Chapitre 13 : Le chat et la souris.

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— Ah oui, ça, on s'en rappelle de quand t'allais la chercher au lycée ! Elle était excitée toute la journée, et elle ne parlait presque que de toi à qui voulait bien l'entendre, et qui ne voulait pas aussi, me révèle Eden.

Je ne sais plus vraiment quoi dire, mais je parle encore. J'ai comme un besoin vertigineux de mots.

— Ma tante, la mère d'Iris, me proposait de plus en plus souvent de venir chez elle, et j'acceptais avec joie... Et puis un jour, il a plu, et le vase a débordé. Mon père a fini par m'interdire d'aimer n'importe quelle fille. C'était ridicule. Mais sur le moment, ça m'avait frappée, un excès de colère. J'ai fugué, et j'ai couru pleurer chez Iris. Je lui ai tout expliqué, à elle et à ma tante, qui m'a proposée de rester chez elle pour un temps. Ça ne devait durer que deux jours, mais cela fait sept mois que je vis chez Iris. Mes parents demandent de mes nouvelles par l'intermédiaire de la mère d'Iris, et pour l'instant, je reste chez eux, en attendant de voir ce que je vais faire plus tard. Ils m'envoient des messages tous les jours pour s'excuser, ils me demandent de rentrer à la maison... Mais je ne suis pas prête à les entendre. Je sais qu'ils ne seront jamais d'accord avec mon attirance. Je n'attends plus de régler mon problème avec les filles, je n'attends plus que mon cerveau répare ses erreurs de destinataire.

Ma voix meure dans ma gorge et je commence à pleurer, doucement, à petites secousses. Comme une petite souris. Restée enfermée trop longtemps dans sa grotte, apeurée par le chat qui la guettait. Ma petite souris a peur de sortir, parce qu'elle ne sait pas vraiment si le chat est encore là. Je suis oppressée, oppressée par la peur d'Eden, qui va me trouver stupide, qui va me juger de sa voix cassante, sans appel. Mon cœur ne se libère pas de s'être confié. Il se creuse, se froisse, se vide, et ne laisse plus place qu'à une petite sensation de pluie salée dans ma cage thoracique.

— Hé, Lila, respire un peu, tu veux ? Ralentis ton rythme cardiaque aussi, parce que si ton cœur s'arrête, c'est moi qu'on accuse de meurtre, et ça ne fait pas partie de mes plans !

Elle rit à moitié, et caresse mes mèches bleues. Je décolle ma tête de son épaule, relève ma nuque, et regarde droit devant moi. J'essuie mes larmes avec la paume de ma main.

De profil, Eden apparaît encore un peu plus belle que ce matin. Je ne devrais pas être surprise. Certains matins, il m'arrive de remarquer qu'une fleur s'est ouverte dans la rue Victor Hugo, que mon prof de maths a mis sa seule chemise bleue, qu'Iris a attaché ses cheveux avec l'élastique noir d'Aliénor, que Pierre a bu deux verres d'eau à la cantine. Ce soir, je remarque qu'Eden a deux yeux qui pétillent. Il faut regarder l'intérieur de sa pupille, et descendre dans le puit de son regard. Et là-bas, son œil pétille comme du champagne, des petites bulles qui explosent à chaque battement de cils. J'éprouve soudain l'envie de faire quelque chose de complètement insensé. Qui m'était déjà passé par la tête, bien sûr, mais l'idée ne m'avait jamais parue aussi réelle, aussi proche. Je pense, un peu à ce que je vais faire. Et puis dans un mouvement furtif, j'embrasse Eden du bout mes lèvres, timidement, comme une question.

Je ne réfléchis même pas à ce qu'elle va me dire. Je pense à mes parents, à leurs idées bornées, leur concept stupide de croire qu'on ne peut aimer que certaines personnes, qu'il y ait des amours qui sont interdites... Je ne sais pas vraiment si ce baiser est un acte d'amour ou de révolte. Peut-être bien que ce sont les deux. Je suis trop fatiguée pour réfléchir. Je ne suis maintenue éveillée que par le souffle d'Eden, à mes côtés. Elle sèche tendrement mes larmes de sa main et dans un mouvement moins timide que le mien, elle m'embrasse. Elle dépose de l'espoir sur mes lèvres, et elle m'affranchit d'une partie de ma peur. Je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire, un baiser d'Eden. J'hésite à lui demander. C'est elle qui prend la parole en première.

À nos joies !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant