« Un p'tit coin de paradis »
Lé
Paisible. C'est le seul mot qui me vient à l'esprit lorsque je pose mes yeux sur le paysage environnant. J'avais sortie une des grandes toiles qui étaient resté enfermée dans ma valise depuis le début et je m'étais naturellement mise à l'écart pour peindre.
Dix, vingt, trente mais finalement c'est au bout d'une quarantaine de minute que l'inspiration me vient. C'est en observant Graziella allongée sur sa nappe blanche à petits pois bleu ciel, avec sa robe courte fleurie de couleur jaune pâle, que l'inspiration m'est montée en flèche. Je ne vais pas vous mentir en vous disant que cette vision ne m'a rien fait, je l'a trouve toujours aussi sublime, magnifique et rayonnante. C'est la plus belle femme humainement et physiquement que j'ai pu rencontrer dans ma vie.
Je m'en veux d'être comme ça, de ne pas réussir à faire de relations sérieuses. D'avoir une peur terrible de l'engagement, de souffrir enfin de l'amour surtout. Chaque fois que je la vois sourire, parler ou même rigoler mon coeur se ressert, et je me rends compte de ce que j'ai perdu.
Mes doigts s'articulent habilement sur le papier blanc et rapidement la surface se retrouve pleine. Je la peins elle, ses courbes, ses cheveux bruns, ses traits sculpturaux et fins. Puis je peins le paysage, les fleurs et leurs couleurs estivales, les arbres et l'herbe à perte de vue.
Ma salopette en blue jean qui est tenue que par une seule bretelle, et mon top blanc en dessous, permettent au vent chaud de cette petite campagne de Palerme de glisser sur chaque parcelle de mon corps. Je ferme les yeux rapidement et lorsque je les réouvre mon objet de contemplation n'est plus étendue sur la nappe qui est à présent vide.
- « Tu peins ? » J'entends dire près de moi.
Je me tourne et fais face à Grazie un sourire assez timide aux lèvres, elle s'assied à mes côtés. Et c'est à mon tour d'être intimidée, la honte si elle voit ma toile non ?
- « Euh...oui quelque chose comme ça. »
- « Je peux voir ? » Me demande t-elle.
Je n'arrive rien à refuser à sa bouille adorable et tourne légèrement la toile vers elle. Ses yeux s'ouvrent en grand et elle met sa main devant sa bouche.
- « Mais c'est moi ?! »
- « Un peu. » Je laisse échapper un rire nerveux. « En fait, à la base je voulais peindre le paysage, mais comme tu étais devant je me suis dit pourquoi pas rajouter une petite touche d-
- « C'est magnifique Léna. » Me coupe t-elle. « Je savais qu'Ale peignait parce que Séré nous assomme tous les jours avec ses dessins. Mais toi je ne le savais pas. »
- « C'est mon petit secret... » Dis-je doucement.
- « Tu es très talentueuse Lé et je le pense sincèrement. Tu devrais penser à une école de dessins ou d'art. »
- « Avec des parents comme les miens ? Oublie. Val et moi ne pouvons qu'être médecins et rien d'autre. Aucune autre voie n'est envisageable. »
- « Je suis tellement désolée pour toi. »
- « Tu sais la médecine c'est pas si mal que ça...Puis du moment que je suis avec Val ça va. J'aurais juste pas pu supporter cette charge toute seule. »
Elle me sourit plutôt compatissante, enfin sûrement compatissante parce que Grazie est comme cela. Empathqiue avec un grand E et adorable avec un grand A.
- « Tu sais Grazie, à chaque fois je pense à comment ça s'est terminé entre nous...Enfin plutôt comment j'ai terminé tout ça...et j-
- « Ne t'en fais pas, Séré m'a parlé de ce que vous vous étiez dit l'autre soir. Et c'est vrai que sur le coup ma réaction n'a pas été la meilleure non plus. Je n'ai pas cherché à te comprendre et à pousser un peu plus loin sur ton choix. C'est juste que moi je conçois les choses de façon très protocolaire tu le sais, et j'étais vite montée en besogne pour nous deux. »
J'esquisse un sourire qui trahit une grimace.
- « Mais je ne veux pas que tu te sentes mal par rapport à ça. Tu as été honnête et j'apprécie sincèrement. Vous partez bientôt et je veux juste profiter de toi, de vous et de ce qu'on peut avoir encore un petit bout de temps. »
Je sens des larmes picoter mes yeux, je suis éblouie par l'âme si belle que j'ai face à moi. Graziella fait vraiment référence à son prénom, cette fille est une grace tombée du ciel et ce juste pour moi. Et dans tout mon monde noir et ma vision baudelairesque, Grazie apporte de la joie et de l'amour à mon petit coeur. Et merde ! Finalement je pleure, mais elle efface immédiatement de son pouce la larme qui a roulé sur ma joue.
- « Encore un p'tit bout de paradis avec toi... » Lui ai-je soufflé en français.
Elle fronce ses sourcils mais pose quand même sa tête sur mon épaule.
- « Je suis désolée Grazie, désolée de ne pas être là personne qu'il te faut. D'avoir trop peur de m'engager, de me lancer, de faire confiance, de rompre avec mes chaînes du passé. »
- « Hey Lé ça prendra le temps que ça prendra. Et même si ce n'est pas avec moi, j'espère de tout mon coeur que tu t'ouvriras avec une autre personne qui le mérite. Parce que tu es une personne formidable. »
Je lui offre mon plus beau et sincère sourire et je la sers dans mes bras, du plus fort que je peux. Je veux la sentir contre moi, sentir son parfum, ses cheveux picoter mes narines et surtout sa chaleur envelopper et réconforter mon être.
- « Je t'-
- « Non ne le dis pas, ne le dis pas Léna. Ça te fera plus de mal que tu ne le crois. »
Je me pince les lèvres et nous restons dans cette position encore longtemps. Profitant seulement du paysage, du ciel bleu, et de ce que l'instant présent a à nous offrir.
Jules
Aujourd'hui les cousines nous ont emmenés dans la campagne palermitaine, chez elle. Leurs grands parents ont un domaine assez humble et modeste où ils font de la vigne. Ils ont aussi une ferme et pas mal d'animaux.
Pendant que Lé, Grazie, Ale et Séré sont partis plus loin vers le champ et la clairière. Ma petite brunette a insisté pour m'emmener près des animaux. Celui qui a survécu à tout ca c'est Valentin qui s'est fait accaparé par là grand mère des cousines et qui fait de la vieille pâtisserie avec mamie Giorgietta qu'on peut appeler Gorgie ou Gigi.
- « Alors la je te présente Gabbianella et Gatto. »
- « C'est quoi ces noms pourris sérieux ? » Me moquais-je.
- « Hey ! C'est Grazie et moi qui les avons appelés comme ça. Parce que notre vieux dessin animé préféré, et surtout le seul qui passait sur la vieille chaîne de papi et mamie s'appelait la mouette et le chat. »
Je lui lance toujours un regard incompris.
- « Donc en italien ça donne Gabbianella e Gatto en italien idiot ! »
Je pince son bras et elle hurle tél la grande simulatrice qu'elle est.
- « Pourquoi tu me blesses toujours Julio ? » Dit-elle les yeux presque larmoyants.
Une vague de culpabilité grimpe en moi. J'entoure mes bras autour de son cou.
- « Excuse moi Giu je te jure que je ne voulais pas te faire mal. »
D'un coup elle explose de rire.
- « Si tu voyais ta tête ! »
- « Ah c'est comme ça ? On joue avec le coeur des autres maintenant ? »
- « Oh te vexe pas mon gros bébé. Gabbianella Gatto on va faire de gros bisous à notre Julio d'amour ! »
Elle s'écarte de moi et porte les deux bébés chèvres puis les tends vers mon visage pour qu'elles le lèche. Je recule de dégoût et elle rit, elle embrasse sur la bouche ses deux chèvres et je me retiens de vomir. J'ai jamais compris le délire d'embrasser un animal sur la bouche, qu'elle qu'il soit, ça me dégoûte.
- « Plus jamais de ta vie tu me touches toi ! »
- « Hé t'es sérieux. »
- « Dégage avec ta mouette et ton je sais plus quoi. »
Elle rit de plus belle et remet les chèvres dans leurs clairières ou leur maison, enfin je ne sais pas.
- « Arrête elles sont trop mignonnes. »
- « Elles seraient mieux dans mon ventre. » Dis-je en souriant.
- « Stronzo ! Je vais te faire devenir végétarien moi. »
- « Hé les plantes et les légumes tous les jours je suis pas dans ça moi. Je sais que tu es une grande végétarienne, mais moi les animaux je les préfère dans mon ventre que sur mes cuisses. Sorry but not sorry. »
- « Espèce de brute ! Tu pourrais au moins limiter ta consommation de viande. »
- « Pour toi, je veux bien manger de la viande un jour sur deux. »
- « Deux fois par semaine amore. » Dit-elle en s'agrippant à mon bras avec sa moue de sorcière.
- « T'es folle ! Quatre fois par semaine minimum et c'est non négociable. »
- « Ok mais le reste du temps tu essaies de consommer bio, et les fruits par saison, et les commandes à l'autre bout de la terre tu oublies. »
- « Mon Dieu sauve moi de cette folle s'il te plaît, je vais mourir. » Dis-je en français.
- « Oui, oui baguette. » Elle me répond en pouffant de rire.
- « Parce que tu te crois drôle là. »
- « Je suis trop marrante, c'est juste toi le vieux grognon. »
Je ne dis rien mais accentue la main que j'ai autour de sa taille fine. Mon air sérieux revient quand je me rappelle de ce que je dois lui parler. Je me racle la gorge et on s'assied chacun sur un des quatre transats près de la ferme/maison.
- « J'ai vraiment pas envie d'avoir cette discussion mais il faut qu'on l'ai Juliette. »
Elle hoche de la tête faiblement sachant sûrement à quoi je fais allusion. Je passe une main dans mes cheveux et me mord frénétiquement la lèvre. Je lui avait déjà envoyé nos billets de retour afin qu'elle voit la date, mais apparemment elle était déjà au courant. Alors c'était le moment où on devait en parler, concrètement.
- « Il nous reste plus que neuf jours. »
C'est à mon tour d'hocher de la tete.
- « D'ailleurs comment tu l'a su ? »
- « Lé l'a dit à Grazie, et Grazie me l'a dit juste avant que tu me le dises. »
- « Et toi tu l'a dit à Séré je parie. »
- « Non et avec Grazie on est d'accord. Vaut mieux que ce soit Ale qui lui dise, on préfère la laisser dans sa bulle par-
- « Par peur de la lui éclater... »
Elle hoche de la tête et se lève, elle s'assied finalement sur mes cuisses et pose doucement sa tête sur mon torse. Je passe mes bras autour de sa taille et caresse son dos.
- « Et tu n'a pas peur d'éclater la notre ? » Lui demandais-je.
- « Non, enfin si. Mais c'est pas pareil. Fin, je veux dire, je préfère être réaliste, et je sais que tu l'es aussi. »
- « Alors dans neuf jours c'est la fin ? »
Elle enfouie à présent sa tête dans mon cou et frotte lentement son nez dans mon creux, ce qui me fait frissonner légèrement.
- « Dis pas ça s'il te plaît Jules... »
Je crois bien que c'est la première fois qu'elle dit mon prénom. Petit à petit je sens mon cou se mouiller.
- « Giu... »
J'essaie de l'éloigner de mon cou pour voir son visage, mais elle m'entoure de toutes ses forces. Je me résigne alors et caresse maintenant ses cheveux lâchés.
- « Giulietta ne pleure pas s'il te plaît. Ça me rend fou. »
Elle ne répond pas mais ses pleurs s'accentue et elle sanglote à présent. Je me mords les lèvres du plus fort possible pour ne pas rejoindre son état. Je fais le con et le clown h24 mais j'ai un coeur d'artichaut et aussi fragile que le sien. Quand les autres et moi vous disions qu'on était pareils ce n'était pas un euphémisme.
On est pareil.
On ressent les même émotions en même temps, on complète et termine nos phrases, on pense toujours aux même chose en même temps, on aime les même choses, on déteste les même choses.
On s'exprime pareil, on délire pareil, on a un rire de cochons et on mange n'importe comment. On dessine aussi mal, on chante mal, puis on n'est ni des lumières ni doué à l'école.
Mais on est extraverti, drôle, on amuse la galerie, on est pas trop sérieux, on est gamins, entier, honnête et très loyaux. On aime notre famille plus que tout, nos amis plus que tout, surtout on ment mal, on arrive pas à faire semblant, on est super sensible et on adore le sport et les pizzas.
On se complète pas, parce qu'on est le même revers d'une pièce, le même revers d'une médaille. On est connectés, nos corps sont connectés, et merde nos coeur sont connectés aussi.
- « Tu p-pleures Jules ? » Me demande t-elle se retirant lentement de mon cou et voyant que j'ai arrêté toute caresse sur elle.
Je ne l'avais même pas remarqué, je pleure aussi comme un bébé. Je suis un putain de sensible et ça depuis petit. Je pleurais toujours pour un tout et pour un rien, avant c'était Alessandro, Valentin et mes grandes sœurs qui prenait toujours ma défense. Et je peux également l'assumer, qui me consolaient la plus part du temps.
De toute façon je ne peux pas faire semblant. Giulietta est dans mon sang et la quitter pour toujours me brise le coeur. Donc je pleure oui, et je suis un mec, et j'en ai ai surtout rien à foutre.
- « C'était les meilleures vacances de ma vie. » Me dit Giu en emprisonnant nos regards, elle prend mes joues entre ses mains et je colle nos fronts l'un à l'autre.
- « T'es mon p'tit coin de paradis tu sais. »
- « Ça veut dire quoi ? » Demande t-elle en reniflant grossièrement, mais même en faisant cela elle reste mignonne, parce que c'est ma p'tite Giu, la naturelle et authentique.
- « Que je t'aime. »
Et de là elle m'embrasse, ce fut le meilleur baiser de toute ma vie.
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Btw ça a été une des parties que j'ai le plus aimé écrire, c'est pour ça qu'elle est aussi longue. Mais je voulais vraiment détailler sur Lénaëlle et Jules parce que ce sont aussi mes bébé <3
Et que surtout surtout je les trouve tellement beau et attachant tous les quatre ils méritaient cette partie 🤧