TOUCH [TERMINÉ]

By NellyBalz

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Pas facile d'être ado. Encore moins quand on est dotée d'un pouvoir qui permet de vivre les dernières seconde... More

[Préambule]
00 - Trailer
00 - Résumé
00 - Playlist
Toc toc
La Mort au Bout des Doigts
L'Étrange Retour de l'Homme qui murmurait à l'Oreille des Culottes
L'Éléphant dans la Pièce
Mr Bojangles et l'Homme que je n'ai pas tué
États seconds
Les Bienfaits insoupçonnés du Végétarisme
En plein dans le Mille
Un pour tous, tous pour Un
Le Sixième Mousquetaire
Le Complot et le Renard
Futur Antérieur
Tout n'est pas facile comme dans les films
Une envie pressante
Pourquoi la vie ne pourrait-elle pas être simple, pour une fois ?
La Créature de Mammenstein
Le Breakfast Club du mercredi après-midi
Rendez-vous nocturne
[TEAMCULOTTE! On a un problème!]
La prochaine victime
Sauver la pompom girl
Quelqu'un a dit "euh"
Chez toi ou chez moi?
La main dans le sac
La majorité l'emporte
La Chose
Il nous restera toujours Paris
Notre pire cauchemar
Az'hoqan
Pizza aux champignons
Attention au mur
Un marché est un marché
Un dernier baiser
Changer le futur
Telle mère, telle fille
La Marque
Epilogue
[C'EST FINI... mais ça ne fait que commencer]
C'est mon anniversaire!

Le Plan pas si foireux que ça

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By NellyBalz

Vingt minutes plus tard, nous avions un plan.

— Puisque je te dis qu'il nous faut des noms de code, insiste Victor.

Charlotte le fusille du regard.

— Ce plan est foireux, fait-elle remarquer d'une façon qui ressemble davantage à un sifflement qu'à un chuchotement.

— Pas si foireux que ça, rétorque fermement Victor à mi-voix.

— Je te dis qu'il est complètement foireux, s'emporte Charlotte.

— Tu as mieux à proposer, Einstein ?

Je les regardais se prendre le bec, fascinée, depuis bien trois minutes et demie en me demandant comment il était possible de se disputer aussi vertement tout en chuchotant et sans attirer l'attention des... quoi... boh, centaines d'élèves tout autour. Nous avions fait de notre mieux pour échafauder quelque chose avec les moyens du bord. Tout allait bien jusqu'à ce que Victor propose qu'on s'assigne des noms de code, chose que je jugeais tout à fait justifiée, contrairement à Charlotte, qui n'avait pas trop apprécié le sien.

Comme Charlotte ne trouve toujours rien à répondre, je m'immisce bien à contrecœur dans leur conversation. Cette dispute à mi-voix m'a permis de me vider un peu l'esprit et d'avoir à nouveau presque l'impression d'être l'ado normale que je ne suis pas vraiment. Mais on a un cadavre à aller palper et une mère à sauver.

— Ce plan est légèrement foireux, je statue. Mais, dans la mesure où on n'a rien de mieux, on va devoir faire avec.

Charlotte m'adresse un petit sourire pour signifier son assentiment. Je me demande ce qui se passerait si je mentionnais à mon tour des noms de code.

— Y a plus qu'à, lance Victor.

Nous restons tous trois figés. Le silence s'allonge au point de s'éterniser.

— Est-ce qu'on est vraiment sur le point de faire ce qu'on est sur le point de faire ?

Je n'avais pas conscience d'avoir parlé — ou même d'avoir voulu le faire — avant que la phrase ne franchisse mes lèvres. En guise de réponse, ils acquiescent solennellement. Pendant un instant, j'ai l'impression qu'on a cinquante ans, pas seize, et qu'on s'apprête à aller mener le combat de notre vie. Un peu comme dans un western. Je m'attends presque à voir un de ces buissons séchés rouler dans la salle de sport, mais, lorsque je tourne la tête, c'est le nouveau que je vois. Il est en train de lire Harry Potter et un léger sourire flotte sur ses lèvres. Marrant, je ne me souvenais pas que le tome trois était si rigolo.

Pendant une fraction de seconde, il relève le regard pour le planter dans le mien et, là, noyée dans tout ce bleu, j'ai la sensation qu'il sait. Il sait. Je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il sait au juste, mais il le sait, et cette simple pensée me terrifie pour une raison qui dépasse mon entendement.

— Je dois aller aux toilettes ! je crie en me levant d'un bond désordonné.

J'ai lancé la première phase du plan. C'est fait. Plus de retour en arrière possible. Le plan légèrement foireux est en action.

Sauf que c'est Charlotte qui était censée prononcer cette phrase.

Mon cœur fait un plongeon si violent dans ma poitrine que mes intestins se retournent.

Ohmondieu, ohmondieu, ohmondieu.

J'ai fait foirer le plan avant même que la réelle action ne commence.

Je suis un gros bout de caca.

Je vais tout faire capoter !

Une centaine de paires d'yeux se tournent dans ma direction. Je sens mes jambes flageoler. Je vais faire pencher la balance du côté de « foireux » et tout va rater par ma faute. J'aimerais bien blâmer cet imbécile de nouveau dont je ne connais toujours pas le prénom, mais je suis totalement responsable de ma foirade.

— Qu'est-ce que tu fais ?

Je tourne la tête vers Charlotte, qui, malgré l'immense sourire pas du tout crispé plaqué sur ses traits, vient de prononcer cette phrase.

— J'en sais rien, je lui réponds avec exactement le même sourire.

Et maintenant, tout le monde va penser qu'aller aux toilettes est la chose qui m'apporte le plus de bonheur dans la vie.

— On ne panique pas, dit calmement Victor.

Sauf qu'il arbore le même sourire que nous et qu'on doit avoir l'air de trois abrutis finis.

— Je vous avais dit que ce plan était foireux, renchérit Charlotte.

— Pas si foireux que ça, je rétorque.

— On va vite avoir des crampes aux joues si on continue à parler comme ça, fait remarquer Victor.

Nos sourires retombent aussitôt comme trois soufflés.

Je reste malgré tout figée en regardant les profs surveillants échanger un regard. Notre plan pas-si-foireux-que-ça — mais honnêtement pas-si-élaboré-que-ça non plus —, c'était que Charlotte annonce devoir aller aux toilettes, qu'un prof l'accompagne, et que, une minute après leur départ, je prétende une pressente envie moi aussi. J'aurais ainsi eu le champ libre pour aller toucher M. Martin, et Victor serait resté en retrait pour couvrir mes arrières si un autre prof décidait de sortir à ma suite.

Mais là, tandis que je reste figée et que je regarde les profs chuchoter entre eux, la panique me gagne. En laissant de côté le fait que je viens de faire capoter la première étape de notre plan, il y a plein de choses auxquelles on n'a pas pensé.

Genre... on est des centaines, et si quelqu'un d'autre devait aller aux toilettes ?

— Est-ce que quelqu'un d'autre doit aller aux toilettes ? demande l'une des surveillantes.

Merde, merde, merde, merde.

Pendant quelques longues secondes bénies, personne ne dit rien. On est des centaines, et je suis la seule à devoir faire pipi, même pour de faux ! Dieu existe. Il faut que j'aille jouer au loto.

— Moi.

S'il y avait eu un mur à proximité, je m'y serais frappé la tête jusqu'à ce qu'on puisse la faxer au purgatoire.

Le nouveau referme son exemplaire d'Harry Potter et se lève en me décochant un sourire ravageur. L'espace d'un instant, je suis à nouveau terrifiée à l'idée qu'il sait tout. Mais que pourrait-il vraiment bien savoir, au juste ? Peut-être qu'il se doute que je n'ai pas réellement besoin d'aller aux toilettes, mais ça s'arrête là, la belle affaire.

— Moi aussi !

Emmalou se lève à son tour et rougit en regardant le nouveau. Achevez-moi.

Le plan est définitivement mort. Il n'y a aucun moyen que j'arrive à ruser et à me glisser jusqu'au cadavre de M. Martin avec ces deux-là dans les pattes et, même si je ne peux m'en prendre qu'à moi, ça m'énerve au plus haut point.

— Nous aussi !

Je me retourne à temps pour voir Charlotte mettre un coup de coude dans les côtes de Victor, qui se lève d'un bond. Charlotte l'imite calmement.

— Oui, nous aussi, dit Victor. Ensemble.

Le nouveau hausse les sourcils. Les surveillants haussent les sourcils. Quelques élèves ricanent. Victor relève le menton et s'approche, indémontable.

— On passe au plan B, me chuchote-t-il.

— On n'a pas de plan B, je réponds.

— Précisément.

On s'avance comme des ânes en peine vers la sortie où nous attend un des surveillants, suivis par le nouveau. Quelque chose me dit qu'il n'a pas non plus besoin de faire sa petite commission et qu'il a quelque chose derrière la tête. Mais il faut se concentrer sur le positif. On n'a plus de plan, mais on est sortis de la salle de gym.

Les choses peuvent difficilement empirer à partir de là, de toute façon.

Non ?

On sort en file indienne de la salle, un prof à l'avant, un prof à l'arrière, deux abrutis et trois crétins au milieu. Évidemment, je me retrouve juste devant le nouveau, qui est lui-même suivi par Emmalou, elle-même talonnée par mes deux acolytes. On dirait le début d'une bonne blague, sauf que la chute risque de ne pas me plaire. Une fois qu'on a monté l'escalier qui conduit dans le couloir principal, le nouveau se met à la même hauteur que moi et me colle d'un peu trop près à mon goût.

— Alors, commence-t-il sur un ton que je trouve légèrement étrange.

Sauf qu'il n'ajoute rien. Il se contente de me regarder avec ses yeux trop bleus. Ce petit enfoiré sait exactement l'effet qu'il produit, et il est en train d'en jouer comme un petit prodige qui fait pleurer son violon. Je commence à me tortiller sur place, ce qui est vraiment bizarre et difficile à réaliser pendant qu'on marche, et qui, surtout, me fait prendre un mur en moins de temps qu'il ne faut pour dire « oups ».

— Jo ! Ça va ?

La mauvaise nouvelle, c'est que je me suis mangé le coin d'un mur. La bonne, c'est que la personne qui vient de parler est Anna. On est proches de la bibliothèque, dont elle sort.

Le nouveau fait mine de vouloir retirer la main que je me suis plaquée sur le front comme si j'allais pouvoir faire rentrer la douleur dans mon crâne en appuyant assez fort. L'espoir fait vivre.

— Ne t'avise pas, je grogne automatiquement, ce qui le fait reculer d'un pas.

— Pardon.

— Ça va, je réponds à Anna, qui arrive à ma hauteur.

Je remarque que notre convoi s'est arrêté. Je remarque aussi qu'Emmalou s'est rapprochée du nouveau. Petite profiteuse.

— J'ai la tête dure, je conclus pendant qu'Anna m'observe, sans me toucher.

— Et une jolie marque de mur sur le front, répond-elle. Suis-moi, on va mettre du froid dessus.

Elle adresse un signe de tête aux deux profs, qui lui répondent de la même manière comme deux robots, puis elle pose délicatement la main sur mon épaule pour me guider. Je la laisse faire. C'est une des rares personnes que je laisse entrer dans ma sphère privée, parce qu'elle prend toujours soin d'être douce et de ne toucher que mes vêtements. Elle est persuadée que je suis phobique des germes parce que c'est ce que je lui ai raconté, alors elle fait toujours attention. Je ne sais même pas si un vrai phobique des germes vivrait bien qu'on touche ses vêtements, au fond, mais, de toute évidence, elle non plus. Et surtout, contrairement à ce que mon don laisse penser à cause de mon aversion à toucher les gens, le contact humain me fait du bien aussi, même à travers du tissu. Et j'ai toujours autant envie que quelqu'un me serre dans ses bras.

On prend la direction opposée du groupe toilettes et, en passant à la hauteur de Victor, il me chuchote « Bien joué ! »

Je fais une drôle de grimace, et Charlotte lui donne un coup à l'arrière de la tête.

— Elle n'a pas fait exprès, crétin, je l'entends lui murmurer.

Rien n'échappe à Charlotte.

— Elle était en train de reluquer le nouveau et ça lui grille le cerveau.

Non, vraiment rien.

Ce qui se passe ensuite doit impérativement être rayé du procès-verbal de mon existence.

Je me retourne pour vérifier que le nouveau n'a rien entendu.

Il est tourné lui aussi dans ma direction alors qu'il ne devrait pas.

Il me sourit de son sourire de prince fripon.

Il a entendu Charlotte.

Merde.

Boom.

— Aaaaaahhhh !

