Mon cœur n'y était plus pendant les étreintes avec tes collègues et amis, Jacob. Pourtant je suis si reconnaissante, tellement touchée. Par leur gentillesse, cette infinie compréhension, ce précieux cadeau qu'ils m'ont offert ce soir. Ce moment où je me suis sentie avec toi, où j'entendais ta voix. Je suis dans une sorte de brouillard épais, tu sais. Pourquoi ne m'as-tu jamais confié cette promesse exigée de la part de James ? Tu parlais peu de ton travail ou de tes collègues, pourtant c'est cet homme ainsi que votre amitié que tu as le plus évoqué, à la fin... Je tente de comprendre comment quelque chose ayant à voir avec moi peut vous lier, je t'avoue. Et puis, pourquoi est-il parti ? Un pas en avant deux pas en arrière, sergent ?
***
Sacha me tirant vers notre table, je passe le quart d'heure suivant à remuer distraitement ma fourchette dans mon assiette. Mes yeux dans le vague, je suis perdue au milieu de la tempête d'émotions ayant lieu dans mon esprit. Mon amie marmonne, la tête penchée vers l'oreille de Josh, ce dernier opinant à plusieurs reprises, me contemplant d'un air concerné. Sauf que je ne l'entends guère. Pas qu'ils se cachent, non, c'est juste que mes propres pensées font trop de bruit. Finalement, la mine sombre de la jeune femme s'éclaire alors qu'elle regarde par-dessus mon épaule. Mon cœur saute immédiatement un battement, toutefois je n'ose me retourner de peur d'être déçue de me trouver face à quelqu'un d'autre que lui.
— Où étais-tu passé, Williams ? gronde-t-elle, explicitant son agacement.
Il est revenu, Sarah.
Vraiment ?
Mon corps se détend immédiatement dans un soupir, quand bien même je n'avais nullement remarqué que j'étais à ce point contractée. En guise de réponse, il s'installe à califourchon sur le banc, attrapant doucement ma main blessée pour y déposer une poche de glace dans une expiration contrariée. Je ne peux me retenir de relever le menton, lui adressant un regard surpris.
Est-ce seulement pour cette raison que tu es parti ? Oh bordel, James... je suis loin d'être la seule à être perdue dans cet étrange brouillard, apparemment. Quelles sont ces émotions dansant dans tes iris, soldat ? Quoi qu'il en soit, tu sembles dans le flou.
— Ce n'est pas malin d'avoir joué dans cet état, articule-t-il d'une voix teintée de reproches.
Aïe.
Est-ce le contact de la glace ou ses mots qui te font le plus mal, ma chère Sarah ?
Difficile de trancher.
Mais. Bien. Sûr !
Le rire moqueur de Chase raisonne depuis le bout de la table pendant qu'il m'adresse un clin d'œil.
— Ne l'écoute pas, Sarah. C'était une très belle chanson et son destinataire devrait s'estimer chanceux.
Son attention glisse vers James, qui laisse échapper un léger souffle nerveux, les prunelles fixées sur les glaçons qu'il maintient contre ma peau.
Bien sûr que tu sais que cette chanson était pour toi, puisque tu es le seul que j'ai regardé et voulu embrasser ici. Cela t'embête-t-il à ce point ? Ce n'est pas ce que j'espérais, tu sais. Hélas je devrais être habituée, c'est ça ?
— C'est un truc typiquement Oliver, non ? demande le soldat blond, comme pour briser la tension s'étant installée.
Je souris grâce aux précieux souvenirs réveillés par ces mots.
— Avec Jacob, nous réglions nos désaccords ainsi.
— Ça ne m'étonne même pas ! s'exclame Sacha.
— Lorsque nous étions adolescents, notre mère a entendu beaucoup de musique ! ajouté-je, la tristesse posant de nouveau ses doigts sur ma gorge. En réalité nous avions peu de différents, cherchant sans relâche de stupides prétextes pour partager ces moments amusants de compétition finissant toujours dans de grands éclats de rire.
Une larme s'étant encore échappée sur ma joue, je l'essuie d'un lent revers du poignet.
Peut-on, un jour, avoir épuisé le stock et ne plus savoir pleurer ? Ton rire me manque, Jacob. Tout de toi me manque. Rien ne me manque pas.
Je recommence à m'effondrer – trop épuisée par cette journée – lorsque le bout des doigts de James effleurant les miens me retiennent.
Ses yeux m'avouent à quel point tu lui manques aussi, Jacob, j'en ai tant besoin.
Puis ils retombent sur ma main recouverte par la poche de froid et j'y lis ses reproches.
Ok. J'ai compris. La chanson était de trop.
— Tu as raison, j'aurais dû m'abstenir, concédé-je en attrapant le sachet, lui permettant de me lâcher.
Bien placé le sous-entendu, ma chère Sarah !
Je sais, merci.
— Je dis seulement que tu dois te préserver pour pouvoir travailler, soupire-t-il, détournant la tête.
Vraiment ? Tu n'as aucun ressentiment ? Soyons d'accord que je veux des réponses, non que tu m'en veuilles de les chercher. James, j'ai juste besoin de comprendre. Ce que nous ressentons mais aussi cette histoire évoquée au sujet de mon frère. Ferais-tu autrement à ma place ?
— Ben voyons, marmonne Sacha d'un ton narquois.
— Je sais que tu m'en veux, Brown.
— Ravie que nous soyons de nouveau sur la même longueur d'ondes ! réplique-t-elle, pinçant ses lèvres dans une moue résolument rancunière.
Il hoche brièvement le menton, esquissant un léger sourire.
— Je vais vous laisser, je dois me lever tôt demain matin.
Déposant sur ma joue un baiser léger me prenant par surprise, il fait sursauter mon cœur.
Putain, James !
— Bonne nuit Sarah, souffle-t-il, plongeant l'intensité de son regard dans le mien.
Oh. Bordel. Que voudrais-tu me dire ?! Je vois qu'il y a quelque chose sauf que je ne comprends pas ! Tu pourrais tout simplement parler ! Ou à défaut, sais-tu chanter ?
M'obligeant à maintenir une attitude désinvolte, j'opte pour une réponse courte, ayant l'impression d'avoir déjà été loin, ce soir.
— À demain.
— Bonne soirée tout le monde, conclut-il en se levant.
Ils s'adressent un signe et je l'observe s'éloigner d'une foulée aussi rapide que tendue.
Sarah...
Oui.
Je sais que tu le sens aussi, ce mauvais pressentiment.
Ouep.
Wait and see, dirait Jacob.
Précisément. Il sera toujours temps de continuer à creuser le sujet demain de toute façon. Une chose après l'autre.
***
À six heures trente, je continue mon footing tandis que Sacha répond à l'appel terriblement régulier de son petit déjeuner. Sauf qu'il ne vient pas me rejoindre, m'obligeant à terminer ma course en niant volontairement la boule d'angoisse s'étant irrémédiablement installée au creux de mon estomac.
Où es-tu, James ?
Il est occupé, c'est tout.
Tu crois ?
Quoi d'autre ?
Confuse, je m'échoue à côté de mon amie dans le réfectoire et elle commence aussitôt à me cuisiner.
— Bon. James et toi, je n'en peux plus d'assister à vos chamailleries sans avoir de détails ! Pitié ! Je veux des histoires de filles ! Raconte-moi tout !
Je me fais violence, lui souriant en dépit de l'inquiétude me dévorant.
Il va arriver Sarah. Comme hier.
Tu crois ?
Quoi d'autre ?
— C'est compliqué, soupiré-je.
— Ça l'est toujours, non ?! rit-elle, clairement amusée par cette réponse.
Je hausse les épaules, un peu plus détendue grâce à sa bonne humeur.
Ça l'est peut-être, je n'en sais rien puisque je n'ai jamais été attirée par quelqu'un de cette façon.
Ni agacée d'ailleurs, ma chère Sarah !
Aussi.
Allez, raconte-lui tout ! Peut-être aura-t-elle une idée sur comment t'y prendre ! Après tout, elle le connaît plutôt bien !
C'est vrai.
Je n'ai guère le temps de commencer, interrompue par l'arrivée de Josh.
— C'est quoi cette tête, Williams ? lui lance Sacha, moqueuse. Tu te prends pour ton frère ou quoi ce matin ?
Je lève les yeux pour le dévisager. Sa mine est sombre, rendant effectivement la ressemblance assez frappante. Il me fixe alors je me redresse, me crispant instinctivement, comme pour parer le prochain coup de son aîné.
Merde !
Il s'assoit en face, ayant l'allure de celui cherchant péniblement ses mots.
— Crache le morceau, Josh ! grondé-je nerveusement.
Prenant une longue inspiration hésitante, il laisse la nouvelle en suspens quelques longues secondes pendant lesquelles je retiens mon souffle.
— Il est parti, Sarah.
Quoi ?!
Ah ! Tu n'avais nullement anticipé quelque chose de ce genre, Sarah ! Clairement, il gagne cette manche ! Je l'avais dit que tu avais mal joué !
***