Chapitre-7:

Depuis le début
                                    

Parfois, ces esprits étaient l'archétype même : presque translucide ; contrairement à d'autres qui se confondaient sans peine avec les vivants. Elle sursautait quand il s'enfuyait à son approche. L'obscurité pesait déjà en cette fin d'après-midi. Les nuages la rendaient encore plus morose.

Quand elle se surprit à analyser à nouveau un octogénaire, elle se demanda ce qui lui prenait.

— Je suis dans le coma et je m'amuse à différencier les types de fantômes, soupira-t-elle à voix haute.

C'était étrange de parler quand personne ne pouvait l'entendre. Un tas d'émotions devrait la traverser, mais elle ressentait un vide immense au creux de sa poitrine. Elle continua à marcher sans vraiment de but. Son cerveau ne parvenait pas à prendre la situation au sérieux et il préférait être dans le déni.

Meika s'arrêta au pas de la porte — qu'elle venait de traverser. Elle eut l'illusion de voir le pompier auprès de son chevet. Elle s'approcha du petit garçon.

— Tu ne t'enfuis pas ?

Il lui sourit et secoua la tête. La version miniature de Nathanaël la perturbait. Elle cligna des yeux, priant pour qu'il ne soit pas vraiment mort.

— J'étais assis là. Des fois t'étais un fantôme et puis tu te rendormais.

Il baissa les épaules, agacé car il ne réussissait pas à s'exprimer correctement. En effet, pendant des heures elle avait joué avec le sommeil. Ces moments de lucidité avaient été brefs et tout restait assez flou. Le silence se prolongea. Elle lui fit part de cette impression de perdre tout repère. Sa langue ne détectait pas le goût de sa salive. L'odorat ne titillait plus ses sinus. Le manque comprimait sa poitrine.

— Tu t'en souviens encore toi ? J'aimerais bien sentir l'odeur du chocolat...

Elle ne l'écoutait pas vraiment et se contenta de le dévisager. Un doux souvenir effleura sa mémoire, celui de Gabriel qui se ruait sur une crêpe au citron et au poivre. La commissure de ses lèvres s'agrandit et elle vit en ce rouquin, ses deux petits protégés.

Celui-ci avait arrêté de parler et la fixait à son tour. Un détail l'interpella, il n'était pas en tenue d'hôpital comme elle. Elle sentit son rythme cardiaque s'accélérer.

— Rory ? appela-t-elle pour confirmer son identité.

Elle se remémora la conversation avec le serveur et celle avec Katy et la voisine. Elle avait tellement entendu parler de cette affaire qu'elle s'étonna de ne pas avoir décelé son identité plus tôt. Pourquoi avait-il voulu mourir ? Qu'est-ce qu'il venait faire ici ?

Une vague de panique s'éveilla, celle qui aurait dû arriver depuis tout à l'heure. La vision de Rory lui rappelait son propre sort. Elle était là, allongée, et ne se réveillerait peut-être jamais. Sa figure s'endurcit et elle fut obscurcie par des points noirs. Ses yeux se mirent à piquer et Morphée l'attrapa brutalement.

***
Des protestations résonnèrent à travers la porte, les parents refusèrent l'entrée de quelqu'un. Elle n'eut pas la force de se lever.


La nuit l'accueillit et elle crut un instant que ce n'était qu'un rêve. Le doute se poursuivit encore quelques secondes. Elle se sentait plus vivante que jamais. Elle tourna la tête et la réalité lui sauta au visage. Sa véritable chair était inerte.

Elle s'efforça à respirer. Mais le faisait-elle vraiment ? En seize ans de vie, ses poumons n'avaient jamais cessé de se remplir. Ses mains encadrèrent sa tête. Ses sens n'étaient qu'une illusion, qui lui permettait de ne pas devenir folle. Rory n'était pas avec elle. Il pourrait l'aider à comprendre comment fonctionnait ce monde complètement dément.

Que pouvait-elle faire ?

Une petite excitation la gagna. Elle pourrait se balader où elle voulait. « Il faut bien trouver des points positifs, je ne suis pas morte et je peux espionner n'importe qui », ironisa-t-elle en s'échappant de la pièce.

Elle essaya d'imiter les autres esprits dans une téléportation. Rien. Ce n'était pas aussi simple. Les veilleuses lui montrèrent le chemin. Elle n'osait plus couper par les cloisons, sa logique n'arrivait pas à s'accommoder et à accepter les nouvelles possibilités.

Le hall de l'hôpital ne se remplissait pas beaucoup. Elle aimerait prendre un bol d'air pur, même si techniquement, c'était son cerveau qui simulait. Ses pas s'arrêtèrent au bout de quelques mètres, elle avait la sensation qu'un élastique la ramenait sans cesse en arrière. Elle était rattachée au bâtiment, emprisonnée.

Elle ne supportait plus la tension dans ses muscles et fit demi-tour. Instantanément, elle fut libérée d'un poids. Devrait-t-elle rester à l'intérieur ? Était-ce le cas pour tous les esprits ?

Sa tête bourdonnait un peu plus à chaque nouvelle interrogation. De plus, ses sensations étaient multipliées par dix. La coquille qui l'enfermait s'était dissipée. La sirène des pompiers vibra contre le bitume.

Ces êtres invisibles étaient mélangées à toute cette effervescence. Ils n'étaient que spectateurs et n'influençaient pas sur le monde physique. La solitude l'accabla. On ne la voyait plus. Elle n'avait pas eu le courage de retrouver ses parents car elle avait la sensation qu'ils l'ignoraient, qu'elle n'existait plus. Elle savait que c'était stupide, qu'en ce moment même, ils ne pensaient qu'à leur fille dans le coma.

Une chevelure de flamme se précipita vers elle.

— Tiens, t'es encore vivante.

Sa franchise la déconcerta. Ses pupilles noisette accrochèrent les siens. Elle avait décidé de ne pas lui parler de son suicide. Elle avait enfin la possibilité d'obtenir des informations.

— Qu'est-ce que tu sais sur les fantômes ?

Son nez en trompette se retroussa. Rory se mit en tailleur en plein milieu de l'allée. Un infirmier le traversa, inconscient de la présence du jeunot. Elle l'imita et dut se faire violence pour se concentrer. Jamais, elle n'aurait pu s'installer ainsi, sur le sol, avec des dizaines de personnes qui les ignoraient totalement. C'était reposant.

— J'ai vu des gens disparaître, paf, comme ça. Au début ils me racontaient leur vie, mais après ils s'en souvenaient plus, continua-t-il en faisant des mimes. J'ai vu qu'au bout de... vingt-huit jours, ils m'ont oublié.

Il se perdit dans une histoire d'étouffement. Elle essaya de recentrer la conversation, en lui demandant s'il se souvenait de sa vie. Son sourire se fana. Mauvaise question.

— J'ai choisi de mourir, je suis puni.


Elle fronça les sourcils. Comment une innocence pareille avait-elle voulu se suicider ? L'injustice lui serra les boyaux. La nature ne pouvait être aussi cruelle. Rory devait assister au deuil de sa famille et affronter les conséquences de son acte. Pourquoi gardait-il la mémoire ? Gênée, elle voyait bien qu'il n'irait pas plus loin dans ses explications. Ses pupilles inertes trahissaient sa profonde tristesse.

Un frisson parcourut ses bras. Sa pensée dévia sur George. Il n'était plus là depuis le vingt-huit février. Avril débutant, l'espoir de le voir était réduit à néant. Pourtant, le fait divers de Rory Clerc datait de plus d'un mois.

— Il y a d'autres raisons pour rester, expliqua-t-il en réponse à sa nouvelle interrogation.

Son beau grand-père pourrait-il être là ?

— Tu vas dormir, ta couleur change, remarqua-t-il en la saluant.

Une piqûre transperça sa peau, elle ne savait pas où exactement, mais la substance s'introduisit dans ses veines.

L'innocence ne disparaît pas au fil des âges, mais au fur et à mesure des expériences vécues.

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Nouveau lieu : l'hôpital. Nouvelle intrigue : Meika, un fantôme encore vivant. Nouveau personnage : Rory Clerc. Hâte de vous montrer la suite !

Pourquoi est-elle un fantôme ?

Pourquoi les esprits la fuient ?

Pourquoi pas Rory ? Et quel est son rôle dans cette histoire ?

Pourquoi se rendort-elle sans cesse ?

Est-ce que George est encore là ?

Où vont les fantômes après 28 jours ? Pourquoi perdent-ils leur mémoire ?

Va-t-elle un jour se réveiller ?

Courir après la mort. [FINI]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant