Chapitre 12 : Léna

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La réputation de Gabriel l'avait précédée au lycée, puisqu'il était un peu une célébrité de son collège. Le phénomène, le monstre. Une partie des élèves avait forcément entendu parler de lui, et le regardaient passer de son pas robotique avec curiosité, se demandant pourquoi il était si bizarre.

Il était le bouc émissaire par excellence, c'était si simple de l'accuser alors qu'il ne réagissait pas. Il n'avait même pas d'amis pour le défendre ou simplement à qui il puisse parler, car son air sombre avait un effet repoussoir. Peu nombreuses étaient les personnes qui avaient entendu le son de sa voix, puisque même lorsqu'il était interrogé en classe il refusait de répondre. Les professeurs avaient fini par l'ignorer comme la majorité des élèves, et même s'ils avaient conscience de ce que vivait le garçon, il n'acceptait pas de leur parler, si bien qu'ils avaient abandonné l'optique de l'aider et se contentaient à présent de faire comme si de rien n'était. Si certains avaient essayé de jouer un rôle actif pour l'aider, la rousse n'était pas au courant.

Même s'ils n'étaient pas forcément les pires de ses harceleurs, chacun des membres du groupe enfermé dans le musée avait une raison de s'en vouloir par rapport à Gabriel, et Léna en avait bien conscience. C'était pour cela qu'elle aurait compris qu'il veuille se venger d'eux. Quant à Jérémy, cet insupportable fouineur, il était l'un de ceux qui s'acharnaient le plus sur le garçon aux cheveux noirs, alors le fait qu'il soit la première victime n'était pas très étonnant.

Évidemment, Léna ne pouvait pas parler de ses doutes pour le moment, même si elle était sûre que certains de ses camarades devaient les partager. En l'absence de preuve concrète, accuser Gabriel ne servirait à rien. Et si c'était faux… elle n'avait pas envie de se sentir encore plus coupable vis à vis de lui.

Léna préférait observer le comportement des autres, elle qui avait été si peu discrète pendant des années, se rendait compte à présent qu'elle n'avait jamais vraiment pris le temps d'apprendre à les connaître. Elle devait faire preuve de plus de subtilité. Bien sûr, elle aimait toujours autant draguer ceux qui lui plaisaient ainsi que montrer comme elle attirait l’attention, mais c'était surtout un moyen de montrer qu’elle, elle n’avait pas peur de s’affirmer.

Colin, qui s'était approché de Léna, lui demanda avec sa douceur habituelle :

- Tu n’enquêtes pas ?

Léna se retourna lentement face à lui, et l’observa. Ses cheveux sombres lui donnait un charme de brun ténébreux, qui contrastait pourtant énormément avec son comportement d’un naturel très doux et serviable. Le garçon débordait d’amour et de gentillesse, toujours plein de bon sens et de bonne volonté. Ce n'était pas étonnant qu'il ait été élu délégué presque à l'unanimité.

Léna n'avait jamais cherché à mettre Colin dans son lit, elle se doutait bien qu’elle allait lui briser le coeur, et ce n’était pas ce qu’elle cherchait. Il était le genre romantique, et elle, le genre traînée de la classe. Et ça n’avait jamais fonctionné, ce genre de binôme.

- Et toi ? répliqua-t-elle en esquivant la question.

- Oh… Je ne sais pas. Je pense qu’ils sont tous bien plus doué que moi pour trouver ce genre de choses et puis je… j’ai encore du mal à croire à tout ça…

Léna ne répondit pas, pressentant que Colin hésitait à rajouter quelque chose. Elle préféra lui laisser le temps de continuer, et après quelques secondes de flottement il reprit :

- Mais la disparition d’Adrien n’est pas une coïncidence donc je… je ne sais pas.

- Tu penses qu’il est mort ? s’enquit Léna.

Colin fit la grimace.

- Je ne sais pas, mais je n'arrive pas à assimiler qu'il puisse… enfin, qu'il ne soit plus là, qu'on ne le verrait plus jamais… Tous ces moments quand on sortait manger ensemble, où juste ses blagues incessantes, j'ai du mal à me dire que tout ça pourrait être fini. Nicolas n’est même pas encore au courant… Je ne sais pas comment il va réagir.

Léna savait que Colin et Nicolas étaient meilleurs amis depuis de nombreuses années, elle les avait toujours connus très proches malgré toutes leurs différences. Ils étaient extrêmement opposés sur bien des points. Sur le plan physique autant que pour leur personnalité. Colin était aussi lumineux que l’apparence de Nicolas, pourtant le caractère de celui-ci était aussi sombre que l'étaient les cheveux et les yeux du délégué. Ils étaient des opposés qui se complétaient, et beaucoup d’élèves s'étaient souvent demandés comment une telle amitié pouvait aussi bien fonctionner.

Léna allait dire quelque chose quand son attention fut attirée par le bruit de talons claquant brutalement sur le sol. Elle leva les yeux en même temps que Colin, et ils virent tous les deux la silhouette de Scarlett s’éloigner en direction de Lila et de Smith. Pas très loin, Cléa se retourna dos à la fille aux longs cheveux et sourit d’un air satisfait, avant de regarder un bout de papier entre ses mains, et que son visage ne se ferme en une expression très concentrée.

Léna eut envie de faire une remarque sur le comportement de Cléa mais se retint. Elle avait conscience maintenant que tout ce qu’elle pouvait dire serait susceptible de la rendre suspecte, alors elle préférait parler le moins possible. À la place, elle continua à observer les élèves depuis sa position.

Scarlett discutait donc avec animation avec Lila et Smith, et elle arborait son air de pimbêche supérieure face au professeur. Hugo discutait avec Nancy, des feuilles de questionnaire dans les mains, et les deux élèves semblaient en bons termes. De toute façon, Nancy s'entendait avec tout le monde, à quelques exceptions.

Cléa était perdue dans ses pensées, seule au milieu de la pièce, et Léna repéra dans un coin Loup comparer deux feuilles dans ses mains avec un air concentré. Il relevait parfois la tête comme pour surveiller la blonde platine. Ce que la jeune fille, elle, ne faisait pas.

- Tout le monde semble déjà enquêter, remarqua Colin.

- Mais l’un d’eux fait semblant.

Colin se tourna face à Léna, et la jeune fille se mordit la lèvre. Elle n'était pas sûre de vouloir s’aventurer sur ce terrain glissant.

- On n'aurait pas dû laisser Isabelle, Weller et Nicolas seuls. On ne sait pas ce qui pourrait arriver.

- Je ne crois pas que le fait d’être seul ou non y change grand chose… Après tout, Adrien est mort devant nos yeux.

- Il n’est pas mort, contra Colin avec véhémence. Du moins on ne peut pas en être sûrs.

Léna se mordit la lèvre mais ne répondit pas. Elle ne savait plus quoi dire, désormais.

L'Art de TuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant