Mon téléphone vibre dans ma poche, c'est très probablement Eliott. Quand il verra que je ne réponds pas, il comprendra que je me suis fait choper. Merde, je suis trop con. Je n'aurais pas dû m'arrêter dans cette ruelle sans issue, je me croyais plus intelligent que ça.

- Allez gamin, je t'emmène au poste.

Je suis vraiment dans la merde, mon oncle ne va pas être content, pas du tout. D'autant plus que mes grands-parents sont toujours chez lui, ils se rendront vite compte que je suis la honte de la famille.

Assis sur un banc miteux de cette cellule toute aussi miteuse, j'attends un bon moment. Deux heures, peut-être trois. Une chose est sûre, Andrew prend volontairement son temps. Mon camarade de cellule est un vieil homme qui chante l'hymne américain en boucle depuis une heure, avec une voix qui trahit son état d'ébriété. Un flic lui a demandé plusieurs fois de fermer sa gueule, mais sans succès.

- Blake Morton ?

Je me lève en voyant l'agent s'approcher de ma cellule.

- Quelqu'un a payé ta caution, tu es libre.

Le quelqu'un, qui n'est autre que mon oncle, à l'air en colère. Son visage est fermé et sa mâchoire contractée. Il me voit arriver et sans un mot, tourne les talons pour se diriger vers sa voiture. Je récupère mon portable au comptoir et le rejoins. Quand je claque la portière après m'être glissé côté passager, il démarre et commence à rouler en silence.

- Tu comptes dire un truc ? Dis-je après plusieurs minutes de blanc.

- On va chez moi. Tu vas voir tes grands-parents.

Son ton est sec, ferme. Oh oui, il est sacrément en colère. L'idée de voir mes grands-parents ne m'enchante absolument pas, mais à ce stade-là, je n'ai plus vraiment le choix. Il gare sa voiture devant la maison et sort. Je claque la portière et le suis à l'intérieur. Maureen m'accueille avec son habituel sourire chaleureux, et elle y ajoute un regard de compassion. Je pénètre dans le salon et tout mon corps se tend à l'instant où mon regard se pose sur mes grands-parents. Je ne m'attendais pas à réagir comme ça en les voyant, je pensais être plus détaché.

- Mon Dieu Blake, souffle ma grand-mère. Ça faisait si longtemps.

Elle s'approche de moi et tend sa main pour la poser sur ma joue. Une boule se forme dans ma gorge, pourquoi elle agit comme ça alors qu'elle m'a abandonné ?

- Je vous laisse, j'ai du travail, dit mon oncle en quittant la pièce.

J'ai tout de même droit à un regard noir de sa part avant de le voir disparaître.

- Tu as tellement grandi, fait mon grand-père de sa grosse voix.

C'est un souvenir que j'ai conservé de lui, sa voix rauque. Quand j'étais petit, j'adorais l'entendre me raconter des histoires en utilisant cette voix grave pour les grands méchants. Les bras toujours le long du corps, je suis figée comme une statue. Mon regard passe de l'un à l'autre, mais je ne dis rien.

- On comprend que tu ne voulais pas nous voir, me dit mon grand-père avec un regard entendu.

- Tu es devenu un si beau garçon, souffle ma grand-mère les yeux brillants.

Je ravale la boule qui prend toute la place dans ma gorge et m'autorise à respirer.

- Merci.

C'est tout ce que j'ai trouvé à dire. J'aimerais leur crier dessus que je les déteste de m'avoir abandonné, mais j'en suis incapable.

- Je sais qu'on ne pourra pas rattraper toutes ces années loin de toi, mais sache que nous sommes désolés.

Je regarde mon grand-père qui vient de parler, toujours assis sur le canapé à l'autre bout du salon. J'aimerais leur demander pourquoi ils n'ont jamais pris de mes nouvelles, mais rien ne sort de ma bouche. J'ai l'air d'un con.

Pendant l'heure qui suivent, je tente tant bien que mal de répondre aux nombreuses questions qu'ils me posent à propos de ma vie, l'école, les copains, les amours. Je ne me sens pas encore prêt à entretenir ce genre de relation avec eux, c'est comme si rien ne s'était passé. C'est probablement leur but, se comporter avec moi naturellement, ignorant le fait que ça fait des années qu'ils ne m'ont pas parlé. Peut-être que de leur côté ça marche, mais du mien ça ne le fait pas. Cette conversation n'a rien de naturel, j'ai l'impression de vivre un interrogatoire auquel je réponds par oui, non ou un haussement d'épaule. Les nombreux regards qu'ils se lancent entre eux montrent qu'ils ont conscience que mentalement, je suis absent. Je suis sûr qu'ils le comprennent, car ils ne me le reprochent pas. En fait, ils n'ont pas d'autre choix que de le comprendre.

Il fait déjà nuit quand mon oncle me ramène chez moi. Il a l'air moins en colère que tout à l'heure, mais toujours remonté.

- J'espère que c'est la dernière fois que je paye pour t'éviter d'aller en taule.

- Ce n'était qu'un tag, réponds-je.

- Ça n'a pas toujours été qu'un tag.

Le reproche présent dans sa voix me fait serrer les poings. À peine a-t-il arrêté la voiture dans ma rue que j'en sors en marmonnant un au revoir. Il redémarre aussitôt et au bout de quelques secondes, je ne vois plus sa voiture. En ouvrant la porte de mon appartement, je découvre une autre lettre qui a été glissée sous la porte. Maintenant, cet enfoiré monte carrément jusqu'à mon étage. Je la balance à l'autre bout de la pièce me jurant de la brûler plus tard. J'envoie un message à Eliott et quinze minutes plus tard, lui et les gars débarquent avec de l'alcool et des joints.

- Alors tête de con, tu t'es fait choper ? Ricane Troy.

J'attrape une bouteille de vodka de la main de mon meilleur pote et bois directement au goulot. Putain, c'est dégueulasse.

- Mon oncle était furax, dis-je dans un grognement.

- Il t'a gueulé dessus ?

- Pire, il m'a obligé à voir mes grands-parents.

Eliott me reprend la bouteille des mains et en boit une gorgée. Il tire la même grimace que moi quand le liquide coule dans sa gorge.

- Je suis désolé pour toi mec.

Les autres suivent notre conversation, ignorant tout de ma relation avec mes grands-parents. Enfin plutôt de mon manque de relation.

- Bref ! Fait Eliott pour changer de sujet avant que les gars ne commencent à poser des questions. Demain on sort ? Propose-t-il.

Ce gars n'est pas mon meilleur pote pour rien

Perdu D'avanceWhere stories live. Discover now