La philosophie du vase

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Le vase reposait sur le buffet tel un vase posé là. Quelques grains de poussière s'ajoutaient parfois à sa compagnie, mais ils n'étaient jamais très causants. Quant aux fleurs, elles n'étaient même pas encore en mesure de parler. Bref, c'était une journée ordinaire dans la vie du vase.

Une étrange mélodie intermittente le sortit de son inactivité quotidienne. Le son était aigu et très faible, c'est à peine s'il résonnait contre le verre lisse de sa paroi. Le rythme était très rapide, inarticulé.

— Une-puce-un-pou.

Un silence et un faible « poc ».

— Assis-sur-un-tabouret.

Un silence et un « poc » un peu moins faible.

— Jouaient-aux-cartes.

Un silence et un « poc » bien distinct.

— La-puce-perdait.

Le vase profita du silence pour prendre la parole avant le prochain « poc ».

— Oh là, fit-il tranquillement. Qui chante donc ainsi ?

Après un silence interloqué, une réponse fusa aussi vite que son ombre :

— C'est-moi !

Le vase attendit.

Aucune information supplémentaire n'étant apportée par le Moi, le vase continua à questionner :

— Qui moi ?
— Moi-la-puce, répondit ce qui était donc une puce.
— Mais je ne te vois pas.
— Ça-c'est-normal-c'est-mon-pouvoir, dit la puce.

La puce se tut pour sauter et le vase entendit un « poc » lorsqu'elle se réceptionna.

— Je-suis-si-petite-que-presque-personne-ne peut-me-voir.

La puce fit un nouveau saut, entraînant un nouveau « poc » aussi bruyant qu'un grain de sable s'écrasant sur la moquette.

— Si-on-me-voyait-on-m'écraserait-m'écrabouillerait-ratatinerait...
— Attends, ralentis, je te pris. Tu parles trop vite, je ne comprends rien, se plaignit le vase.

La puce soupira.

— Je suis à tes pieds... articula-t-elle en détachant chaque syllabe.

Le vase scruta le bois près de ses pieds.

— C'est vrai que tu es bien petite. Dis-moi, quelle était donc cette chanson que tu fredonnais toute à l'heure ?
— C'était l'hymne officiel des puces. Ça remonte à la Grande Guerre contre les poux.
— Ah bon, il y a eu une guerre ?
— Ouep ! Et c'est nous qu'on a gagnés ! Même si les poux ne l'admettront jamais.
— Comment avez-vous gagné la guerre ? questionna le vase intrigué par les histoires épiques.
— Ça je sais pas. Tu sais, c'était il y a... pfiou... au moins deux mois. Même mes parents n'étaient pas nés dans ce temps-là !

Sentant la déception du vase, la puce rajouta :

— Mais je pense qu'on a dû leur tordre le cou. C'est très efficace, d'après ce que j'ai compris.
— Ah d'accord. Est-ce que cette technique fonctionne aussi avec les pucerons ?
— Connais pô.
— Mais si, tu dois bien savoir. C'est comme une puce, mais c'est rond et tout vert. Ça mange la sève des fleurs. C'est d'ailleurs très embêtant.
— Oh tu sais moi, les végétariens, moins je les vois, mieux je me porte. J'peux vraiment pas les saquer. Ils sont pas comme nous. Pas du-tout-du-tout-du-tout !
— Ah d'accord.

Un silence indécis plana. Le genre de silence un peu préoccupant qui intervient lorsqu'un sujet de discussion vient d'être épuisé et que chacun se demande s'il faut rajouter quelque chose. Enfin, c'est surtout la puce qui réfléchissait à toute allure dans son micro cerveau. Les idées fusaient : « je pars ? Je pars pas ? J'en était où dans ma chanson ? Mais au fait, à qui je parlais déjà ?»

La philosophie du vaseWo Geschichten leben. Entdecke jetzt