Nous deux dans la tempête

10 1 0
                                    

N'importe quoi aurait pu déclencher l'après.

Des élections, une révolte, une guerre, une catastrophe naturelle, au point où on en était, la société était déjà au bord de la falaise, prête à tomber. Un souffle de vent était tout ce qu'il fallait.

Certains matins, tu étais dans ces humeurs-là, à délivrer des poèmes sur la fin, sur l'après. Tu te tenais debout dans la cuisine, devant la fenêtre, un café à la main. Tu regardais sans les voir les toits de l'autre côté de la cour. En été, tu portais juste un caleçon, et en hiver un pull trop grand et troué.

Je me moquais un peu de toi. Tu pinçais les lèvres et te retournais pour échanger nos tasses. La tienne vide contre la mienne encore pleine.

Un jour, je ne me suis plus moqué de toi.

C'est arrivé par vagues, mais j'étais aveugle, parce que nous, chez nous, derrière la porte de notre appartement, nous étions encore protégés.

Un soir en sortant du métro, je me suis fait agresser. Rien de très grave, juste un coup, un coup qui aurait pu me faire dévaler les escaliers la tête en arrière.

Un "Les pédales doivent tous cramer !

Je ne voulais pas t'en parler.

Quand je suis arrivé, tu étais déjà rentré. Alors qu'habituellement, tu ne revenais pas du travail avant le milieu de la soirée. Tu étais dans la cuisine, regardant par la fenêtre, une tasse de café à la main.

"J'ai été viré", tu as dit sans te retourner.

La tempête a éclaté.

Les valises, le strict nécessaire d'abord, puis quelques ustensiles qui pourraient servir.

"Je connais quelqu'un qui a une ferme, un lieu partagé", j'ai proposé.

Moi l'employé modèle, jamais un mot plus haut que l'autre, et jamais, au grand jamais de poignet cassé et de rire trop aigu au boulot. Moi, j'avais ce pote de promo, un peu bizarre, très anar.

Ton licenciement, mon agression, les attentats, la nourriture beaucoup trop chère et dans tout cela cette pluie qui n'en finissait pas de tomber.

Tu as mis une dernière fois nos deux tasses dans l'évier de la cuisine.

"Comme ça, il restera des traces de nous", tu as dit.

Et puis elles prenaient trop de place dans nos affaires, remplacées à la dernière minute par une cafetière italienne et deux boîtes de biscuits retrouvés au fond d'une armoire.

Les tasses étaient pourtant personnalisées. Personne ne les avait jamais vues à part nous deux.

Mauve pour Julien.

Orange pour Désiré.

Elles étaient si laides et si belles.

Avant de sortir, tu as pris ma main dans la tienne et on a serré très fort.

C'était juste avant l'après.

Et nous allions survivre.

Você leu todos os capítulos publicados.

⏰ Última atualização: Jun 22, 2024 ⏰

Adicione esta história à sua Biblioteca e seja notificado quando novos capítulos chegarem!

Un mois, Cinq histoiresOnde histórias criam vida. Descubra agora