Chapitre Soixante-quatorze

Depuis le début
                                    

Marc et Hélène lui font face pendant que le reste des filles, Kristal et Jules restent en arrière. Je ne tarde pas à rejoindre les deux chefs de camps.

L'interrogatoire va commencer, nous allons enfin avoir nos réponses.

- Ne m'approchez pas ! Monstre ! hurle-t-elle alors que les garçons avancent d'un pas.

- Tenez-vous tranquille, Anne, ordonne doucement mon père.

Elle lui offre son regard le plus dérangé tout en lui adressant un sourire dément.

- Pourquoi vous ne me tuez pas, mon cher Marc, vous le grand chef de cette tribu d'erreurs de la nature ?!!

- Vous savez que ces erreurs de la nature sont de votre conception ? continue-t-il, sans se départir de son calme.

- Moi, oh non ! Non ! C'est cette catin qui a fait le sérum !
Mon père se crispe à l'évocation de sa soeur mais continue toujours sur le même ton tranquille :

- Oui, mais c'est vous qui l'avez utilisé sur des enfants. Vous les avez tué...

- Non, je ne les ai pas tué !! Sinon, j'aurai vu leur sang couler...

Ses paroles accompagnées de son expression sanguinaire me retourne l'estomac. Comment un être aussi fou et démoniaque peut ne serait-ce qu'exister ?

Mon père fait l'impasse sur cette dernière réplique et continue sans hausser le ton :

- Pourquoi vouloir leur mort ?

- Leur mort ? Je n'en voulais pas au départ ! Je désirais une armée ! Avec des bêtes, des guerriers ! Émeric avait trouvé cette traînée de scientifique compétente. Il m'avait dit qu'elle me ferait mon armée. Mais je regrettais déjà de l'avoir engagée. Elle reportait trop souvent la finition du sérum, c'était trop long !! Et puis, lui, ce traitre, est tombé amoureux d'elle ! Ma marionnette était éprise d'une humaine ! Ce n'était pas possible, non ! Je l'ai donc fait tuer, c'était délicieux, ma marionnette était redevenu mienne. Elle a tué cette putain, j'étais heureuse ! Mais mon armée n'était pas prête. J'avais déjà commencé les injections dans les hôpitaux de la région mais les résultats avaient été dissimulés par mon bête de mari. Il m'a mentit ! Je ne l'ai su que deux jours après...

- Après quoi ? demande Marc, les mâchoires serrées.

- Après que Bébé soit parti. J'avais enfin réussi à l'avoir mais non ! Non ! Il a fallu que je le perde !! Et cet incompétent, ce "Dirigeant", n'était pas capable de m'en donner ! Ils m'ont obligé à dix-sept ! Papa et les frères ont voulu que je l'épouse. Pour l'argent ! Vous entendez ça ? Pour de l'argent ! De simples morceaux de vulgaires métal en échange de ma vie entière ! Mais je me suis vengée, papa et les autres ont payé, je me souviens de leur cadavre encore chaud ! En plus, j'étais marié ! Si c'était mon cas, les autres filles aussi devait l'être. J'ai obligé ce stupide Émeric à faire passer une loi. Et comme ça, ces petites pimbêches qui riaient de moi, elles aussi ne pouvaient plus vivre après ! Et non, à dix-sept ans, elles étaient obligés d'abandonner tout ! La liberté, les études, les loisirs, fini ! Fini !!! Mais comme Bébé était mort, je ne pouvais pas laisser les autres tous en vie. J'avais juste besoin d'un petit peu pour mes expériences. Au début, je ne voulais pas leur faire mal. Non, non, non. Je leur donnais un honneur, celui de devenir mes bêtes ! Mais ils sont morts !! J'ai adoré ça et détesté aussi ? C'est fou, non ?

C'est comme si deux tornades, toutes deux dévastatrices, s'entrechoquent dans le crâne de cette femme. Comme si chacune d'elle est là pour conquérir son esprit. On arrive à déceler par moment une pointe d'intelligence et d'humanité en elle mais tout est soudain balayé trop rapidement par sa folie. Sa folie, il n'y a pas d'autre mot. Et oui, ce quel avoue est fou, démentiel et complètement affreux.

