Je patiente devant la porte de chez Anna, attendant qu'elle et sa meilleure amie en sorte. Hier soir, avant d'aller me coucher Pierre m'a envoyé un message me disant qu'il fallait que je vienne avec lui au parc d'attraction sur la place des Quinconces aujourd'hui, parce qu'Anna avait accepté d'y aller avec une amie à elle. Ce qui m'a semblé bizarre, puisqu'elle était avec moi quelques minutes plus tôt et elle n'avait pas son portable avec elle.
Sur qu'elles ne m'ont pas entendu, je frappe à nouveau, plus fort. Ça grommelle de l'autre côté de la porte, puis celle-ci finit par s'ouvrir.
— Salut !
— Tu tombes bien ! me dit Caroline qui se tient devant moi. Je viens juste de réussir à la faire se changer.
— Comment ça ?
— Elle m'en veut parce que j'ai dit oui à sa place hier soir. Pour ma défense, elle ne m'avait pas dit que tu l'aidais à s'en débarrasser.
— C'est pas vraiment le cas...
— Peu importe là, elle se change.
— Caro, je mets quel rouge à lèvre ? demande Anna qui entre dans le salon, en pantalon noir et pull gris, sans m'avoir vu.
Elle lève la tête vers nous, et écarquille les yeux quand son regard se pose sur moi, alors que le mien glisse sur son visage à la frange attachée en arrière, puis sur ses lèvres rosées que je découvre pour la première fois nues. Elle tient dans ses mains deux tubes de rouges à lèvres de la même teinte, ce qui me fait froncer les sourcils. Pourquoi avoir deux rouges à lèvres similaire ?
— Ils ne sont pas exactement de la même teinte, me dit Anna comme si elle avait lu dans mes pensées. Il y en a un qui est métallique, et l'autre mat.
Peu m'importe ce qu'elle me dit, je ne vois que son visage découvert, sans artifices. Et j'ai encore plus envie de l'embrasser. Ses lèvres colorées donnent envie d'être embrassé, mais cette bouche, nue, donne des envies toutes autres.
Je ne réussis à sortir de mes pensées que quand elle disparaît de mon champ de vision.
— Je croyais que c'était ton pote qui était intéressé ?
Je me tourne vers Caroline, un sourire espiègle au coin des lèvres, et je hausse un sourcil, comme si je ne voyais pas où elle veut en venir.
— Tu peux dire ce que tu veux, j'ai bien remarqué ton petit manège depuis hier soir.
— Je ne vois absolument pas de quoi tu parles.
— A d'autre ! Je ne suis pas née de la dernière pluie, Mr Menard. Oh ! Putain ! J'peux pas t'appeler comme ça, c'est trop bizarre.
— Tu peux m'appeler par mon prénom aussi, ça me va très bien.
— Change pas de sujet, mais fais gaffe, je vais vous observer, toi et ton pote, et je glisserais innocemment à Anna ce que je pense de vous. Alors tient toi bien !
— Mais je me tiens toujours bien, et puis je pense que ta copine est facilement capable de choisir toute seule. De plus, avant que tu ne rajoutes quoi que ce soit, on n'est pas en compétition, et elle n'est pas un vulgaire objet qu'on se balance.
— C'est là que tu te trompes, elle n'est pas capable de choisir, elle est du genre à dire oui à presque tout, même dans ses relations. Elle est sortie avec plusieurs mecs, juste parce qu'ils étaient sympas, et qu'ils s'intéressaient à elle. Elle n'a jamais été réellement amoureuse.
— Pourquoi tu me dis tout ça ?
— Parce que je tiens à elle, et je ne veux pas qu'elle soit de nouveau blessée parce qu'elle n'a pas su dire non.
— Et, comment ça se fait qu'elle, comment dire, dise oui à tout ?
— Je ne sais pas, peut-être un manque de confiance en elle.
Je réfléchis à tout ce qu'elle vient de m'apprendre.
— Je suis prête, ça y est.
Anna apparaît devant nous, un berret noir sur la tête, et un rouge à lèvre rose métallique maintenant étalé. Le berret lui va bien, et même si elle ne sait sans doute pas que je viens du Béarn, voir quelqu'un en porter un me ramène un peu chez moi. Cet accessoire est redevenu à la mode ces dernières années, alors qu'il n'a jamais cessé d'être présent dans les campagnes françaises. Pour moi, il s'agit plus d'un souvenir lié à mon enfance sur Pau, qu'un accessoire.
Je les suis jusqu'à la sortie, et leur explique que je dirais à mes potes qu'on s'est croisé dans le tram, avant de rentrer dans le premier qui passe. Celui-ci est plutôt calme pour un début de dimanche après-midi, mais il faut dire que le temps nuageux n'aide pas les gens à sortir.
Mon téléphone vibre dans ma poche, aussi je le sors pour lire ce qui est écrit.
— Pierre vient de m'envoyer un message, il se demande où je suis. Tu crois que je devrais lui dire que sa future copine est avec moi.
Cette dernière me lance un regard noir, qui me fait plus rire qu'autre chose. Cette fille n'est pas faite pour être énervée. Et même si je n'aime pas l'idée de jouer avec mon pote, je suis rassurée par le message qu'elle me renvoie, elle ne veut pas de lui.
En arrivant sur la place des Quinconces, j'observe les manèges qui jouent à cache-cache avec les arbres. J'ai déjà eu l'occasion de les voir en passant en tram devant tous les jours, mais je ne pensais pas avoir l'occasion d'y venir.
On retrouve Pierre et Anton à l'entrée près du monument aux girondins, où ils nous attendent, appuyés nonchalamment contre les barrières de sécurité.
— Ah ! les voilà, j'ai bien cru qu'on allait commencer sans vous, nous lance Anton.
— Tu dis ça parce que tu voulais suivre le groupe d'étudiantes de toute à l'heure surtout. Ça ne t'a pas servi de leçon vendredi soir.
— Je ne caches pas mon obsession pour le sexe opposé.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé vendredi ? demande Caroline, curieuse.
— A ce stade, c'est plus qu'une obsession, lui fait remarquer mon pote sans répondre à Caroline.
— Oh ! mais tais-toi, on en reparlera quand tu seras dépucelé.
Pierre foudroie notre camarade du regard avant de se tourner vers Anna qui ne l'écoute pas, le regard tétanisé par les différentes attractions autour de nous.
— Je suis plus puceau depuis longtemps je te signale, et puis d'ailleurs s'il doit y avoir un puceau ici, c'est Julien, il ne parle presque jamais de fille avec nous.
Les mains dans les poches de mon bombers, je hausse les épaules.
— Tu sais ce qu'on dit, c'est ce qui en parle le plus qui en font le moins.
— On y va ? demande Caroline, coupant court à notre échange. Où vous comptez nous raconter ce qu'il s'est passé l'autre soir.
Les garçons marmonnent un « rien » et franchissent les barrières de sécurités. Je les suis, un peu en arrière, et épie Pierre tenter une approche avec Anna. Cette dernière tire sur les manches de son blouson noir, plus mal à l'aise que transi de froid. Ce que Pierre, lui, ne voit pas. Devant, Anton et Caroline s'échangent un joint, tout en se demandant quel manège ils vont faire en premier.
Une grande blonde me passe à côté en souriant, alors que je me contente de la regarder bien droit dans les yeux. Elle se soustrait à mon regard la première et je reprends mon chemin. C'est l'effet de mes yeux sur la plupart des gens, ils les trouvent beaux, s'extasient dessus comme si je n'étais pas là, mais détourne le regard facilement.
Je tire dans un caillou qui vient rebondir sur le mollet d'Anna, celle-ci se retourne furibonde, avant de croiser ma moue contrite. Elle fronce les sourcils, mais reporte son attention sur Pierre.
On finit par s'arrêter devant une sorte de centrifugeuse géante, un des manèges où il y a le moins de monde.
— Désolé, mais je ne peux vraiment pas entrer là-dedans, je suis malade dans tout ce qui décolle du sol.
Pierre semble déçu, apparemment pas très ravi d'apprendre qu'elle a accepté de venir, mais ne fera pas de manège avec lui, ce que ne manque pas de lui souligner Anton.
— Pourquoi avoir voulu venir, si c'est pour rester dehors ?
Anna lance un regard désespéré à son amie qui lui fait les gros yeux, c'est elle qui a répondu à sa place et elle ne sait même pas comment la défendre.
— Elle avait peut-être envie de voir Pierre.
Je me mords la joue violemment pour ce que je viens de balancer, mais mon pote rayonne, plus heureux que jamais par l'idée que cette fille, qui a peur des manèges, ait quand même accepté de venir, juste pour le voir. Je détourne le regard devant cette scène pleine de niaiserie, et, le regard tourné vers le ciel, je me demande si c'est ce genre d'homme qu'aime Anna. Quoique je ne vois pas Pierre tenter la position que j'ai lu dans un de ses livres hier. Mais est-ce qu'Anna la ferait ?
— Moi en tout cas, j'y vais ! lance Anton en prenant place dans la file d'attente.
— Allez-y, nous lance Anna, je vais vous filmer sur l'écran extérieur, pour voir vos visages. Et puis, je peux garder vos affaires pour éviter de les faire tomber.
On lui file tous nos téléphones et portefeuilles, puis on s'insère dans la file. J'avoue être excité par ce manège qui m'intrigue. Et je ne suis pas déçu. Dès qu'il se met à tourner, on est plaqué contre le mur alors que le sol s'éloigne de nous. Mon cœur se met à battre plus vite à chaque nouveau tour. Sur ma droite je croise le regard d'Anton, le sourire au lèvre, surexcité par ce premier manège, et la montée d'adrénaline qu'il procure va m'aider.