Je viens de hurler. À ma décharge, je viens de me prendre un autre mur, contre lequel j'ai littéralement rebondi. Pas sûre que ce soit vraiment à ma décharge, surtout que je bascule en arrière et tombe par terre. Anna se précipite vers moi et je vois bientôt plusieurs têtes me surplomber. Toutes à l'exception d'Emmalou, que j'entends soupirer un peu plus loin, sûrement parce que le nouveau est à mon chevet. L'expression de Charlotte vaut mille mots. Son air blasé aussi. « Qu'est-ce que je disais ».

— Joséphine, dit Mme Roch en tendant la main vers moi. Qu'est-ce que tu as contre les murs ?

— La tête, de toute évidence, répond le nouveau.

J'aurais volontiers ri, mais la main de Mme Roch n'est qu'à quelques centimètres de mon front.

Je me tortille sur place — ce qui est beaucoup plus facile et largement moins dangereux qu'en marchant, merci de demander — pour lui échapper, ce qui me rapproche du nouveau. J'ai un autre mouvement convulsif pour m'éloigner de lui et, pendant une fraction de seconde, j'ai l'impression d'être le seul asticot sur un bateau rempli de pêcheurs.

— Viens, Jo, dit Anna, qui s'est retrouvée à côté moi d'une manière ou d'une autre et fait barrière pour me laisser l'espace de me relever. On va mettre du froid. Je marche côté mur.

Son petit sourire en coin ne m'échappe pas, ni le regard furtif qu'elle adresse au nouveau, et je lève les yeux au ciel tout en me relevant. Et ça ne me fait même pas retomber. Je suis super fière de moi.

Le groupe élèves/professeurs reprend la route dans le couloir, et je suis Anna — côté mur comme elle l'avait promis — dans l'autre direction. Je me retourne une dernière fois. Charlotte a la tête tournée et la hoche une fois pour me dire silencieusement que tout est entre mes mains à présent.

Sauf que ce n'est pas la seule qui est retournée.

Le nouveau me lance un clin d'œil, puis ils bifurquent tous au fond du couloir et je le perds de vue.

Je devrais me demander comment il fait pour marcher sans regarder devant lui et ne pas emboutir des murs à la chaîne. Mais ce n'est pas la question qui m'obsède.

Pourquoi ai-je ce sentiment distinct que je suis sérieusement dans la merde ?

Anna me conduit bizarrement dans la salle des profs, qui se trouve pile à côté de la bibliothèque et, lorsqu'on entre, tout le monde s'arrête comme si on les avait pris la main dans la housse mortuaire. Ils ne sont qu'une demi-douzaine ici en ce moment, mais ô, qu'ils n'en mènent pas plus large que nous dans le gymnase. Quelque part, cette pensée me rassure autant qu'elle m'inquiète, puisque ce sont des adultes. Mais, malgré tout, il y a quelque chose d'un peu apaisant à savoir que c'est une réaction humaine. J'arrive sans problème à deviner qui, parmi les profs, est allé en scred jeter un coup d'œil morbide dans notre salle de classe avant que la police débarque. Mme Breit, la prof de maths, n'a jamais eu le teint aussi vert qu'aujourd'hui, et M. Pasche, qui donne l'éducation physique ? On dirait qu'il vient de gober un citron pourri.

— Mme Garofalo ? demande M. Grimaldi en nous voyant entrer.

— Jo s'est cognée contre un mur, explique Anna avec un petit sourire doux. Je viens chercher la compresse de froid dans le frigo. Je ne voulais pas la laisser seule dans le couloir, vu les circonstances. On disparaît tout de suite.

M. Grimaldi hoche la tête et m'observe. Il pense probablement que j'ai pété les plombs à mon tour après avoir gardé mon calme plus longtemps que le reste du troupeau. Ça ne semble pas l'étonner.

— Tout va bien, Joséphine ?

Je ne sais jamais trop comment réagir face au dirlo. D'un côté, c'est un prof comme un autre, de l'autre, c'était un camarade d'école de ma mère, et il me rappelle au moins trois fois par année qu'ils se connaissent, comme s'il voudrait qu'on soit, si pas amis vu que je suis élève, un genre des parents éloignés, peut-être. Sauf que ça me met doublement mal à l'aise. Déjà, c'est le dirlo. Et ensuite, ma mère est partie à cause de moi et, s'ils sont vraiment potes comme il aime le laisser sous-entendre, il est au courant.

— Ça va. Il faut que j'apprenne à regarder devant moi quand je marche.

