Chapitre 23

Depuis le début
                                    

— C'est pas le but, Pat, c'est jusque que puisqu'on doit être là, autant bosser dans de bonnes conditions. Je trouve ça cool. Il a l'air sympa ce mec.

— Poudre aux yeux. Qu'on nous augmente de trente pour cent, et qu'on enlève cinq élèves par classe, c'est ça, les bonnes conditions. Pas un canapé, grommelle Patricia.

Personne ne réplique rien, devant la mauvaise humeur évidente de la doyenne, et chacun se penche en silence sur son déjeuner, jusqu'à ce que Milla rompe le calme en montrant des photos de ses filles en ciré sur les plages normandes. Emilie enchaîne sur le récit de ses vacances en Camargue avec Pierre et Basile, leur fils, Jérôme fait marrer l'assistance avec quelques anecdotes issues de son séjour en Tunisie, et Chérif profite de la bonne humeur qui revient et des tupperwares qui se vident pour proposer une assiette de gâteaux algériens.

C'est le moment que choisit Colin pour arriver. Appuyé au chambranle de la pièce, il regarde, sourire aux lèvres, ses nouveaux collègues rire ensemble, la bouche pleine de biscuits au miel et aux amandes.

— Bonjour, fait Laurence qui l'aperçoit la première.

— Bonjour tout le monde, répond Colin en s'avançant.

Il fait le tour  de la table alors que chacun se présente, serrant la main de Jérôme, embrassant chaleureusement les filles sur les joues. Ana frémit, autant de ce contact physique, du parfum léger, que de se rendre compte qu'elle n'avait de cesse d'attendre l'arrivée de son nouveau directeur. Les mains posées sur les bras de sa collègue, il capte son regard.

— Tu vas bien, Ana ?

— Oui, murmure-t-elle, et toi ?

— Très bien, répond-il en se détournant, toujours souriant. Je suis très heureux d'être parmi vous !

— Plaisir partagé, affirme Jérôme.

— Un gâteau ? propose Chérif, en tendant l'assiette de sa maman.

— Avec plaisir, je n'ai pas eu le temps de déjeuner.

— J'ai du pain et des prunes si tu veux, offre Milla, et puis il y a des conserves que tu as apportées.

Elle ne peut pas savoir que Colin, au fond, est si stressé qu'il ne risque pas de pouvoir avaler un plat entier. Il fait toutefois l'effort de croquer dans le biscuit attrapé sur l'assiette.

—  Ça ira, merci beaucoup, Milla. Chérif, cette pâtisserie est délicieuse ! C'est fait maison ?

— Oui, de ma maman, répond le jeune homme en rougissant.

— Tu la féliciteras, c'est excellent !

Colin termine le gâteau, se sert un café et, se dirigeant vers son bureau, donne ses consignes :

— On commence dans dix minutes, le temps que tout le monde arrive, d'ac ?

Dans la petite pièce, à l'abri des regards, Colin pose les deux mains à plat sur son bureau. Ça va bien se passer, martèle-t-il. Tout va bien se passer.

Il n'est plus à un mensonge près et a trouvé l'alibi parfait pour justifier et son poste, et ses ambitions. Lui qui était la franchise incarnée, il n'y a pas une seule personne de son entourage à qui il ne ment pas.

Les enseignants réapparaissent, au compte-goutte. Ceux qui étaient déjà présents débarrassent leur couvert et vont chercher agenda, cahier de réunions, ou rien, avant de se réinstaller autour des tables disposées en O.

Colin les rejoint, les bras chargés de dossiers, refait du café, et s'assoit à son tour.

— Bonjour à tous, et ravi d'être parmi vous. Comme vous le savez je m'appelle Colin, Colin Le Guellec, et j'ai trente-sept ans. Je sais que certains d'entre vous se demandent comment j'ai pu obtenir ce poste à mon âge. En vérité, je suis porteur de projets assez précis, qui ont intéressé la hiérarchie, et le DSDEN* a décidé de me laisser tenter ma chance ici. Je vous propose de commencer par un tour de table, je ne connais pas tout le monde, puis je vous ferai le compte rendu de la réunion de direction de ce matin. On s'occupe des plannings ensuite, puis je vous exposerai tout ça, c'est d'accord ?

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant