Chapitre 14 : Grand Départ (3/3)

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— Je l'ai tué. J'ai transpercé son corps de ma lame, et j'ai senti la vie quitter son corps dans un gargouillement horrible. Je...je suis un monstre, hoqueta-il, se prenant la tête dans les mains.

— Écoute-moi bien, Mircea, lui dit le corsaire. Regarde-moi dans les yeux.

Le garçon releva la tête, et regarda Surcouf de ses grands yeux verts, dont les longs cils étaient collés par les larmes qui emplissaient son regard et troublaient sa vue.

— Ces hommes étaient des monstres, Calloway est un monstre, tes parents, à leur manière étaient des monstres, mais tu ne ressembles en rien à chacun d'entre eux. Tu as fait preuve de courage et d'une grande force pour réaliser ce que tu viens de faire aujourd'hui. Car si tu n'avais pas tué cet homme, ce pirate, ce meurtrier, c'est lui qui t'aurait tué. Tu ne l'as pas tué par plaisir, ni par vengeance, juste pour sauver ta propre vie. Ce serait te mentir que de te dire que tu ne tueras jamais plus personne, car ce genre de bataille risque de nous arriver de nouveau. Mais il est important que tu te rappelles à chaque instant pourquoi tu as fait ça. La mort d'un être humain est une chose horrible, surtout lorsque c'est nous qui la précipitons, mais elle est parfois inévitable. La réaction que tu as maintenant est la plus belle de toutes. Elle montre à quel point tu es une personne merveilleuse, Mircea. Tu seras un grand corsaire, j'en suis persuadé, et tu respecteras toujours tes adversaires. Allez, relève-toi, désormais, et si tu ne veux pas célébrer la victoire avec les autres, je le comprends. Tu peux aller t'allonger dans l'entrepont, je viendrais te réveiller pour ton prochain quart.

Il posa maladroitement une main sur l'épaule du garçon pour lui montrer son soutien, le releva affectueusement et le regarda s'éloigner, trainant derrière lui sa rapière ensanglantée et passa devant Oscar qui célébrait la victoire avec les autres pirates, profitant du Rhum remisé dans les cales du Sloop et confisqué par Rasteau avant l'incendie du navire ennemi. Au moment où il retournait vers sa cabine pour étudier ses cartes de navigation, il fut interpelé par Alizée.

— Capitaine, lui dit-elle.

Ce terme n'avait plus été employé à son égard sur un navire depuis la mutinerie de Bonpied.

— Il faut que nous ayons une discussion sérieuse. Je manque de personnel dans les voiles. Aujourd'hui, il s'en est fallu de peu que je ne puisse pas virer. Dans mon tiers de quart, je suis la seule réellement à mon aise dans la voilure et dans les haubans. C'est impossible, dans ces conditions de manœuvrer correctement. Mircea a beau être un garçon adorable, il n'a pas l'expérience requise pour être un bon gabier dans les situations d'urgence. Alors, oui, je veux bien m'employer à le former en dehors de mes heures de quart, mais cela prendra du temps, et nous en manquons cruellement. J'ai entendu dire que Calloway était en route pour Tortuga, et qu'il promettait une juteuse récompense à qui lui donnerait des informations sur vous. Dès demain, nous aurons tous les mercenaires de l'île à nos trousses, et Dieu sait qu'ils sont nombreux !

— Nous allons nous entraîner, répondit le corsaire. Continuer de nous exercer aux manoeuvres. Mais je ne peux pas vous attribuer davantage d'hommes dans les voiles, pour l'instant. Vous avez vu comment notre artillerie était désordonnée. Sur cinq canons, un seul a réellement fait feu, et avec quelle précision ! Notre priorité est d'améliorer notre efficacité au feu, et je ne peux pas me passer d'hommes supplémentaires, du moins pour l'instant.

La jeune femme se renfrogna, et retourna auprès des anciens gabiers de l'Hermione, Hyppolyte et Mériadec, occupés à prendre un ris dans une voile. De son côté, le corsaire descendit les marches qui menaient au faux-pont, afin de rejoindre sa cabine.

Azimut était assise à son bureau, penchée sur la carte des Bénédictines confiée par Louis, et que Surcouf avait laissée en place, dans la cohue de l'attaque des Longs-Couteaux. La navigatrice redressa la tête à l'arrivée du corsaire.

— Ah ! Vous voilà, dit-elle. J'étais justement en train d'étudier notre cap, lorsque je suis tombée sur cette étrange carte. Peut-être pourrez-vous m'éclairer ? A en juger par le papier jauni et l'imprécision des contours de l'Afrique qu'elle présente, je dirais que cette carte date d'au moins dix ans. Est-ce la carte du Trésor des Bénédictines ? Et ces écritures étranges, que signifient-elles ?

Surcouf se trouva bien embêté de voir la navigatrice penchée sur la carte censée rester secrète. Que faire ? pensa-il. Lui mentir ? Lui dire la vérité ? Lui avouer que je n'ai pas la moindre idée de ce que signifient ces signes ? Le corsaire opta finalement pour la sincérité.

— Oui, c'est la fameuse carte menant au trésor des Bénédictines. Pas l'originale, je pense, mais une réédition datant d'il y a une douzaine d'années. Elle m'a été remise par le roi Louis en personne.

— Merveilleux ! C'était donc vrai ! Je dois vous avouer que j'ai douté, pendant un moment, de la véracité de vos propos concernant la carte. Parfait ! C'est donc à Djibouti que se trouve le trésor ? C'est ce que veut dire ce mystérieux message codé que vous avez sans doute réussi à déchiffrer.

— Pas tout à fait, répondit Surcouf. Je n'ai pas réussi à déchiffrer ce message, et je doute que le trésor soit à Djibouti. Et cesse de me vouvoyer, nous allons passer des mois ensemble, sur mer.

— Comment cela ? Si le trésor n'est pas à Djibouti, alors pourquoi nous y emmener ?

Après quelques secondes de réflexion, Surcouf décida de dévoiler à la navigatrice tout ce qu'il savait du trésor des Bénédictines. Après tout, Azimut pourrait être de bon conseil, et s'il ne faisait pas confiance à son propre équipage, il n'arriverait jamais à son but. Il sortit la boussole de Chalais et la tendit à la jeune femme.

— Voici la première des sept pièces menant au trésor. Six autres pièces, dans six autres monastères autour du monde, permettront de compléter la collection qui nous mènera au trésor des Bénédictines.

— La prochaine pièce se trouve à Djibouti ? interrogea Azimut.

— Non, répondit le corsaire. Je n'ai aucune idée du lieu où se trouve la prochaine pièce, ni aucune autre, d'ailleurs. Je sais simplement que je pourrais trouver à Djibouti les hommes capables de réparer cette boussole brisée. Peut-être pourront-ils nous guider dans notre quête.

— A l'autel des navigateurs, répondit Azimut.

— Pardon ? demanda le corsaire.

— L'autel des navigateurs, c'est là que se réunissent les plus grands des hommes de notre confrérie, et qu'ils étudient les astres et les planètes. A Djibouti. Ils sauront réparer la boussole. Que sais-tu d'autre ? T'a-t-on révélé le secret du message codé de la carte ?

— Non, malheureusement. Je ne sais rien. Rien, sinon que la boussole de Chalais est la clef du message de la carte.

— La clef du message de la carte... la clef du message de la carte, répéta la navigatrice. Qu'est-ce que cela peut-il bien vouloir dire ? As-tu essayé d'ouvrir la boussole ? peut-être y a-t-il un moyen de décoder le message à l'intérieur.

— Oui, j'ai essayé cela, j'ai également essayé de décoder l'alphabet en me servant de la direction indiquée par l'aiguille, mais rien, le message reste toujours aussi incompréhensible.

— As-tu pensé à convertir le cap en degrés ?

— Comment cela ? interrogea Surcouf.

La jeune femme commença à dessiner et à faire des calculs sur un morceau de papier.

— Le NO correspond à 225°, que l'on rapporte sur 360°. L'alphabet ne contient que 26 lettres, donc en faisant un produit en croix, on trouverait 16,25 soit P. Essayons ainsi de remplacer le A par un P et voyons ce que cela donne... Utpex donnerait Feati. C'est du latin ?

— Ce mot ne me dit rien du tout, dans aucune langue que je connaisse, répondit Surcouf.

— Essayons la suite. Am untdgx... ça nous donne Lb fyeori. Bon c'est n'importe quoi. Laissons tomber. J'essayerai de m'y remettre plus tard. Il nous faut absolument déchiffrer ce message, Surcouf, car je connais certains des pirates que vous avez embarqués, et ils ne se satisferont pas d'une carte muette, ni de promesses d'un trésor. 

Un été en mer de Jade, Partie 1: Mission RoyaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant