Le visage de son père était fermé, son regard durci par une détermination implacable. Ses yeux, lorsqu'il daigna enfin les lever vers elle, étaient froids, presque inexpressifs, comme ceux d'un homme qui avait renoncé depuis longtemps à toute forme de tendresse. Il n'y avait aucune trace de la chaleur paternelle qu'elle avait autrefois connue, seulement une résignation cruelle face à une réalité qu'il considérait désormais inévitable.
Jeanne s'approcha de la table avec une lenteur mesurée, s'efforçant de garder la tête haute malgré le tourment intérieur qui la consumait. Elle prit place en face de son père, la table les séparant comme une barrière invisible, symbolisant la distance grandissante entre eux. Le bois usé de la table portait les marques de décennies de vie familiale, mais en cet instant, il semblait être le seul point d'ancrage dans un monde qui s'effondrait autour d'elle.
Elle croisa enfin le regard de son père, et la froideur qui s'y trouvait la frappa de plein fouet. Il n'y avait aucune douceur, aucune compassion, seulement cette dureté implacable, celle d'un homme qui avait décidé que les sentiments n'avaient plus leur place dans les choix à venir.
« Tu as pris ta décision, Jeanne ? » Sa voix était aussi froide que l'air extérieur, tranchante comme une lame. Chaque mot était pesé, dépourvu de toute émotion, comme s'il se contentait de poser une question dont il connaissait déjà la réponse.
Jeanne sentit un frisson parcourir son échine. Elle baissa les yeux un instant, observant ses mains posées sur la table, les doigts crispés sur le tissu de son châle. Une vague de tristesse l'envahit, mais elle la repoussa, sachant qu'il n'y avait plus de place pour les larmes ici. Elles ne changeraient rien, ne feraient que retarder l'inévitable.
Elle releva finalement la tête, croisant de nouveau le regard de son père. Son visage, bien que marqué par la douleur, était résolu. « Oui, père. J'accepte. » Sa voix était basse, presque un murmure, comme si prononcer ces mots lui arrachait une partie de son âme.
Le soulagement dans les yeux de son père fut perceptible, même s'il le masqua rapidement derrière un masque de sérieux. Il hocha la tête, confirmant par ce geste qu'il considérait la question réglée. Pour lui, il n'y avait plus de place pour les doutes ou les regrets. Il avait fait ce qu'il croyait être juste pour leur survie, et désormais, ils devaient tous deux avancer sur ce chemin qu'il avait tracé pour eux.
« C'est bien, Jeanne. Tu as fait le bon choix. » Sa voix ne laissait aucune place à l'interprétation. Il ne voyait pas ce mariage comme une option, mais comme une nécessité, une obligation dictée par les circonstances.
Mais au fond d'elle-même, Jeanne savait qu'elle venait de perdre quelque chose de précieux, quelque chose qu'elle ne pourrait jamais récupérer. En acceptant ce mariage, elle avait enterré ses espoirs, ses rêves, et son amour pour Henri. Tout cela appartenait désormais au passé, et elle devait se préparer à une vie qui ne serait plus que survie, dépouillée de toute passion, de toute liberté.
La conversation s'acheva aussi brusquement qu'elle avait commencé. Son père se leva de la table, emportant avec lui la tasse vide, laissant Jeanne seule dans la cuisine, face à la réalité de la décision qu'elle venait de prendre. Le bruit de ses pas résonna dans le couloir, s'éloignant peu à peu, jusqu'à ce que la porte de l'étable se referme derrière lui, la laissant dans un silence oppressant.
Jeanne resta assise un moment, le regard perdu dans le vide. La maison, autrefois remplie de rires et de chaleur, lui paraissait désormais froide et étrangère, comme si le lien qui la rattachait à ce lieu avait été brisé avec cette décision. Elle sentit une larme rouler lentement sur sa joue, mais elle ne l'essuya pas. Elle la laissa couler, jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans les plis de son châle. C'était la dernière qu'elle s'autorisait, la dernière preuve de son ancien moi, celui qui croyait encore aux rêves et à l'amour.
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Sous le Manteau de la Guerre
RomanceEn 1943, un village breton est enveloppé par la guerre et la désolation. Les jours se fondent dans un gris morne, et les cœurs sont lourds de douleur. La jeunesse du village est déchirée par l'appel au front, et les familles se battent pour survivre...
Chapitre 9 : Le poids des chaînes invisibles
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