographie ne lui évoquait toujours rien de plus, quand bien même il s'évertuait à rechercher le moindre détail d'intérêt. Et ses conversations avec le sage en blouse blanche ne l'éclairaient pas davantage.

« Raah, ça m'énerve ! »

Qui était cette femme ? Qui était cet homme ? Qui était ce SDF, au coin d'une rue, à demander une pièce ? Qui était ce trio de pigeons, occupés, depuis une poubelle, à tourner leurs têtes en direction de la caméra, comme les acteurs d'une pochette d'album de rap ?

Il plissa les yeux. Globalement, la qualité de l'image laissait plutôt à désirer. Cet intervenant, certes loin dans l'arrière-plan, aurait pu tout aussi bien être un lapin géant que le Premier ministre néo-zélandais. Ou peut-être les deux, il n'avait jamais vu l'un comme l'autre, de toute façon.

La boîte en carton était bien la sienne, et la femme lui renvoyait toujours cette désagréable sensation de déjà-vu. Pourtant, comment aurait-il pu oublier personne aussi élégante, distinguée et, sans nul doute, brillante ? Tout, sur l'image, criait son statut de protagoniste. Des yeux pétillants, des gestes assurés, une argumentation enflammée. Un peu comme lui, en fait, mais sans la moustache. Un statut que confirmait par ailleurs la légendaire boîte en carton. Au contraire, l'homme contrastait, lui, par sa fadeur de PNJ. Engoncé dans un imperméable au noir délavé, les yeux un peu rougis, presque apathiques, ses cheveux châtains retombaient en pagaille jusque sur ses épaules. Une barbe foisonnante mangeait son visage négligé. Et pas de moustache : une impardonnable faute de goût. Un personnage sans grand intérêt, donc, qui n'accomplirait rien d'exceptionnel. Que faisait-il ici, pourquoi discuter avec celle qui aurait pu être l'héroïne, si Jean-Hubert ne l'avait pas déjà été à sa place ? Lui demandait-il de retrouver le marteau de son grand-père qu'il avait fait tomber deux mètres plus loin ?

Bref, il n'était toujours pas beaucoup plus avancé.

Jean-Hubert reposa le cliché, considéra sa précieuse boîte en carton, avant de laisser son esprit vagabonder dans l'après-midi de la cour intérieure.

Certains flânaient entre les allées, d'autres, comme lui, se reposaient sur les bancs, le regard parfois vide.

Pourquoi ne se souvenait-il donc de rien ? Depuis combien de temps la boîte en carton avait-elle commencé cette quête, en fait ? Qu'avait-elle vécu, qu'il ignorait pourtant ? Hélas, comme toutes les boîtes en carton, elle se murait dans une silencieuse indifférence. Aussi, Jean-Hubert, s'il voulait des réponses, n'aurait, sans doute, nul autre choix que de retrouver, à terme, les personnes de la photographie. Pour autant, Bernard Aurame modérait son enthousiasme aventureux.

Peu importait. Les mystères finissaient toujours par trouver explication, non sans avoir quelque peu pimenté les quêtes qu'ils assaisonnaient, comme des herbes de Provence sur un steak bien cuit.

Ses yeux s'arrêtèrent sur le quadrillage noir et blanc d'un plateau d'échecs. Une jeune femme déplaçait les pièces sans interruption, un camp après l'autre, puis, arrivée à la fin, balayait le champ de bataille, et recommençait, inlassable.

Jean-Hubert, intrigué, rangea sa photographie, attrapa sa boîte en carton, et se décida finalement à s'approcher. La jeune femme s'arrêta, l'espace d'un instant.

EnversWhere stories live. Discover now