p r e m i è r e s e m a i n e // (4)

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Tu n'as toujours aucun message de lui, dans tous les cas.

Tu te lèves, le monde autour de toi vacille, l'infirmière te rattrape de justesse. « Monsieur, c'est l'heure de vos soins... » Ah, oui, c'est vrai. Ton regard s'égare un instant vers la chambre d'à côté, tu déglutis. Louis doit être au courant, lui aussi. L'infirmière a dû lui mettre sa télé. Tu te demandes comment il a réagi. Si son ex l'a contacté, elle. Tu as envie d'aller le voir, de lui demander comment ça se passe de son côté, si lui aussi il a cette envie de vomir qui secoue tout son estomac. Si il a peur. Peur de mourir, là, au plus haut de son âge, juste parce qu'il n'a pas su aimer correctement. Mais l'infirmière presse ton bras alors tu la suis pour tes soins du matin parce qu'elle ne te laisse pas trop le choix.

Cela suffit à t'épuiser. Le moindre effort te demande une énergie considérable et cela se voit à ta respiration qui te brûle atrocement, à ta poitrine qui se soulève dans un rythme effréné, à cette impression presque constante d'étouffement. On t'apporte alors l'oxygène mais rien que de voir les canules te fait peur, tu refuses, tu ne veux plus voir la maladie pour aujourd'hui, rien que pour aujourd'hui. Tu préfères encore avoir mal, tu préfères encore brûler de l'intérieur et avoir peur mais par pitié, qu'on te laisse tranquille, aujourd'hui, rien qu'aujourd'hui.

C'est ce qu'elle fait ; elle te laisse tranquille.

Tu dors une bonne grosse partie du midi et du début de l'après-midi et lorsque tu t'éveilles, tu te sens un peu mieux. Cela te suffit pour sortir de ta chambre et traîner jusqu'à celle d'à côté, à la porte à présent fermée. Tu te dis que si l'affluence dans les hôpitaux continue comme ça, vous allez avoir des colocataires dans vos chambres et tu ne sais pas trop pourquoi, l'idée de ne pas être le colocataire de Louis t'irrite. Tu entres dans la pièce dès qu'il t'en donne l'autorisation, le dévisageant quelques instants. Tu ne sais pas trop ce que tu cherches, peut-être la même lueur que la tienne dans son regard, celle de la peur, de l'incompréhension, quelque chose qui te soufflerait que tu n'es pas tout seul.

Tu la trouves.

Que tu es cruel, Harry

de t'en sentir soulagé.

« On va mourir alors, hein ? » Que tu lances en t'approchant, traînant ton oxygène derrière toi pour t'installer sur son lit. Tu ne l'as pas vu avec ses canules, encore, mais maintenant que tu y penses il semble beaucoup moins mal que toi ; peut-être que tu aurais bel et bien dû venir à l'hôpital avant, plutôt que de lutter jusqu'à perdre connaissance. « Ouais... Apparemment. » Il grimace sa réponse, tu vois bien qu'il essaie de sourire mais que ça ne marche pas vraiment. « C'est peut-être pas si terrible que ça en a l'air. J'veux dire, personne n'est vraiment mort... Pour l'instant. » Même si on sait ce que ça veut dire, coma artificiel. Même si il faudrait un miracle pour découvrir d'où vient le mal, en si peu de temps – avant que le coma artificiel ne se transforme en coma éternel. Louis te dévisage quelques instants, il te prend pour un niais bien trop optimiste, ça se lit sur ton visage ; mais toi, tu aimerais qu'il fasse au moins semblant de te croire, un peu. Tu as besoin que quelqu'un te dise que tu ne vas pas mourir, pas maintenant

surtout pas parce que tu n'as pas su

aimer correctement.

« T'as vu ta gueule ? On dirait que tu vas claquer dans deux jours. » Il glousse un peu et c'est plus fort que toi, tu rigoles avec lui. Oui, tu t'es vu dans la glace lors des soins ce matin, c'était vraiment pas la joie. Tu ne peux pas le contredire sur ce point – surtout pas alors que tu es sous oxygénation, des canules dans le nez pour t'empêcher de t'étouffer à force de mal respirer. Non pas que tu aies su bien respirer un jour ; simplement que là, c'est pas seulement ton esprit qui t'en donne l'impression, ton corps aussi se met à tirer la sonnette d'alarme. L'air de dire : hey, Harry, j'sais pas si t'es au courant, mais en plus de vingt ans d'existence, t'as pas su respirer correctement une seule fois. C'est que je fatigue un peu, moi, tu sais.

Ah.