Je décele malgré tout une certaine logique dans son comportement. Elle est folle certes. Mais, au fond, qui pourrait vivre avec ce qu'elle a vécu ? Vendue par sa famille, elle a dû subir un énorme poids et traumatisme. Mais sa réaction est tout de même plus qu'exagéré. Elle a tué de sang froid et se délecte du malheur de ses victimes, et ça c'est impardonnable et intolérable. Anne s'est vengée de tout et de tous à part de Morgan et moi. Et c'est ça qui la rend encore plus incontrôlable. Maintenant qu'elle nous a dévoilé l'envers du décor, tout ce que je veux c'est la voir disparaître. Je ne veux plus la voir. Mais il me reste une chose à faire. Une dernière.

- Qu'avez-vous fait à Jules ?

- Oh ! Toi ! Monstre, calamité, horreur ! Tu me parles ! Vipère !!! Ne m'approche pas ! Non !

- Je répète, dis-je en essayant de ne pas perdre mon calme, qu'avez vous fait à Jules ?

Ses yeux dérangés se tournent dans toutes les directions comme s'ils cherchaient une réponse dans la toile de la tente.

- Jules ? Le mignon blondinet ? Oh !! Cet amour, mais c'est lui mon Bébé ! Mais la deuxième semaine, il ne voulait plus me parler, oh ! Pourtant je lui avais donné une magnifique chambre ! Il a été méchant alors je lui ai crié que vous étiez morte ! Oh je rêve ! Vous, morte ! Ce serait magique ! Et le petit a pleuré. Il a pleuré cet inconscient !!! J'étais en colère mais je ne pouvais pas lever la main sur lui, non... Je ne pouvais pas...

Elle éclata en sanglot. Des pleurs atroces se répercutaient sur mes tympans. Et pendant plusieurs minutes, personne ne bouge, écoutant les sanglots d'Anne remplir le silence. Elle ne cesse pas. Je cours vers Jules, qui heureusement est endormi et n'a donc pas assisté à l'interrogatoire. Je le prends dans mes bras et le serre le plus possible. Mon frère avait vécu avec cette femme. Et il avait survécu. J'ai soudain l'impression de serrer contre moi, un héros. Je savais qu'il était fort. Et j'espère qu'en connaissant le fond de l'histoire, je pourrai l'aider à guérir. Les pleurs s'arrêtent peu à peu.

Les yeux noirs d'Anne reflètent une réelle tristesse mais je ne peux m'attendrir devant son expression. Non, elle ne mérite aucune compassion.

Une heure plus tard, nous sommes tous sortis. Contempler les nuages s'effilocher dans le ciel bleu m'apaise quelque peu. Après de telles révélations et une discussion assez rude avec la cause de nos malheurs, nous sommes tous fortement ébranlés. Et pourtant personne ne verse une larme ou ne déverse des paroles dégoulinant de haine ou de colère. Non, personne ne dit mot. Dans le silence, nous nous soutenons tous, un immense sentiment de fraternité nous traverse. C'est fini, en tout cas la première étape est terminée. Nous avons réussi à délester le pouvoir de cette dictature maladive. On va pouvoir tout changer.

Ça y est, mes chaînes se sont détachées. La clé se trouvait dans les aveux d'Anne, et elle m'a retiré mes liens. Je me sens plus légère que je ne l'ai jamais été. Je respire l'air frais du matin et m'en rempli les poumons. Comme si la pureté du vent faisait écho à mon esprit qui se délivre en ce moment de toutes les saletés qui l'a incommodé jusqu'à maintenant.

Je suis libérée. Nous sommes enfin en paix. Et enfin prêt à délivrer tous ceux qui ont été capturé par Anne, au sens propre comme au sens figuré.

Nous allons enfin délivrer notre société...

L'Élémentaire {En Réécriture}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant