Le temps d'un instant, Kit crût avoir mal entendu. Mais l'expression de Joe était aussi claire que de l'eau de roche. Son petit-ami venait de refuser de faire connaissance avec les seules personnes dans sa vie qui se rapprochaient plus de parents. Qu'est-ce que ça voulait dire quand ton petit-ami ne voulait pas rencontrer tes parents? Kit n'en avait aucune idée. Il n'avait jamais eu ni l'un ni l'autre. Il était donc incertain sur la réaction à avoir. Il voulait demander pourquoi mais les mots étaient tout simplement bloqués dans sa gorge. Heureusement, Joe le connaissait déjà assez pour savoir ce qui lui passait par la tête.
"- Ce n'est pas que je n'ai pas envie, expliqua Joe. Enfin si, j'ai pas vraiment de faire ça. Mais c'est plus que ce serait la première fois. Je n'ai jamais dû rencontrer le tuteur de personne et disons que j'ai peur de tout foutre en l'air."
Les yeux de Joe étaient partout sauf sur Kit. Et s'il tirait un tout petit peu plus, il n'y avait pas de doute qu'il allait s'arracher quelques mèches de cheveux. Il était clairement embarassé d'avouer ses peurs.
"- Je sais que c'est ridicule.
- Non, contra Kit. Ce n'est pas ridicule."
Il tendit les bras et noua ses doigts à ceux de Joe et plaça leurs mains entre eux sur la table.
"- J'ai peur de tout faire foirer, tout comme toi. Tout ça c'est nouveau pour moi aussi. Mais on peut l'affronter ensemble. Découvrir ensemble. Matt veut juste avoir une idée de qui tu es. Et qui sait, si tout se passe bien, peut-être qu'il me laisserait passer quelques nuits ici."
Un petit sourire prit place sur le visage de Joe.
"- Comment tu arrives toujours à dire ce qu'il faut?
- Crois moi, ça n'arrive pas si souvent que ça. En fait, c'est même souvent le contraire."
Ils rirent tous les deux et Joe laissa traîner son regard sur leurs mains jointes. Il caressait celle de Kit avec son pouce quand il parla de nouveau.
"- Tu veux que je viennes ce week-end?"
Kit hocha la tête avec enthousiasme. Joe se pencha vers lui et l'embrassa.
"- Si mon petit-ami me veut chez lui ce week-end, chuchota-t-il contre ses lèvres, c'est exactement où je serai."
Dans leur chambre, Joe trouva Eddie assis en tailleur sur son lit. Il avait un cahier sur les genoux, un stylo entre les dents et une calculatrice en mains. C'était une vue à laquelle il n'était pas du tout habitué.
"- Tu fais tes devoirs? pouffa Joe. Qui t'a fait du mal? Cligne de l'œil droit si tu veux que j'appelle les secours."
Eddie leva juste les yeux aux ciel.
"- Tu as fini de jouer aux amants épris ? demanda-t-il plutôt.
- Si tu étais resté, tu aurais pu voir par toi-même.
- Nah, une seconde de plus et j'aurai vomi tout mon déjeuner.
- C'est de la jalousie que j'entends? dit Joe en retirant son t-shirt.
- De quoi je serais jaloux ? Du fait que même avec un petit-ami, tu n'arrives pas à baiser?
- Qui te dit qu'on ne l'a pas déjà fait?"
Les oreilles d'Eddie se mirent tout de suite à siffler. Il refusait de croire que ce soit vrai. Il n'y avait pas moyen. Joe de son côté avait tranquillement continué de se changer, inconscient du cataclysme qu'il venait de déclencher.
"- Vous n'avez rien fait, dit Eddie avec sa voix la plus assurée."
Du moins, il avait essayé de paraître sûr de lui quand en réalité il était loin de l'être.
"- On a pas 'rien' fait, fais moi confiance."
Joe avait un sourire coquin en coin et il se mordillait la lèvre inférieure. Il s'était définitivement passé quelque chose. Joe était sadique à l'obliger à lui tirer les vers du nez. Et Eddie pour sa part se montrait masochiste à poser des questions dont il ne voulait pas savoir les réponses.
"- Bah alors quoi? Raconte! le pressa-t-il.
- Pourquoi je devrais? Je croyais que ça te donnait la nausée, rappela Joe en croisant les bras sur son torse nu.
- Putain, t'es vraiment l'être le plus chiant qui soit. Vous avez baisé ou pas?
- Pas vraiment, finit-il par concéder. On est pas passé à l'acte en lui-même mais on a fait tout le reste. Je suis littéralement en train de découvrir les mille et une façons d'atteindre l'orgasme sans pénétration, c'est un truc de dingue."
Toute la satisfaction de Joe transparaissait dans sa voix. Et c'est sûrement ce qui fit le plus enrager Eddie. La seule raison pour laquelle c'était le brun qui profitait des talents sexuels de Kit et pas lui était qu'il les avait poussé dans les bras l'un de l'autre. C'était son œuvre. Mais ça n'empêchait pas le fait qu'il soit contrarié par la situation. Parce qu'il n'y a rien de plus frustrant que de perdre à un jeu dont on a soi-même fixé les règles.
Eddie serra tellement fort la mâchoire qu'il brisa le stylo entre ses dents. Il sentit le goût désagréable de l'encre sur sa langue. C'était toujours mieux que l'arrière-goût amer que lui laissait ce nouveau bout d'information sur la relation de Kit et Joe. Docteur Martin allait l'excuser mais il fallait absolument qu'il frappe dans quelque chose sinon il y avait de fortes chances que son poing se retrouve sur le visage de Joe, histoire de lui faire passer l'envie de sourire comme un demeuré. La jalousie était décidément un trait qui ne lui allait pas du tout.
Comme s'il n'était pas assez à bout, Eddie continua sa quête d'informations.
"- Ne me dis pas que c'est lui qui t'apprend des trucs, reprit-il d'un ton indigné.
- Tu serais étonné de ce qu'il peut faire avec ses mains et sa bouche.
- Pourtant il a l'air tellement...
- Innocent? finit Joe. Oui je sais. En fait, ça rend le tout encore plus excitant. Bordel je suis dur rien qu'à y penser, ajouta-t-il en pressant sa main sur son membre."
Okay, là c'en était trop. Il fallait qu'il sorte de cette chambre avant de commettre un meurtre. Eddie quitta le lit et jeta le stylo dans la corbeille. En passant à côté de Joe, il bouscula exprès son épaule, faisant perdre l'équilibre au brun qui finit presque par terre.
Eddie releva la capuche de son sweat sur sa tête et trotta jusqu'à la salle de sport. Après s'être changé dans les vestiaires, il se dirigea vers un sac de boxe. Il devait faire profil bas parce que Jim l'avait à l'œil depuis qu'il avait mis un coup de poing à Marc il y a quelques semaines. Ils pouvaient rester tranquille, ses coups seraient dirigés uniquement sur le sac, faute de ne pas pouvoir atterrir sur la personne qui selon lui le méritait vraiment.
Se défouler lui fit du bien. Alors oui, son psy aurait préféré mille fois qu'il trouve une option qui n'incluait pas de frapper dans quoique ce soit mais il ne pouvait pas vraiment changer du jour au lendemain. Pour l'instant c'était le mieux qu'il puisse faire. Eddie s'assit sur une chaise, une serviette sur le cou histoire de se rafraîchir un peu et reprendre son souffle quand son téléphone sonna. En prenant l'appareil, il vit que c'était un message de Tony.
Viens au bar. ASAP
Eddie ne s'attendait pas à avoir de ses nouvelles avant la semaine prochaine, quand il devrait aller livrer la drogue. Mais après tout, il y avait toujours des petites taches à effectuer au bar et ça avait été son boulot jusque là. Il s'était imaginé que passer aux livraisons signifiait laisser le reste. Apparemment non.
Eddie prit rapidement une douche, se changea et prit la route pour Morano's, le bar où Tony et sa bande avait leur QG.
Arrivé sur place, il salua brièvement Paul et se rendit directement au sous-sol. Il trouva Tony en train de donner des ordres ça et là tout en parlant à son oreillette et en prenant des notes sur la fiche qu'il avait en main. On aurait dit qu'il était à la tête d'une entreprise et dans un sens c'était plus ou moins le cas. Il fit une pause en apercevant Eddie.
"- Ah, te voilà. J'espère que tu es prêt.
- Prêt? demanda Eddie, confus. Qu'est-ce que tu veux dire 'prêt'? Prêt pour quoi?
- Pour la livraison, quoi d'autre? répliqua Tony, ne comprenant pas la surprise de l'adolescent.
- Tu te fiches de moi? s'emporta l'autre. Tu m'as dit que c'était prévu la semaine prochaine.
- Ça a changé entre temps gamin. C'est le business, c'est comme ça. Il arrive que les programmes changent. Mais tu n'as pas besoin de t'occuper de ça. Je contrôle parfaitement la situation."
C'était tant mieux pour lui parce que, Eddie de son côté se sentait complètement submergé par la tournure que venaient de prendre les événements. Il pensait qu'il aurait plus de temps pour se préparer mentalement. Au contraire il se retrouvait avec un énorme sac dans les bras contenant plus de drogue qu'il n'en avait jamais vu auparavant. C'était beaucoup de responsabilités sur ses épaules. Mais Tony savait ce qu'il faisait. Il savait qu'Eddie ne se permettrait jamais de faire foirer une opération d'une telle importance. Déjà parce que le gamin était loyal et ensuite parce qu'il avait été aux premières loges quand Tony s'était occupé d'autres qui ne s'étaient pas montrés à la hauteur. Finir comme eux était la dernière chose dont Eddie avait envie. Donc si jamais sa loyauté venait à lui faire défaut, la peur de perdre un bras, une jambe, un œil ou pire le ferait définitivement se tenir à carreaux.
Tony claqua des doigts et lui fit signe de le suivre. Dans la petite salle qui lui servait de bureau, il étala des photos sur la table. Une personne en particulier apparaissait sur chacune d'elle, soit seul soit accompagné.
"- C'est lui que tu vas rencontrer, dit Tony en pointant l'homme du doigt sur une des photos. Il s'appelle Corbin et il va nous rendre riche.
- Tu dis ça de toutes les personnes qui payent plus de dix mille pour la came.
- Dix mille? Oublie ces junkies à deux sous. Ce type est prêt à payer un demi million.
- Un dem...quoi?!"
Tony arborait un énorme sourire. Pendant des années il avait cherché ce genre de contacts pour sa marchandise. C'était une aubaine d'être tombé sur Corbin. Et si les choses allaient dans le bon sens avec lui, peut-être qu'il pourrait enfin se payer un bureau digne de ce nom.
"- Tu m'as bien entendu. Il est plein aux as Ed. Et il a des tas d'amis prêts à payer pareil.
- Est-ce que tu as seulement assez de drogue pour une commande pareille?
- Je t'ai dit mille fois, je gère. Okay? Mais ce coup ci est vraiment important. Tout doit se dérouler au millimètre près.
- Pourquoi tu n'y vas pas toi-même? demanda Eddie, sceptique. Si cette transaction est si importante, tu ne devrais pas être présent ?"
Tony hésita avant de répondre. Mais en y réfléchissant à deux fois, informer Eddie de ce détail le pousserait à faire plus attention, donc à être plus efficace.
"- Le mot court qu'il a la gâchette facile.
- C'est une blague?
- Il a descendu ses deux derniers fournisseurs. Sans raison apparente.
- Tu es en train de m'envoyer me faire flinguer? C'est ça que tu dis?
- Eh eh du calme okay? Relax. C'est pas le moment de paniquer. Si tu fais tout comme il faut il n'y a pas de raison que ça aille mal."
Eddie n'était pas du même avis. Ce Corbin avait tout l'air d'être une de ces personnes qui se croient tout permis parce qu'elles ont des chiffres à plusieurs zéros sur leur compte en banque. Si jamais il décidait que la tronche du jeune garçon ne lui plaisait pas, qui l'empêcherait d'en finir avec lui? Pas Tony, ça c'était certain. Non, ce bon vieux Tony lui serait à l'abri ici, préférant faire courir tous les risque à un adolescent même pas encore majeur.
Tony s'avança vers Eddie et prit son visage entre ses mains. Ils rapprocha leurs têtes et posa son front contre le sien.
"- J'ai confiance en toi Ed. Si c'est toi qui y vas c'est parce que je te fais confiance. Tu crois que je laisserais qui que ce soit d'autre aller récupérer autant d'argent? Je sais que tout va bien se passer, okay?"
C'est avec reluctance qu'Eddie hocha la tête et avant même de s'en rendre compte, il était sur le siège passager d'un SUV avec Marcus au volant et le coffre rempli de substances illicites.
Quand Marcus démarra le véhicule, Eddie avala difficilement sa salive. Il n'y aurait pas de retour en arrière possible.