La Route d'Amandine

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« - Amandine, j'espère que tu vas bien. Je suis à Berne, la ville est protégée. On est en sécurité. Viens nous rejoindre au plus vite. On traversera tout cela ensemble. »

L'adolescente laissa un instant la voix de sa mère résonner encore dans sa tête avant d'éteindre son téléphone. Elle devait conserver la batterie, ne sachant pas quand elle pourrait la recharger. Et puis de toute manière, comme elle n'avait plus accès à aucun réseau, son portable ne lui était pas vraiment utile. Elle l'allumait malgré tout une fois par jour, le soir avant de s'endormir, pour entendre encore la voix de sa mère et le message d'espoir et de réconfort qu'elle lui avait laissé.

Resserrant autour d'elle son sac de couchage pour maintenir la chaleur dans le soir d'automne, Amandine laissa son regard se perdre vers les restes rougeoyants du feu de camp. Son père l'avait éteint tout de suite après la cuisson de la viande afin d'éviter d'attirer l'attention. Elle observa ensuite la silhouette de cet homme taciturne assis à quelques mètres ; elle savait qu'il observait les alentours, attentif au moindre mouvement qui pourrait représenter un danger. Cela faisait une semaine, depuis leur départ, depuis le message de sa mère juste avant que les réseaux ne soient coupés, que ce père aimant faisait tout pour les garder en vie au sein d'une Suisse dévastée. Mais presque sans un mot. Quelques jours avant encore, elle l'avait à nouveau engueulé, persuadée qu'il ne la comprenait pas, qu'il ne la soutenait pas, et aucun des deux n'avait encore osé en parler ; sans la guerre, sans l'invasion, elle serait retournée chez sa mère une semaine, les choses se seraient tassées, et le retour auprès de son père aurait été plus simple. Mais le Conglomérat était passé par là, avait tout rendu encore plus compliqué. Et maintenant seul comptait le message d'espoir de sa mère... et Berne, la capitale, la ville protégée, libre.

La jeune femme ferma les yeux. L'épuisement la gagnait. Oui, sa vie n'allait pas trop mal. Bon, il y avait bien le divorce, cette vie éclatée entre ses parents, il y avait bien ce type qui lui plaisait et qu'elle n'osait pas aborder, mais dans l'ensemble elle n'avait pas à se plaindre. Et puis il y avait eu ces moments bizarres, toutes ces choses qu'elle n'avait pas complètement saisies car tout s'était passé si vite. Ce groupe d'entreprises de la high-tech mondiale qui avait démontré leur surpuissance, leur volonté d'imposer des lois aux États, et la plupart de ces derniers qui avaient accepté de bonne grâce pour garder ou gagner des avantages. Les premiers à céder furent les Etats-Unis et l'Union Européenne. La Suisse avait tenu bon. Une votation populaire avait contré la volonté du Conglomérat de prendre en main la destinée du pays. Et soudainement des troupes privées se massaient aux frontières, le pays était coupé du monde, et ce fut le début des vraies emmerdes. Sans beaucoup d'explications, son père avait amassé dans un sac à dos tout un amas d'affaires avant de quitter avec elle leur demeure. Depuis une semaine, ils arpentaient tous deux les chemins et les champs, évitant les grandes routes surveillées par les mercenaires du Conglomérat. En dérivant vers le sommeil, Amandine revoyait le beau garçon de l'école, le jardin de son père, la terrasse de sa mère, les copines,...

Comme tous les jours, le réveil fut difficile pour Amandine. Son père la secoua en lui disant que c'était l'heure. La sortie du sac de couchage était toujours un choc dans la fraîcheur automnale. Ils avalèrent quasiment en silence quelques morceaux de pain et de l'eau. Aucun d'entre eux ne savait comment rompre cette tension qui régnait. D'autres choses avaient la priorité, comme penser à survivre et à échapper au Conglomérat. Il fut vite temps de se remettre en route.

Ils auraient pu progresser plus rapidement, mais cela aurait été au détriment de la sécurité et de la discrétion. Ne sachant jamais qui était avec qui, qui soutenait quel camp, qui était un délateur, ils préféraient éviter tout contact avec d'autres personnes. Ils évitaient donc les lieux habités et les routes. Berne sonnait comme le lieu de ralliement de ceux qui refusaient d'être à la solde du Conglomérat, une ville libre qui tenait le coup, le temps sans doute qu'une solution diplomatique soit trouvée ; on ne pouvait imaginer qu'un groupe d'entreprises privées tienne tête à des États et leur fasse la guerre. Tout cela était si aberrant. Inconcevable. Impensable. Et pourtant la Suisse était bien en guerre, sur son propre territoire. Et elle la perdait. Les technologies développées par le Conglomérat donnaient un avantage non négligeable à leurs mercenaires ; sans compter que le professionnalisme de ceux-ci mettait à mal la plus forte des motivations des miliciens helvétiques. Dans sa tête, Amandine voyait la ville de Berne, profitant de la boucle de la rivière pour se protéger, des barricades dressées en travers du seul passage utilisable, et au milieu de tout cela, sa mère, farouche. Elle serait heureuse de la revoir, même si leur dernière discussion s'était mal passée (encore des insultes parce que sa mère tentait de refaire sa vie avec un autre homme).

La Route d'AmandineWhere stories live. Discover now