Lemie ne voulait pas voir ça. Elle ne voulait pas se voir mourir. S'écraser contre un arbre, ou une autre voiture qui transporterait peut être une simple personne rentrant de son travail de nuit, ou toute une famille.
- Ne ferme pas les yeux, tu vas rater le meilleur ! Lança Oli.
La jeune femme était bien trop tétanisée pour répondre quoi que ce soit. Il n'était plus temps de crier, de s'inquiéter, mais de faire sa prière. Si seulement elle avait été croyante pensa t elle. A peine le temps de se torturer sur sa spiritualité au point mort, que la voiture s'arrêta. Oli riait aux éclats.
- Tu verrais ta tête. Lança t elle.
- Tu es complètement folle. Répondit Lemie, encore sous le choc.
- Folle ? Pourquoi ? Tu es entière que je sache.
- Ça aurait pu mal se terminer. Affirma Lemie, toujours tremblante.
- Mais ça ne s'est pas mal terminé. C'est ce que je voulais te démontrer. Parce que c'est exactement ça que tu ne comprends pas. Prendre des risques, ce n'est pas seulement se jeter dans un mur, et atteindre que la mort nous emporte. C'est bien plus que ça. Tu n'as pas idée de tout ce que tu loupes, de tout ce qui t'échappe.
- Parce que toi tu es clairvoyante sur la vie peut être ? Répondit Lemie, qui en commençant à se calmer, laissa ressortir un début de colère face aux arguments d'Oli.
- Je n'ai rien dit de tel. Mais moi, je tente. J'essaie. Et quand je rate, je me lance dans une nouvelle aventure.
- C'est comme ça que tu vois ta rupture avec ton copain ?
- Ça n'a aucun rapport. Je te parle de toi, de moi. De chaque personne, de façon individuelle. Pas de ces échanges et connexions que ce toi, ce moi, peuvent avoir avec quelqu'un d'autre. Il ne t'arrive jamais de penser par toi même ? De te demander ce que tu ferais si personne ne te dictait la bonne attitude à avoir. Regarde, avec tes parents, que leur dirais tu si tu pouvais être sûre que cela ne changeait rien à l'image qu'ils ont de toi ? Si cela ne pouvait ni améliorer, ni détruire ce qui existe déjà ?
Lemie baissa les yeux, et fut contrainte d'admettre que, cette fois, Oli venait de toucher un point sensible.
- Alors, tu leur dirais quoi ? Tu es en train d'y penser. Dis le à haute voix ! Ajouta Oli.
- Je leur dirai que... sans doute... je leur en veux.
- Mais encore ?
- Qu'ils n'ont pas été là quand j'en avais vraiment besoin.
- Quand en as tu eu vraiment besoin ? Interrogea Oli.
- Maintenant ! Avoua Lemie.
A cela, Oli ne répondit rien. Elle sortit du dessous de son siège son arme infaillible contre les coups de blues : une bouteille de vodka. Elle tendit le breuvage à Lemie, qui s'en saisit sans réfléchir. Elle en bu plusieurs grandes gorgées, tout en tentant de calmer ses sanglots.
- Crois moi ! Je ne connais rien de mieux pour rincer un chagrin. Affirma Oli.
- Tu en as souvent eu recours ? Demanda la jeune femme.
- Qu'est ce que tu crois ? Que tu as le monopole de la détresse ?
- Bien sûr que non. Mais tu sembles tellement forte. Répondit Lemie.
- Forte ?
Oli se mit à nouveau à éclater de rire comme si elle n'avait jamais entendu de blagues plus drôles jusqu'à ce jour. Lemie, quant à elle, ignorait ce qu'elle avait pu dire de si risible. Et la boisson aidant, elle n'avait pas tellement envie d'y réfléchir.
- Pourquoi tu es là ? Je veux dire vraiment. Pourquoi tu es, ce soir, avec une inconnue, à tenter de lui donner une leçon de vie qu'elle ne sera peut être jamais en mesure de comprendre ?
- Pourquoi pas ? Répondit Oli.
- Qu'est ce que cela t'apporte ?
- Faut il gagner quelque chose dans tout ce qu'on fait ?
Lemie baissa les yeux, encore une fois, comme une nouvelle habitude dont elle se serait bien passée, ne sachant que répondre. Son acolyte en profita pour lui reprendre la bouteille des mains, et rincer à son tour ses chagrins. Le niveau du récipient baissait à vue d'oeil et les deux jeunes femmes devinrent presque hilares sous l'effet de l'alcool, tandis que le jour commençait à se lever. Ensemble, elles assistèrent à ce spectacle qui eut le don de les captiver. Le ciel s'était illuminé de diverses couleurs, un léger vent venait rafraîchir les deux amies, et le soleil tentait de faire sa percée, au travers des arbres de la forêt qui les entouraient.
- Si la vie pouvait être aussi jolie que ce ciel. Soupira Lemie.
- C'est pour ça que tu es si seule ?
- Pardon ?
-C'est parce que la vie n'est pas aussi magnifique que tu le voudrais, que tu refuses de te mélanger au monde qui t'entoure ? Demanda Oli.
Après avoir toussé sa gêne, Lemie fit comprendre que rentrer serait une bonne chose. Oli s'exécuta, sans même discuter, et ramena la jeune femme jusqu'à son appartement. A peine étaient elles rentrées, que Lemie voulu s'isoler dans sa chambre. Ce qui s'était passé durant la nuit l'avait retournée. Elle avait besoin d'y réfléchir. D'y penser. Elle était passé de l'angoisse à la colère, pour finir sur des rires. Et soudain, les larmes balayèrent tout le reste.
"Il y a cette colère, cette tristesse que personne ne voit, mais qui est bien là et qui me prive de tout autre plaisir."
Lemie venait d'ajouter une nouvelle phrase à ses toiles. Une de plus. Mais ce n'était pas encore assez. Il en fallait tellement encore. Elle avait pourtant tout pour être bien. Elle venait de se faire une amie. La première de toute sa vie d'adulte. Elle n'allait pas avoir ses parents sur le dos durant quelques temps. Et son projet avançait bien. Pourquoi était elle déchirée à ce point alors ? Elle se sentait comme on peut se sentir après avoir fait l'amour, sans être sûr de l'avoir vraiment voulu avec cette personne là. Apaisée. Et pourtant, avec une terrible envie de se foutre en l'air. C'était ce qu'il s'était passé durant la soirée. Elle avait partagé une étrange intimité avec Oli, qui avait eu le mérite de lui faire du bien, et tant de mal à la fois.
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L'Appartement
Short Story"La solitude, autant qu'on peut la vouloir ou l'espérer, sonne comme un abandon quand elle s'éternise un peu trop".
Chapitre 23 - La peur
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