J'ai essayé d'insuffler un peu d'humour dans mon ton, mais mon explication lui fait aussitôt froncer les sourcils et il s'avance, laissant M. Pasche et Mme Breit vers la fenêtre. Dès qu'il s'éloigne, ces derniers reprennent vivement leur conversation en chuchotant entre eux, comme s'ils n'avaient attendu que ça.

— Est-ce que quelqu'un t'a fait ça ? demande M. Grimaldi en arrivant à ma hauteur.

— Quoi ?

Je hoquète de surprise. Je suis sur le point de défendre la réputation des deux murs que j'ai emboutis quand une phrase chuchotée un peu trop fort flotte jusqu'à mes oreilles, et je bug pour la cinquantième fois de la journée.

— Il était en forme ce matin.

— Joséphine ?

Je tourne le regard sur M. Grimaldi, qui semble légèrement suspicieux.

— Je... non. Je me suis vraiment fait ça toute seule, aussi pathétique que ça puisse paraître.

— Tu sais que tu peux me parler, à moi ou à un autre des adultes, si ce n'est pas le cas, n'est-ce pas ? Tu peux te confier à nous si quelqu'un a le moindre comportement déplacé avec toi. Nous sommes là pour toi.

Mais mon attention est totalement accaparée par Mme Breit et M. Pasche qui continuent leur discussion.

— Il est mort depuis plusieurs jours, tu as vu à quoi il ressemble, dit-il.

— Éliane l'a vu en arrivant ce matin. Et comment tu expliques que son stupide chien soit ici, dans ce cas ?

Mr Bojangles ! Mr Bojangles est là ?

— Joséphine ?

Je souris de manière contrite.

— Pardon. Je crois que le coup était un peu plus fort que je pensais. Oui, bien sûr, Monsieur. Merci infiniment.

Derrière lui, Mme Breit tend un pouce en direction du coin de la pièce, et je remarque le teckel déprimé dans un petit lit. J'ignore si c'est possible, et si ça l'est, comment, mais on dirait qu'il sait — qu'il sent ? — que son maître est mort. C'est l'image même de la tristesse. Ça fait trois ans que je connais ce chien. Il n'a jamais l'air déprimé. C'est une petite boule de joie en forme de saucisse.

— Mr BoBo ! je l'appelle en m'avançant vers lui.

Il relève la tête, frétille mollement de sa petite queue comme un chef d'orchestre suicidaire, et se lève pour se traîner vers moi à une vitesse d'escargot. On se rejoint à mi-parcours et je m'agenouille devant lui à l'instant où il se laisse tomber au sol. Il pousse une plainte douloureuse à voix basse, signal que c'est le moment de lui faire des câlins. Je ne suis pas très câlins, mais je ne vois pas trop comment lui refuser ça aujourd'hui, et puis j'ai mes gants. Il m'a toujours fait la fête en me voyant. Alors je lui caresse doucement la tête. Sauf que, plus je le caresse, plus il pleure, du coup j'arrête assez rapidement et j'essaie de lui murmurer des paroles réconfortantes. Heureusement qu'il ne parle pas humain, parce que je raconte surtout un gros ramassis de platitudes mélangées à des banalités sans nom.

— Allez, viens, Jo, dit Anna qui me sauve de la gêne grandissante que j'éprouve face à un teckel à qui je ne peux pas remonter le moral et un dirlo qui ne m'a pas quittée des yeux depuis que je suis entrée dans la pièce.

Je me redresse et suis Anna vers la sortie. Avant de passer la porte, je me retourne une dernière fois. M. Grimaldi me regarde toujours, impassible, Mme Breit et M. Pasche continuent leur session potins morbides à mi-voix, et Mr Bojangles est reparti déprimer dans son petit lit.

Même si ce détour m'a fait perdre un temps précieux dans l'exécution du plan-carrément-foireux-à-l'heure-qu'il-est, il a eu le mérite d'éclaircir certaines choses pour en brouiller d'autres davantage. Mais j'ai au moins une certitude, à présent.

La présence de Mr Bojangles dans la salle des profs prouve sans l'ombre d'un doute que M. Martin était bel et bien vivant quelques heures plus tôt. Et, aussi vite que ça, la panique me gagne. Vu l'état de son corps...

Ai-je réellement envie de savoir comment M. Martin est mort ?

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