Tu respirais tellement bien, auprès d'Elian.

T'avais l'impression d'être normal, auprès de lui.

Maintenant...

Maintenant, tu regardes Louis et tu te dis que c'est la première fois que tu respires mal auprès de quelqu'un, au sens propre comme figuré, et que ça ne semble pas tellement le gêner que ça. Peut-être parce qu'il respire mal aussi ; peut-être parce qu'il va finir comme toi, au final. Qu'ils finiront tous comme toi, parce qu'on finit tous morts un jour et que bientôt, l'hôpital sera rempli d'âmes en peine comme toi, avec des canules dans le nez comme toi, tout simplement parce qu'ils n'ont pas su aimer correctement, comme toi. « Promis, j'te laisserai pas seul dans un hôpital débordé. » T'as longtemps pensé que t'étais l'unique personne dans ce monde tellement cassée qu'elle est incapable d'être aimée sans qu'on finisse par la quitter, mais maintenant que ces fichus symptômes se répandent partout, tu te rends compte d'à quel point tu étais exactement comme les autres.

C'était bien le propre de l'homme, ça. Se sentir unique, avoir l'impression de vivre quelque chose que les autres ne vivront jamais, sans même s'apercevoir que des millions de gens sont en train de penser la même chose au même moment, que des millions de gens l'ont fait avant eux et le vivront encore après eux. L'unique vit dans nos propres regards, jamais dans ceux des autres ; tout ce qui a été unique au monde pour nous n'est que répétition pour ceux des autres. Et cela en sera ainsi, jusqu'à la fin des temps.

Tu n'es pas grand chose dans ce monde, Harry ;

une poussière.

Mais même une poussière rêve de devenir une étoile aux yeux de quelqu'un.

Toi, tu as désormais peu de chance de briller dans leur regard

avant de disparaître dans un trou noir.

« Merci, c'est sympa de ta part. » Qu'il réplique et de nouveau, le silence. Vous ne savez pas vraiment quoi dire de plus car que dire sur une maladie dont on ne sait rien ? Au-delà de ça, une espèce de gêne s'est installée entre vous depuis que vous avez dormi ensemble, une distance que tu ne sais pas combler. T'as jamais très doué avec les autres toi, c'est Elian qui a presque tout fait lors de votre relation, chaque pas c'était lui qui les entamait, quant à Niall et Zayn... Votre rencontre a été si différente, si atypique et naturelle que tu ne sais même plus comment vous vous êtes débrouillés pour cultiver ce lien.

« J'aimerais bien être dans la même chambre que toi. » Tu relèves un regard timide vers la tempête de Louis, ne sachant pas trop comment il va réagir. Dans un sens, tu espères presque qu'il t'envoie chier ; tu ne sais pas gérer tout ça, Harry. Ce que tu ressens pour lui est un mystère, une attirance presque magnétique ; pas forcément sexuelle, encore moins romantique, tu cherches surtout une affection qui te manque horriblement et quelqu'un pour savoir ce que tu vis, pour te soutenir et te dire que tu n'es pas tout seul, que tu ne le seras jamais. Tu ne sais pas gérer tout ça alors tu espères qu'il parvienne à les rendre plus simples en t'envoyant chier, une bonne fois pour toutes. « Pourquoi pas. On peut toujours demander. Avec l'affluence qu'il va y avoir, ça ne m'étonnerait pas qu'ils acceptent. » ... Mais le jour où le karma voudra bien te suivre ne semble pas vouloir arriver.

Merde, Harry ; tu ne devrais pas t'en sentir aussi heureux.

« D'accord, je vais demander alors. » Tu te redresses, un peu trop rapidement. Toujours pas habitué à cette faiblesse dans ton corps, tu peux au moins te rendre compte d'à quel point tu avais l'habitude de le malmener et de le brutaliser ; secousses, impacts contre divers meubles et murs, agressions de la pluie ou du soleil, ton corps est ton plus fort bouclier et le sentir te lâcher est sûrement ce qu'il y a de plus effrayant dans ce merdier. Louis s'est précipité pour te rattraper mais tu l'as fait tout seul, tu lui souris pour le rassurer alors que tout à l'intérieur de toi aimerait pleurer de te voir t'effondrer en plein de petits morceaux écrasés. Tu lui souris parce que tu ne sais pas comment faire autrement et tu t'en vas demander aux infirmières si tu peux changer de chambre, ou lui ; si vous pouvez être ensemble pour ce dernier chemin,

et comme aux yeux des autres,

vous semblez déjà morts

le changement est accepté rapidement.

Ton Epine // LarryWhere stories live. Discover now