Entre deux mondes

La Cunard

Il hésita à en parler à Peter, il ne voulait pas que son projet soit connu au sein du Dolphin, craignant qu'on le congédie si l'on apprenait qu'il cherchait déjà quitter son poste alors qu'il n'avait pas terminé son apprentissage. Ainsi, il garda cet objectif secret pendant plusieurs jours, mais la veille de son entretien, il céda à l'envie de partager son excitation avec Peter. Il n'était pas son chef, il était son ami, celui avec qui il avait fait toute sa scolarité, ils se connaissaient depuis qu'ils savaient parler, ou presque, il pouvait lui faire confiance.

Ils fumaient une cigarette dans la cour intérieure de l'hôtel, juste à côté de la porte de service de la cuisine. Michael avait commencé à fumer à son arrivée au Dolphin Hotel, c'était justement Peter qui l'avait initié aux plaisirs du tabac.

— Peter ? dit Michael en expulsant une volute de fumée grise, je peux te dire un truc que tu gardes pour toi ?

— Ouais, bien sûr, c'est une histoire de cul ? Une des filles de l'hôtel ? Raconte !

— Nan, rien à voir avec ça, t'es con.

— Je déconne, vas-y raconte, mais j'aurai préféré une histoire de cul. Moi je bloque sur Margaret, elle me fait tourner la tête cette file... dit Peter en faisant non de la tête comme s'il s'en voulait intérieurement.

— Pas une histoire de fille, non. Tu gardes pour toi ce que je vais te dire hein, tu promets ?

— Ouais je promets, tu m'intrigues.

— Bon, donc tu promets ? Tu restes muet comme une tombe, tu n'en parles à personne. On est d'accord ?

— On se connait depuis combien de temps Mike ? Franchement, on a appris à jouer aux billes ensemble. Tu sais que tu peux me faire confiance, tu vas finir par me vexer là. Dis-moi, t'as baisé une fille ? C'était comment ?

— Pete... Bon, voilà, je vais peut-être démissionner.

— Hein ? Déjà ? Mais tu viens de commencer. T'aimes pas le boulot ici ?

— Si j'aime beaucoup et c'est génial de bosser avec toi, mais tu sais, comment dire. J'aimerais bien partir en mer, j'adorerais ça. Et j'ai un entretien chez la Cunard. D'ailleurs, tu peux me remplacer demain matin ? Je te remplace samedi, même dimanche si tu veux, j'ai vraiment besoin d'avoir ma matinée de libre.

— Ah c'est pour ça que tu me racontes tes secrets, tu as besoin de moi ! Salaud.

— Mais non, tu sais bien que non, mais disons que tu m'aiderais beaucoup. Sinon je vais devoir me porter pâle et baratiner O'Neal, je préfère éviter, si possible.

— Pas de problème, tu me remplaces samedi, et je te couvre demain. La Cunard hein. Classe.

— Rien n'est fait, c'est juste un premier entretien, je ne sais pas ce que ça donnera, mais bon, voilà l'idée.

— Classe. Mais j'aurais quand même préféré une histoire de cul. Moi je vais tenter ma chance avec Margaret, elle est vraiment belle avec ses boucles rousses et sa peau claire, elle me fait penser à une elfe.

Ils prirent leur service à onze heures et dressèrent les tables. Les premiers clients se présentèrent vers midi et une demi-heure plus tard, l'activité en salle battait son plein. Michael était affecté à deux tables, il vint apporter un plateau de fruit de mer à ses clients du jour, des Américains, à en juger par leur accent, qui allaient certainement partir pour New York le lendemain, avec le départ du Queen Elizabeth prévu pour seize heures. Il était quatre, deux femmes et deux hommes, certainement un couple d'amis venu en vacance en Europe. C'était de plus en plus commun de voir des Américains sur le vieux continent, la traversée transatlantique était à la mode chez les populations aisées, et Southampton bénéficiait en première ligne de cette tendance très lucrative pour l'hôtellerie et la restauration.