Effet domino

Chapitre 6

Malgré ce regard entraîné, je n'arrivais à voir Tobbyan qu'aux repas et le soir et nous n'avions pas réellement le temps de parler. Lui était toujours occupé entre ses cours de tir, d'escrime, d'économie et de langues tandis que moi, j'étais bloquée toute la matinée et j'enchaînais l'après-midi avec des activités choisies par ma mère (danse, défense au corps-à-corps, thé avec des grandes dames et messieurs, couture, etc). Bref, pas trop le temps de partager des choses ensemble.

Le dernier soir avant que je ne rentre au palais arriva vite, trop vite. Tobby vint me trouver dans ma chambre.

« -Alors, demain, c'est ton départ...

- Oui... on ne s'est pas beaucoup vu, hein ?

- Je dirai que ça n'était pas un hasard...

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Je veux dire que je n'ai jamais eu autant de cours que cette semaine... Père et Mère ne veulent pas qu'on se parle.

- Mais pourquoi ils feraient ça? ça n'a aucun sens.

- Ils le font déjà depuis longtemps pourtant.

- Quoi ? Mais non !

- Je te signale qu'on ne se voit presque jamais durant l'année, tu ne l'as pas remarqué ?

- Si mais ils doivent avoir une bonne raison, non ?

- Marlie, ouvre les yeux bon sang ! Tu ne comprends donc rien ?!

- Bah, euh...

je bégayais comme pas possible, j'avais l'impression que mon cerveau était en train de court-circuiter:

-C'est impossible, dis-je dans un souffle

- Marlie, tu sais très bien que je ne suis pas comme toi, comme le reste des gens. Tu fermes juste les yeux, tu refuses de voir la vérité, comme pour d'autres choses d'ailleurs...

-Qu ...

(Mon père arriva en trombe dans ma chambre)

- Qu'est-ce que tu racontes encore Tobbyan !?

-Rien d'alarmant, Père, ne vous inquiétez donc pas...

Mon père était furieux, ses yeux lançaient des éclairs.

-Va dans ta chambre. Et toi, Marlie, va dormir, demain pour ta rentrée, tu dois être parfaite. »

La porte se referma derrière mon père, me laissant seule dans le silence glaçant de ma chambre. Les luminaires au plafond éclairaient froidement la pièce. Cette conversation m'avait troublée au plus haut point. J'avais l'impression d'être plongée dans une mer noire, je n'arrivais pas à voir le message que mon frère voulait me passer... Mon frère était comme tout le monde, non ? Pourquoi se considérait-il comme différent ? Certes, il ne pense pas tout à fait comme moi, mais... Et puis, comment se fait-il que père soit arrivé pile au moment où il allait me révéler quelque chose ?

Tout cela était tellement étrange... Je sentais que mon précieux cocon doré était en train de se fissurer, quelque chose clochait, même si je ne savais pas encore quoi... Le comportement de mes parents vis-à-vis de mon frère, les propos que lui tenait, le fait qu'on ne se voyait jamais. Tu fermes juste les yeux, tu refuses de voir la vérité, comme pour d'autres choses d'ailleurs...Je fermai les yeux sur quoi au juste ? Tobbyan et moi, on s'était toujours bien entendu. J'aimais vraiment mon frère et je le connaissais !

Il était... curieux, curieux de tout, du monde, de la vie, d'absolument tout. Il était de quatre ans mon aîné et était le premier enfant de mes parents, Céleste et Gérom Delkov. Il avait reçu une éducation complète, comme moi. Chose assez amusante, lorsqu'il avait dû apprendre la révérence, vers l'âge de six ans, il m'avait raconté qu'il ne voulait pas la faire et qu'il ne comprenait pas pourquoi il devait s'incliner devant quelqu'un qui n'avait rien fait pour mériter son respect... Mes parents remarquèrent tôt qu'il était intelligent et précoce.

Lorsqu'il eut huit ans, je me souviens qu'il me disait vouloir devenir un aventurier et découvrir le monde. Sachant qu'on n'avait pas le droit de sortir de Nariel, ça allait être difficile...

Il voulait aussi apprendre les principes de la République, connaître les cultures des autres pays. Il voulait tout connaître pour pouvoir choisir ce qui lui convenait le mieux, que ce soit son pays, sa langue ou sa culture...

C'était certain, il n'était pas un sujet modèle de l'Empire, on pouvait prendre ses désirs pour une envie de trahir Nariel, de vouloir s'enfuir de notre beau pays mais aucun Narielen ne voulait réellement de mal à l'Empire, c'était impossible.

Nariel était, non, est, parfait, on me l'avait toujours, toujours, toujours dit !

J'avais mal à la tête à force de me tordre les méninges... Comme on le sait, la nuit porte conseil. Espérons que ce soit vrai...