Drago
Le salon d'hiver du Manoir n'a jamais retrouvé sa superbe d'antan.
Les grandes baies de la verrière laissent le soleil baigner les dalles immaculées, mais la cruauté des crimes commis ici s'accrochent à chaque fibre du Manoir.
Les plantes grimpantes que Mère chérissait tant n'ont pas survécu aux allées et venues des mangemorts ni aux atrocités qui hantent à présent cet endroit.
Aujourd'hui, même les souvenirs heureux de mon enfance ont été chassés par les horreurs.
Le grand piano git toujours dans le cellier à côté d'autres cauchemars persistants. Les tapis immaculés ont été méthodiquement nettoyés et décapés, mais les fantômes des inconnus qui y ont été torturés s'y accrochent. On pourrait parfois entendre les échos de leurs cris au détour d'un couloir. La nuit, je crois parfois discerner les gémissements de Harry et un frisson glacé me court le long du dos.
Alors nous évitons le grand salon et nous nous réfugions dans la véranda où les rayons de soleil doux repoussent péniblement les ombres. Dans le salon d'hiver, les fauteuils de jardin ont été nettoyés et récurés mais le son des bottes des mangemorts et de leurs hommes de mains claquent encore, impitoyable, à mes oreilles.
Mère a le regard dans le vague. On pourrait croire qu'elle contemple nos jardins immenses qui ont retrouvé de leur prestige grâce à quelques enchantements, mais son esprit vagabonde de plus en plus souvent loin d'ici, loin de moi, loin de cet endroit maudit.
Sa santé s'est rapidement dégradée après les procès.
Malgré le verdict plus qu'indulgent, la réalité semble l'avoir rattrapée sans ménagement. Je sais pertinemment que Harry et Lupin ont joué dans la clémence de son verdict.
Elle a évité de peu la prison, contrairement à Père. Sa complicité manifeste et son soutien financier à Voldemort lui a valu sans surprise une longue peine non compressible à Azkaban.
Mère, elle, est assignée à résidence et ses sorts gardés sous surveillance par les Aurors.
J'ignore si elle est soulagée ou anéantie. On ne se parle pas plus qu'avant. Les mots sérieux semblent toujours aussi difficiles à prononcer dans ce manoir immense et glacial.
Alors elle reste mutique, le regard absent dans sa prison dorée, quelques elfes de maison pour seule compagnie.
Willow, la vieille elfe fidèle, dépose un plateau de thé sur la table du salon d'hiver.
Je déglutis. Même les tasses en porcelaine sont marqués par le souvenir de Bellatrix et de ses sautes d'humeur terribles.
Est-ce qu'un jour tout redeviendra comme avant ? Est-ce qu'on peut oublier, tirer un trait sur les horreurs dont on a été complices ?
Pour l'instant, je n'y arrive pas.
Je ne supporte plus de vivre dans cet endroit plein de fantômes et de cris silencieux, où chaque parcelle de cette maison me rappelle qui j'étais et ce que j'ai fait.
Soudain Mère brise le silence sans me regarder.
— Ne sois pas trop dur.
Je hausse un sourcil interrogateur en portant la tasse de thé à mes lèvres.
— Dans ton jugement sur notre famille.
Avant même que j'essaie de lui répondre, son esprit est déjà reparti ailleurs.
Est-ce sa façon de se protéger ? De ne pas devenir folle entre sa culpabilité écrasante et la solitude soudaine et oppressante ?
Elle semble parfois sombrer dans un puits sans fin, et puis un éclair de clairvoyance traverse son regard.
Elle se redresse et se saisit de sa tasse.
— Tu pars définitivement ?
Mon sac de voyage devant la porte m'évite de trouver comment aborder le sujet.
Je pourrais quitter cet endroit, fuir ce passé trop lourd à supporter, mais les remords de l'abandonner dans ce manoir me prennent encore à la gorge.
— Non, je vais passer quelques jours dans les Cornouailles, mais je reviendrai te voir à mon retour.
Le silence entre nous est comme un mur difficile à franchir.
Parfois je me demande si elle est encore là, si elle comprend et puis soudain son esprit semble revenir s'accrocher aux lambeaux de la réalité.
— Potter hein, quel garçon...
Je pose doucement la tasse dans ma coupelle de porcelaine en essayant de maitriser mes émotions. J'ignore comment elle sait mais je ne veux pas lui en parler.
Je veux garder cette parenthèse avec Harry rien que pour moi. Je l'ai mérité et je me battrai s'il le faut pour qu'elle ne salisse pas ce que je chéris.
— C'est pour lui que tu es parti ?
On se parle sans se regarder, comme on l'a toujours fait dans cette famille.
Je secoue la tête. Il y avait mille raisons de fuir cet endroit sinistre cette nuit-là.
— Il s'est battu pour ce qu'il pensait être juste. Il avait la force de tenir tête face aux Ténèbres, parce qu'il était intimement convaincu que le monde pouvait être meilleur. Il avait raison de se battre.
Ma foi en Harry pulse dans mes poings serrés. Et même si la foi s'est doucement transformée en des sentiments plus forts, je ne regrette pas une seconde mon geste insensé cette nuit-là.
Mère reprend une gorgée de thé.
— Il t'apaise. Vous avez passé votre scolarité à vous disputer, mais en réalité il te fait du bien, il canalise tes colères. Ça me rassure.
Je n'aime pas qu'elle s'immisce, qu'elle parle de lui. Je suis sur la défensive, prêt à claquer la porte sur cette conversation s'il le faut.
— Comment ça ?
— Que tu ne sois pas seul quand je ne serai plus là. C'est un bon garçon je crois.
Son regard est lointain, vide et instable
— Ça rendrait ton père fou bien sûr, mais il n'est plus là. Et je t'aime Drago, je sais que tu en doutes, mais je t'ai toujours aimé mon fils.
J'ai la gorge serrée et je déglutis péniblement. On a jamais su se parler entre les murs de ce Manoir alors ces quelques mots, livrés du bout des lèvres, ressemblent à des pépites que j'ai toujours recherchées vainement.
— Je sais.
J'aimerais pouvoir lui retourner son amour mais je n'y arrive pas, c'est encore trop douloureux.
Rester à ses côtés, dans cet endroit que je déteste, c'est ma façon de lui montrer que je tiens encore à elle.
— Je veux que tu sois heureux Drago, et s'il faut que tu t'éloignes d'ici, de moi, je comprendrai.
Son regard est toujours planté au-delà de la verrière et je me racle la gorge, un peu déstabilisé.
— Je reviendrai. Je vais rester dans les parages Mère, promis.
Son attention s'est de nouveau perdue dans des pensées inaccessibles, alors je me lève, l'embrasse tendrement sur la tempe.
Je récupère mon sac de voyage sur le pas de la porte et jette un dernier regard à Mère, murée dans son silence.
Je ressens soudain le besoin urgent de retrouver Harry.
De me raccrocher à ses sourires maladroits qui chassent pourtant avec une facilité déconcertante la main froide et insidieuse qui se faufile dans ma poitrine quand je reste trop longtemps dans les couloirs de ce maudit manoir.
De sentir sa main dans la mienne, assurée et rassurante.
De me réfugier dans ses regards déterminés et confiants pour deux.
D'accepter d'écrire, avec lui, la suite de notre histoire, même si elle ne rime à rien.
***
Et voilà la boucle est bouclée pour Drago.
C'était mon dernier bonus pour celleux qui sont arrivé-es jusqu'au bout de cette fic.
Merci infiniment pour votre fidélité et vos petits mots, j'ai adoré partager cette histoire avec vous.
Séchez vos larmes, prenez soin de vous et je vous dis à bientôt !