Elle était proche de Lou, les yeux rivés sur elle depuis le premier jour, hypnotisée par la façon dont elle parlait et se mouvait, hypnotisée par tous les masques qu'elle arborait devant le reste du monde, charme, rire, sourire, façade soignée et longuement travaillée. Chaque mouvement de ses cheveux envoyait des effluves de parfum et elle masquait la moindre de ses imperfections sous du fond de teint, une pointe de charme au bout de son nez retroussé. Elle était proche de Lou parce que Lou n'essayait pas de la séduire. Elle en était proche parce qu'elle ne tentait pas de la conquérir. Peut-être Lou la considérait-elle comme acquise, dans le fond, peut-être était-ce pour cela qu'elle se permettait d'être plus détendue, plus tranquille, plus vraie, moins parfaite. Peut-être. Elle ne lui avait pas dit pour Jeanne, pourtant. Elle ne lui avait rien confié, en réalité. Pim était proche de Lou comme on était proche d'un grand fauve, séparé de lui par une barrière trop épaisse pour pouvoir l'atteindre, détaché de sa réalité sans même le réaliser.

D'un geste impatient, Lou jeta un oeil à sa montre.

« Bouchez-vous les oreilles, » intima-t-elle et Pim observa une à une Zahra et Dalia obéir. Anush serra les dents, une seconde, avant de s'exécuter. Ne resta plus qu'elle et Lou. « Toi aussi, Pim.

– Qu'est-ce que tu vas souhaiter ? »

Lou resta muette, une seconde, avant de secouer la tête et de répondre :

« Si je te le disais, ça pourrait pas se réaliser, si ? »

À contrecœur, Pim plaqua ses mains contre ses oreilles. Aucune d'entre elles n'avait le droit à la même discrétion. Pim avait avoué ses pires secrets à la vue de tous. Dalia avait fait la même chose. Il n'y avait que Lou qui exigeait un traitement de faveur, Reine ou Impératrice au milieu de sa cour, pas tout à fait égales, mais suffisamment haut placée pour avoir le droit de lui tenir compagnie. Les sourcils froncés, elle essaya de se détendre, de ne pas laisser la colère la submerger. La seule solution était de se concentrer sur autre chose, sur les ongles peints en orange de Zahra ou sur la mèche de cheveux un peu plus longue que mâchonnait Anush ou sur, finalement, la façon dont la main de Myriam qui ceignait le poignet de Dalia bougeait contre sa peau lorsqu'elle suivait Lou des yeux.

Assise en tailleur près du mur, Lou chuchotait une litanie inaudible, oreilles bouchées ou pas. Le grondement qui suivit était, en revanche, parfaitement audible et la main de Dalia attrapa la sienne alors que Pim s'élançait pour attraper Lou. C'était un vent de panique qui soufflait sur la salle à présent, quelque chose d'animal et d'incontrôlable alors que Pim tirait Lou loin du mur et loin du trou dont sortait à présent une épaisse fumée noire. Anush, près de la porte, se battait pour allumer l'interrupteur. La fumée, épaisse et prégnante, semblait envahir chaque coin de la pièce sans s'en échapper.

« Fermez les yeux ! » cria Pim, aux quatre autres. « Dépêchez-vous ! »

Il y eut un mouvement dans l'air, quelque chose de lointain, un bruit de tissu qui se mouvait. Les ongles de Dalia s'enfoncèrent dans sa main et Lou se tassa un peu plus étroitement contre elle. Près de la porte, des bruits métalliques résonnaient. Elle était presque sûre qu'il s'agissait de Jules, de l'autre côté, qui s'acharnait sur la serrure pour tenter de les faire sortir. Elle était presque sûre, aussi, qu'il n'y arriverait pas tant que le Sycophante, qui errait dans la pièce, ne l'aurait pas décidé.

Lorsque quelque chose toucha son front, elle se mordit l'intérieur de la joue pour ne pas hurler. Le contact, glacial, était celui d'une main osseuse qui n'appartenait à personne qu'elle connaissait. C'était un contact macabre, un contact fantôme. Ce ne pouvait être une blague. Pas cette fois, pas comme ça. Quelque chose se tenait dans la pièce. Quelque chose la touchait.

Un bruit de verre brisé mit fin au silence pesant. Comme si la pièce entière était vidée, un poids subit s'envola des épaules de Pim.

« Je vais vous guider hors de l'atelier et vous pourrez ouvrir les yeux, » souffla la voix de Jules et ses mains sur ses épaules étaient un contact familier.

Elle le suivit sans broncher, la main de Dalia toujours dans la sienne, Lou toujours dans ses bras. Le bruit des semelles d'Anush sur le parquet la rassura immédiatement. La voix de Zahra, tremblante, finit par s'élever :

« Tout le monde est là ? »

Un concert de oui lui répondit. Dans leur dos, la porte de l'atelier se referma. Le visage de Jules était blême, lorsque Pim ouvrit les yeux. Tous les regards qu'elle croisa étaient emplis de terreur. Elle n'eut pas le temps d'y penser que des bruits de pas retentirent, quelque part dans le lointain. Ils étaient trop rodés pour se faire attraper, et après avoir salué brièvement Jules, ils se séparèrent pour rentrer dans leurs dortoirs respectifs, malgré la terreur qui les secouait encore. Pim ne savait pas si tout irait bien, alors qu'elle somnolait contre l'épaule de Dalia, entassée avec les autres sur le lit à une place qui meublait sa chambre, prête à dormir, mais quelque chose dans l'air sérieux d'Anush lorsqu'elle se racla la gorge, lui indiquait que non.

« Pim, » articula, précautionneusement, son amie. « Je crois que le Sycophante t'a marquée. »

C'était Lou qui lui tendit un miroir de poche, Dalia qui serra fort ses épaules lorsqu'elle fondit en larmes. C'était Zahra qui prit ses mains pour les empêcher de trembler trop fort. C'était Jeanne qui manquait, Jeanne dont elle discernait presque l'ombre, penchée au-dessus du lit, une main pressée contre sa nuque pour la réconforter. Jeanne qui n'était plus là.

Pim pleura comme elle n'avait jamais pleuré, un oeil rouge tracé au milieu du front.

Cette nuit-là, le sommeil ne vint jamais.

GalatéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant