Chapitre 38 ~ Le commencement arrive

Depuis le début
                                    

- Dites-moi tout. Depuis le commencement, jusqu'à aujourd'hui.

La vieille femme s'assit sur le canapé, si ridicule face à la grandeur titanesque de la salle.

- Vos origines ne sont pas exactes, mais la légende raconte que vous êtes apparus du jour au lendemain, que des dons sont venus à des inconnus, aussi beaux... que dévastateurs. Ces personnes n'étaient pas nées comme ça, elles acquéraient ce pouvoir au cours de leur vie, ce qui suscitait beaucoup de jalousie. ''Pourquoi lui et pas moi ?'' Certains cherchaient à provoquer le destin, on imaginait que mourir d'une certaine manière, que plonger dans un bain de sang humain, qu'être dévoré par des oiseaux, qu'être infecté du pire poison au monde, apportait sur nous un regard divin, et qu'il se traduisait par un pouvoir mystérieux, dont personne ne savait rien. Il arrivait qu'un puissant donne naissance à un être banal, qu'un bébé détruise un village entier, qu'un enfant perde la tête, ça avait quelque chose de plus que du hasard, la magie était synonyme... de folie. Peu importe qui vous étiez, qui vous aimiez, ce que vous vouliez, c'était comme tomber malade d'un seul coup, et souffrir le martyr toute votre vie. Au fil du temps, ils se sont regroupés entre eux et ont commencé à se rebeller : ils étaient des proies adulées, on les chassait pour les vénérer. Ils ont erré, cherché un refuge, un endroit propice, puis ils ont fini ici. Sauf que plus ils s'écartaient de la société, plus on les montrait du doigt. Certains ont commencé à les attaquer, parce qu'ils représentaient une menace considérable – ce qui n'était pas si faux que ça. Pendant ce temps, quelques uns d'entre eux étaient sur le devant de la scène, ils avaient beaucoup d'influence, trop même.

Elle regardait intensément Anya, comme si tout ce qu'elle disait, c'était elle qui le lui avait raconté, comme si la source de son savoir, c'était la Reine qui se tenait devant elle.

- Puis la fascination s'est transformée en peur. Pour trop de personnes, le culte était devenu impensable, vous étiez des monstres à abattre, des pestiférés, vous les intimidiez tellement que parfois, ça en devenait maladif. Les récits de vos horreurs se multipliaient, amoindrissant à chaque fois la part de ceux qui continuaient à vous défendre. Les ravages succédaient aux ravages, les morts aux morts, vous semiez chaos et cadavres.

- Pourquoi ?

- Vous ne vous contrôliez pas ! Le don que tu as, entre les mains d'un novice, provoque les pires désastres, et qu'importe, s'ils étaient involontaires, le résultat restait le même.

- C'est instinctif, le contrôle, ou est-ce qu'on l'apprend ?

- On l'apprend ! Au fil du temps, vous arriviez à vous canaliser. Les plus vieux recueillaient les plus jeunes pour les sauver de l'extérieur, et vous vous renfermiez sur vous-mêmes, entre vous, parce que dehors, vous tombiez soit sur des fanatiques, soit sur des enragés.

- Comment est-ce qu'on l'apprend ?

- En s'exerçant. Des dizaines et des dizaines de fois. Au début, tout paraît impossible, et puis à la fin, le pouvoir fait partie de vous, il est vous, alors que ça n'a jamais été le cas. Vous n'êtes pas lui, et il n'est pas vous, vous êtes seulement les ''élus'', ceux qu'il choisit, ceux qu'il trompe.

- Personne ne m'a appris, à moi, dit Anya.

- Tu as dû apprendre de tes erreurs, alors.

Elle n'arrivait pas à s'en persuader : au début, c'était comme si quelqu'un d'autre vivait dans son corps, et puis du jour au lendemain, ils ne faisaient plus qu'un. Les erreurs dont elle parlait, elle n'avait rien appris d'elles, parce que ça n'avait jamais été de sa faute. Comment combattre quelque chose de supérieur, alors qu'il vivait en vous ?

Anya Nina Letsov [en cours de réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant