Chapitre 1

7 1 0
                                    

C'est par un magnifique jour d'octobre que la découverte d'un cadavre démembré, affreusement mutilé, comme déchiré par une horde de chiens, avait bouleversé une fois encore la tranquillité de Dijon. On l'avait retrouvé au matin, au milieu d'une flaque de sang, rue de l'École de Droit, devant l'Académie des Arts et des Lettres. Les rues avaient été rapidement closes, empêchant tout curieux de se faufiler et de jeter un regard.

Les sirènes hurlaient et tel un phare affolé, illuminaient de bleu et de rouge la rue. À peine l'inspecteur de police Etienne Dolus posa ses yeux sur les membres dispersés ci-et-là, qu'il se mit à vomir tout son petit-déjeuner : un café noir, bien corsé, et une tartine de beurre, préparée par sa superbe femme Jeanne Dolus. Son coéquipier Alfonse Stulte l'avait gentiment imité, mais au lieu de viser le sol, l'avait dirigé sur l'épaule de son collègue. Après avoir vociféré longuement contre le malheureux, le commissaire ordonna à son équipier de le suivre. Les deux agents quittèrent la scène de crime.

— Putain, cracha l'inspecteur Dolus en entrant dans sa voiture. C'est pas la première fois que je vois un cadavre pourtant. Et toi non plus. Aller, passe-moi de quoi me nettoyer, gros dégueulasse.

— Pardon, j'ai pas fait exprès, dit son collègue en lui tendant un mouchoir.

— Mais du con ! Comment tu veux que je m'essuie avec ça ? Donne-moi ta cravate.

— Ma cravate ? Tu n'es pas sérieux ?

Une fois la cravate d'Alfonse en main, il ôta comme il put toutes traces vertes nauséabondes. Et tout en achevant sa besogne, il fit remarquer que le salaud qui avait découpé le corps n'y avait pas été de main morte, ce qui fit grimacer son collègue.

— Huit morts en un an. Et douze disparus. Ça commence à faire beaucoup.

Après que le corps — ou plutôt ce qu'il demeurait de lui — fut emporté à la morgue, le médecin légiste commença l'autopsie. Nos deux policiers attentaient impatiemment dans une salle d'attente les conclusions de celle-ci. Ils usaient le sol avec leurs belles chaussures bien cirées à force d'aller et revenir sans cesse. L'un portait un costume impeccable, bien repassé par sa femme ; l'autre n'avait pas de cravate : celle-ci gisait dans leur voiture, souillée du liquide verdâtre. Deux enceintes crachaient une musique inaudible, probablement du jazz, que l'inspecteur détestait tant. Il n'aimait que les Beatles, en particulier le clip Michelle (parce qu'il s'y trouvait des paroles en français).

Enfin, une jeune femme leur demanda s'ils voulaient bien la suivre. L'inspecteur la trouva bien belle, et s'empressa de l'observer de haut en bas. Il grommela des paroles inintelligibles, puis d'un geste nerveux, fit signe à son collègue d'avancer. Ils passèrent par une porte immaculée, et pénétrèrent dans le repère glacé du médecin légiste.

Rachitique et vieux, celui-ci avait l'apparence d'un cadavre parmi les cadavres. Il était parfaitement à sa place en ce lieu. Le pauvre bougre était pâle, comme s'il n'était jamais sorti de sa morgue pour voir la lumière du jour. De larges cernes témoignaient d'une profonde fatigue ; ses joues creusées par l'âge paraissaient plus profondes en raison de la faible luminosité. Il semblait trembler, pris d'un mal terrible.

Il accueillit les agents de police avec un rictus. Il remit en place ses lunettes sur son nez trop long pour être vrai, toussota et souhaita la bienvenue.

— Bonsoir Messieurs.

Ils le saluèrent avant de jeter un regard sur la table d'opération froide. Les deux manquèrent de défaillir. Le médecin avait tenté de reconstituer la forme du corps, mais la tâche s'était avérée bien difficile. Ils furent pris d'une nausée en fixant le corps démembré. Et dire que ce corps avait appartenu à un être humain !

— Alors ? Qu'a donné l'autopsie ?

Comme il restait étonnamment silencieux, l'inspecteur Étienne lui ordonna de parler.

— Eh bien... C'est trop affreux pour en parler. J'ai écrit un rapport, tenez, lisez-le. Je veux rentrer chez moi et oublier cette affaire sinistre.

Ils le prirent bien volontiers. Et tandis que le docteur partait, ils se mirent à lire. Voici le document en question :

Rapport du médecin légiste

Le corps a été identifié. De sexe masculin. Appartiens à Victor Felicis, étudiant en première année de Master de Lettres à l'Université de Bourgogne. Le corps a été découpé en une vingtaine de morceaux, probablement à la hache. Le crâne est défoncé. Plusieurs traces de torture sur le corps : entailles, brûlures, cheveux arrachés. Une entaille sur le torse au couteau. Des traces de morsure animale : impossible toutefois d'en identifier l'origine. Les os des jambes sont brisés. Les doigts ont été découpés du vivant de la victime ; trois ont été retrouvés dans l'estomac. Un œil manque. Un testicule a disparu, l'autre ayant été retrouvé dans la bouche de la victime. Les dents ont été extraites de son vivant. Les intestins ont été vidés et lavés, puis remplis par des billes portant une lettre « Y », trois « A », un « E », deux « S ». De nombreux signes ésotériques sont inscrits sur le corps du défunt. Un « Y » tatoué sur le front, une croix chrétienne sur la paume droite. Une étoile de David sur la cuisse gauche. Des traces séminales : en attente des résultats d'analyse pour en déterminer la provenance. Probablement un rituel satanique.

Après lecture du rapport, les deux inspecteurs s'entr'observèrent. Ils ne s'attendaient guère à pareille horreur. Au moins, cette fois, le corps était en entier. Et tandis qu'ils maudissaient le ou les responsables de cette horreur, le téléphone de l'inspecteur sonna. Il décrocha immédiatement :

— Inspecteur Dolus. J'écoute. Quoi ?

Il raccrocha l'air maussade. Son coéquipier, s'attendant au pire, demanda ce qui se passait.

— Ils ont trouvé un autre corps.

— Encore un ? Dans quel état est-il ?

— Celui-ci est vivant.

— Vivant ? Je ne comprends pas. Qu'est-ce ça à foutre avec notre affaire ?

— Tu vas voir. Sois patient. C'est assez déroutant.

Le policier sans cravate avait pris le volant. Il manqua d'écraser un passant en se garant à la va-vite. L'autre l'insulta de tous les noms, hurlant que c'était pour cette raison qu'il ne lui laissait jamais le volant.

Ils furent accueillis par un agent de police qui se retenait de rire. Ce dernier les mena vers un jeune homme, enroulé dans une couverture. Il avait le regard vide, et tremblait, comme victime d'un stress post-traumatique.

— Qui c'est, ce gosse ? lança l'homme sans cravate. Je ne vois pas le rapport entre lui et le meurtre.

L'agent de police leur rapporta toute l'histoire. On l'avait retrouvé à une centaine de mètres de la scène de crime, tout nu, tremblant de froid, recroquevillé sous un arbre de la place Saint-Michel, juste à côté de l'Église.

— Et donc ? En quoi est-ce lié à notre affaire ?

— Il bredouillait Victor et le répétait en boucle, comme un CD rayé.

— Victor ? C'est le nom de la victime !

— Emmenez-le, gronda l'inspecteur. Allons sans tarder au poste pour l'interroger.


You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Mar 11, 2020 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

Les Stèles IlluminéesWhere stories live. Discover now