Chapitre 10

Depuis le début
                                    

Elle prononce chacun de ses mots la voix tremblante et en pleurant. Son choix a dû être atroce : choisir entre les personnes qui lui ont permis d'enfin se sentir à sa place ou une vieille dame qui prétend être sa grand-mère. J'ai peur qu'elle découvre que rien n'est vrai. J'ai peur que les autres personnes du Centre ne lui pardonnent pas.

Un silence pesant règne sur la salle. Personne ne bouge. Les regards sont tous braqués sur Jeanne qui, n'arrivant pas à les soutenir,garde la tête baissée. Soudain, Ana se lève et se dirige vers elle. Il est impossible de savoir si elle va lui hurler dessus ou lui sauter dans les bras.

Elle ne fait rien de tout cela. Elle lui prend simplement la main,pleurant toujours.

-Écoute. Je t'en veux de vouloir partir. Je t'en veux de m'abandonner. Mais tu sais quoi ? Je suis fière que tu aies encore assez de courage et de volonté pour croire en ta famille. Je suis heureuse qu'enfin, peut-être, tu pourras connaître son histoire et surtout en faire partie. J'espère que tu ne nous oublieras pas.

Elles se prennent dans les bras. Quelqu'un demande :

-Comment vas-tu faire avec la police ?

-On va aller les voir ensemble, on trouvera bien une solution. Je sais que ce ne sera pas facile mais je suis prête à tout. J'ai confiance en elle.

-Quand pars-tu ? Demande Ana.

Jeanne regarde sa montre, pousse un soupir et répond :

-Dans dix minutes.

Tout le monde se lève alors pour les rejoindre. Certains pleurent,d'autres essaient de faire bonne figure. Une chose est sûre :ils sont tous blessés par son départ. Tristan les rejoint et la prend dans ses bras. Nathan et Apolline font de même. Nathan pleure toutes les larmes de son corps.

Je les rejoints quelques secondes plus tard et dit à Jeanne :

-Je suis déçue de ne pas avoir eu le temps de mieux te connaître.

-Ne t'inquiète pas pour ça, elle me répond. Je compte venir vous rendre visite quelques fois.

Tout le monde l'embrasse et personne ne la retient. Personne ne pense à autre chose mis à part elle. Elle, qui va enfin réaliser son rêve :rencontrer sa famille. Ce serait affreusement égoïste qu'on lui reproche cela. Je suis heureuse pour elle, comme tout le monde. Elle remercie Tristan un long moment pour tout ce qu'il a fait pour elle,pour avoir mis sur pieds le Centre et le prie de ne surtout jamais abandonner.



Après ses adieux, Jeanne quitte la pièce sous les pleurs de pratiquement tout le monde. Elle ne se retourne pas. Elle est déterminée à prendre sa vie en main sans se cacher. J'éprouve en ce moment même de l'admiration pour elle. Oui, foncer la tête baissée avec pour seul raison l'espoir est admirable. Nous avons tous fait cela pour le Centre, mais je pense que c'est différent. La déception qu'elle ressentira si tout ce qu'elle espérait est en réalité un mensonge sera beaucoup plus profonde que si j'avais réalisé que le Centre n'était que pur invention.

Lorsque la porte se referme sur sa silhouette, personne n'émet un son.Peut-être espèrent-ils qu'elle fera demi-tour en ayant changé d'avis. Elle nous a dit qu'elle viendrait nous rendre visite mais personne ne se fait d'illusion. Lorsqu'elle sera heureuse dans sa maison,elle nous oubliera.



Au bout d'un moment,sans rien dire, tous les enfants commencent à partir de la salle.Certains se dirigent vers les chambres, d'autres vers l'extérieur.Tristan, Nathan, Appoline, Ana, Morgan et moi restons seuls. Nous sommes assis à la table, le regard dans le vide. Ils ont tous les larmes aux yeux, luttant pour les contenir. Je pense que s'ils recommencent à pleurer, ils mettront des heures pour s'arrêter.

- Elle va tellement me manquer, finit par dire Ana dans un souffle.

Tous mes camarades hochent la tête. Je suis frustrée de ne pas pouvoir partager leur chagrin. Ma tristesse n'est pas du tout comparable à la leur. Je me sens de trop.

- C'est la première personne à partir, remarque Morgan.

- Il faut se concentrer sur le fait qu'elle va réaliser son rêve, dit Tristan.

- Sauf si tout cela n'est qu'un tissu de mensonge, réplique Appoline qui a finalement laissé ses larmes s'échapper.

Le son de la pluie au dehors accompagne le roulement de ses larmes sur ses joues. Je me concentre sur le son régulier des gouttes d'eau qui perlent contre la fenêtre. Je ferme les yeux. Les mots me viennent tout seuls :

- Je sais que perdre un être qui vous est cher est difficile mais il ne faut pas que vous vous apitoyiez sur votre sort. Dans cette histoire, c'est le bonheur de Jeanne qui compte et non son départ. Peut-être qu'elle reviendra, on ne sait jamais. Je ne sais pas si c'est parce que je ne la connaissais pas, mais je souhaite qu'elle ne revienne jamais. De ce fait, on sera sûr qu'elle est finalement parvenus à réaliser son rêve : qu'elle est heureuse dans une vraie famille qui l'aime.

Je m'arrête de parler et ouvre les yeux. Ils me regardent tous en me souriant légèrement.C'est Tristan qui me répond :


- Tu as entièrement raison.

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