Chapitre 1

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PROLOGUE

Limbes des Souvenirs Choyés

15h48.

Cela faisait un sacré moment que l'horloge indiquait 15h48.

Un trop long moment même.

C'était du moins ce que se disait Russel Oorsky, perdu au fond de la classe, le menton enfoncé dans ses paumes. Le crayon pendu au bec, il laissait son regard aller et venir nerveusement des aiguilles figées sur «15H48 » aux nuages clairsemés qui s'annonçaient à l'horizon.

Loin devant lui, sur l'estrade, Miss Debra Hardwick, les jambes compressées dans une jupe longue noire étroite, cavalait pourtant d'un pas alerte d'un côté du tableau à l'autre, armée de son bout de craie et martelant le plancher de ses talons dont le claquement se synchronisait à celui de la craie sur l'ardoise.

Depuis plusieurs minutes déjà, Russel avait renoncé à comprendre les formules ésotériques qui recouvraient le noir et il se demandait d'ailleurs qui, dans la classe, aurait eu assez de culot pour affirmer y comprendre quelque chose.

Personne.

Personne d'humain en tout cas...

.... à part Ashley Mangusta, dont l'appartenance à la famille humaine restait encore à définir ou méritait au moins réflexion. Ashley Mangusta, scotchée au premier rang ; celui qui imposait d'avoir des lunettes, appareil dentaire d'un autre âge et col de chemise fermé jusqu'au cou. Plus, en ce qui la concernait, une couette ridicule, serrée haut sur le crâne par un élastique brillant, décoré de deux cerises.

Russel, le crayon fourrageant paresseusement sa tignasse, l'observa alors recopier, à grand jeu de coude levé, les théories fumeuses de Miss Debra. Comment elle faisait, la Mangusta, pour recopier aussi vite sans lever la tête ? Sans jamais la lever une seule fois sur ce tableau?

Russel se cura l'oreille de la pointe de son crayon et, dans une profonde expiration, en conclut qu'Ashley avait un regard de caméléon ; un œil sur le cahier, l'autre fixé sur le tableau et que ça devait rouler terriblement derrière les verres bleutés de ses lunettes.

Satisfait d'avoir levé l'énigme il porta son attention sur Marc, deux rangées devant lui.

Marc Carlisle, son grand pote de toujours. L'ami Marc avec qui il avait grandi sans trop s'en rendre compte dans la tranquille Doven Falls, endroit le plus calme du monde juste après le cimetière pour animaux de Pilsen Dodge, à dix kilomètres de là. Marc avec qui il avait mêlé son sang à coups de canif foireux dans l'avant-bras quelques années plus tôt, histoire de faire de leur simple voisinage une fraternité de fortune. Ce qui n'avait pas été du goût des parents respectifs, peu au courant des pratiques indiennes encore en vigueur dans cette partie du quartier et encore moins enclins à les trouver « branchées ».

Marc sentit le regard de son ami sur sa nuque et se retourna, l'interrogeant du regard sur sa compréhension de ce qui se tramait au tableau.

Miss Debra avait d'ailleurs finit et, essoufflée, se retourna vers sa classe médusée sauf peut-être Ashley qui semblait faire de cette conspiration de formules tordues son petit lait. Elle regagna son bureau d'un pas assuré et accorda dix minutes supplémentaires à ceux qui n'avaient pas fini de recopier.

Marc referma son cahier, dont il se demandait d'ailleurs pourquoi il l'avait ouvert et tapota l'épaule de Betty, assise devant lui.

Betty Lyn Stevens. Au moins la plus jolie fille de l'école, de Doven Falls, et d'un sacré paquets de miles alentours. C'était la petite amie de Marc.

Celle de Russel aussi.

Les deux garçons se partageaient ses faveurs depuis la rentrée et se pavanaient, par intermittence, à son bras, feignant d'ignorer le ridicule de la situation et de la réputation de pomme qui collait à leurs baskets.

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⏰ Last updated: Nov 03, 2020 ⏰

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