Marinette
Je me sens mal à l'aise et angoissée d'être dans cette énorme chambre qui fait la taille de notre appartement avec Adrien. Les deux filles qui m'ont kidnappé ne se gênent pas pour me fixer sans détourner le regard. Comme si j'allais m'envoler d'une minute à l'autre et complètement disparaître de leur portée.
Je me racle la gorge et déglutis en détournant le regard de l'œillade verte perçante de la rousse. Mon cœur est pincé, il me fait mal tout à coup, mais je garde ma douleur pour moi.
Si elles avaient l'intention de me tuer, il y a longtemps qu'elles seraient déjà passées à l'acte.
Mais partagée entre la peur et la douleur à cause du coup que j'ai reçue à la tempe, je préfère rester calme et juste silencieuse. Adrien m'avait prévenu du danger et mis en garde des gens qui s'étaient présents. Puis surtout, il ne voulait pas que je m'éloigne de lui. Quand il a revendiqué haut et fort devant la vieille femme que nous n'étions pas ensemble j'ai jeté ses mises en gardes au feu. J'ai tout envoyé balader parce que j'avais été blessée et que je m'étais sentis humiliée. L'orgueil a pris le dessus et ne l'aurait jamais dû. Avant de partir, tout ce qu'il voulait éviter est arrivé. C'est de ma faute.
Bon sang...
Je soupire, le souffle chaud. La corde enroulée fermement autour de mes poignets dans mon dos me lacère la peau quand j'essaye de m'en défaire. Elle se frotte et m'écorche la peau creusant dans ma peau de plus en plus.
On m'a assise sur un lit et j'ai finis par me traîner au bord, les chevilles aussi sont enlacées.
Je suis bloquée.
Toutes les fenêtres ont été fermée et de grands et épais rideaux rouges sont tirés bloquant tout accès à l'extérieur. Je ne peux pas savoir s'il fait jour ou nuit dehors, ni me repérer dans l'heure qu'il peut être. Toute manière d'avoir recourt au temps est bloquée, que dis-je interdite.
— Qu'est-ce que vous allez me faire ? Pourquoi vous me gardez enfermée ici ?
Aucune réponse. Elles se contentent de me regarder et l'une souffle. L'autre me fixe, encore et toujours.
Soudain, la porte s'ouvre. Les lumières sont déjà toutes allumées et on m'a laissé la vue. Je vois alors un homme, grand qui... oh mon Dieu. Mes yeux s'écarquillent quand il referme la porte derrière lui avec un livre dans les mains. Il se retourne et me regarde en avançant.
La surprise me bloque la respiration et le choc qui se mélange à mon sang intensifie l'immobilisme de mon corps. Je perds le contrôle de mon cerveau. J'arrive pas à y croire mes yeux, pourtant il est bien réel, bien vivant devant moi. Il s'arrête devant moi et se met à sourire visiblement fier de l'entrée qu'il vient de faire. Sauf que c'est tout sauf de la joie que je ressens de le revoir après tout ce temps.
Mon cœur bat soit tellement vite soit tellement pas que je ne réussis plus à le sentir dans ma poitrine. L'un comme l'autre, je ne parviens plus à avoir complètement conscience de ce qu'il est en train de se passer.
— Ça faisait longtemps, Marinette.
Sa voix grave me fait frissonner jusqu'aux os. Petit à petit malgré que je garde les yeux grands ouverts, mon esprit plonge dans un souvenir datant de plusieurs années dont j'avais moi-même oublié l'existence.
Cette époque respire la jeunesse, la naïveté, le bonheur mais surtout le mensonge. Cette paix n'était qu'une illusion qui n'a pas duré longtemps.
— Attends-moi, Luka ! Criai-je tandis qu'il se retournait sans s'arrêter. Un beau sourire illuminait son doux visage.
— Plus vite Marinette, on va louper le bus sinon !
Il arrivait à la station bien avant moi. Mais je finis par le rejoindre et m'asseyait aussitôt sur les bords en pierre du jardin juste à côté. Luka s'approcha en souriant et me dit :
— Il arrive dans deux minutes.
— Donc on était pas en retard ! Gémis-je contrariée en relevant la tête. Les sourcils foncés, je le fixais mais il ne sembla pas dérangé ni intimidé par ma colère. Bien au contraire.
Il ébouriffa doucement mes cheveux en souriant.
— Calme, Mari. Avec toi faut être plus qu'en avance, tu le sais bien. Répondit-il d'une voix si calme et si douce, dénuée de cailloux désagréable à entendre.
Nous nous échangions un regard, mais je détournais la tête en rougissant sans garder une mine renfrognée. Il gagnait encore, comme d'habitude et cette fois je ne supportais le goût si tendre et agréable de ma défaite. Luka avait ce goût de toujours me faire apprécier ma défaite et je la détestais.
A cause de ça, je perdais tout le temps.
— Plus tard, que veux-tu faire comme travail ? Demanda Luka.
Je me relevais car le bus arrivait au même instant, nous montions et allions nous asseoir tout au fond. L'endroit où il y avait le plus de place était le meilleur. Nous le préférions et étions toujours certains de nous y installer quand il y avait encore de la place. Mais cette fois, le bus était presque vide. Pour cause, nous étions en pleine après midi et tout le monde était à l'école. Le bus ne servait presque qu'à emmener tous les enfants du quartier dans la grande école la plus proche. La notre, notamment.
— Styliste ! Répondis-je sur le champ. Et toi ?
Il fit semblant de réfléchir en regardant ailleurs, les doigts pinçant son menton et ses lèvres tirées d'un côté.
Nous étions proches autrefois, bien sûr cette époque n'existe plus que dans le passé et ne ressemble plus du tout au présent. Avec le temps, nous nous sommes perdus de vues, pour être honnête je n'ai jamais repris contact avec lui. Notre amitié s'est fanée avec la distance.
— Tu travailles pour eux ?
Il sourit et se redresse. Il lève les bras en disant :
— Comme tu peux le voir, j'ai réalisé mon rêve. Cet endroit m'appartient et je ne travaille pour personne d'autre que pour mon propre compte !
Je fronce les sourcils.
— Mais alors pourquoi suis-je ici ?
Il laisse ses bras retombés le long de son corps. Le temps a eu beau s'écouler, le bleu de ses yeux n'a pas changé, il s'est embelli avec le temps et est devenus un bel homme. Il était déjà beau mais maintenant que je le revois après quelques années, sa beauté n'a même plus l'air réel tant elle a atteint un très haut niveau. Ses cheveux noirs sont encore plus ténébreux et contraste merveilleusement avec son teint halé.
— J'étais inquiet pour toi.
Il avoue en enfonçant son regard dans le mien.
— Pourquoi m'as-tu enlevé ?
— Je ne savais pas comment t'approcher autrement. Tu es tout le temps avec... ce mec.
Il a du mal à parler quand il s'agit d'Adrien. Je perçois dans sa voix le dégoût qu'il tente de ravaler par respect pour moi. Je l'en suis reconnaissante.
— M'enlever t'as semblé être une meilleure option pour parvenir à tes fins ?
— Ne le prend pas aussi mal. Comment aurais-tu réagis si j'étais venus te parler après tout ce temps ?
— Ça aurait été clairement plus appréciable. Je peux te le promettre.
Il hausse les épaules d'un air nonchalant en détournant le regard. Je me racle la gorge. J'aimerais qu'il me détache, cette situation est inconfortable. Surtout dans cette position.
— Maintenant que tu es là, tu pourrais me détacher?
— Oui, bien sûr. Excuse-moi.
Il pose son livre sur le lit à côté de moi et se penche pour défaire la corde dans mon dos. Aussi proche de moi un parfum muscé me frappe le visage et le nez. Je l'hume et suis étonnement surprise d'apprécier son odeur. Elle m'est familière et me rappelle une tonne de bons souvenirs malgré tout. Son souffle dans mon cou me fait frissonner, quand je ferme les yeux une image de son visage d'enfant jaillit dans mon esprit.
Il sourit.
Et Luka cette fois, ne sourit plus avant.
Le Luka que je connaissais n'est plus le même et dans sa façon d'être, je le vois et j'en suis triste. Terriblement prête à regretter cette partie de lui, une âme pure et serviable que j'ai moi-même été dans un morceau désormais bridé du passé. On ne peut pas dire que la vie ne nous est pas tous marqué et écorché. Aussi étrange que ce puisse l'être, je rouvre les yeux au moment ou il s'est recule mais nos visages n'ont pas autant de distance. Mes mains sont désormais enfin libres. La douleur disparaît ou du moins s'apaise.
— Merci.
Je bafouille en souriant faiblement, les yeux plongés dans les siens. Un ange passe mais ses ailes sont calcinés. Je baisse la tête et il se racle la gorge en reculant brusquement. Tandis qu'il s'empresse de défaire mes chevilles, j'observe mes poignets marqués par la corde et rouge sang.
Une fois mes chevilles libérées, mon regard recroise le sien et cette fois la moitié d'une seconde le monde n'existe plus. Luka semble aussi troublé que je le suis et quand il avance sa main, je crains qu'il ne me caresse la joue mais il range simplement derrière mon oreille une mèche qui m'obscurcissait la vue.
Boum.
Boum.
Qu'est-ce qu'il m'arrive ?
Mes joues deviennent brûlantes. Il se relève et s'assoit à côté de moi après avoir demander à la blonde et à la rousse de sortir. J'apprends leur prénom alors qu'elles referment la porte derrière elles.
— Écoute, j'ai énormément de choses à te dire. Et notamment au sujet de ton... petit ami.
Ce mot lui écorche la bouche, il se retient de le cracher en me regardant dans les yeux. Mais Adrien a toujours été honnête avec moi alors quand Luka m'apprend qu'il a l'intention de me dire des choses à son sujet, je ne me sens inquiétée qu'à cause du ton qu'il prend et demande aussitôt :
— Qu'est-ce qu'il se passe, Luka ?
— Il t'a mentis. Ce mec n'a jamais été honnête avec toi.
— De quoi parles-tu ?
Je réponds complètement perdue. Et il prend mes mains pour y poser le livre avec lequel il est venu.
— Lis ce livre.
J'examine la couverture et le retourne mais il n'y a aucune description. La couverture est en peau et il ne ressemble a aucun autre livre que j'ai pu rencontré jusqu'ici. Il n'a même pas de titre. En relevant la tête vers lui, je le regarde perplexe.
— Le père d'Adrien est vivant, Marinette.
Luka ne me quitte pas des yeux et je le connais suffisamment bien pour comprendre qu'il ne me ment pas. Mais une multitude de question se bouscule dans ma tête suite à cet aveux.
— Tu connais l'histoire ?
— Bien sûr puisque je suis le fils de la sœur de son grand-père.
— Attends quoi ? Tu es le cousin d'Adrien ? Ce qui veut dire que vous faites partie de la même famille ! Mais comment est-ce possible ? Comment l'as-tu découvert et depuis combien de temps tu le sais ?
Luka sourit en posant délicatement sa paume sur la mienne.
— Calme, Mari. Je vais tout expliquer, arrête de paniquer.
Calme, Mari.
Il disait ça aussi avant. Peut-être que tout n'a pas changé, finalement. Mais au final, qu'est ce que j'en sais ? Tous les deux nous ne nous sommes plus parlés depuis tellement longtemps. Je ne peux pas oublier que notre amitié s'est effritée et brisée avec l'usure.
J'ai trop tiré sur la corde.
Je le regarde dans les yeux sans me calmer. Mais puisqu'il paraît si sûr de lui, je cède en soupirant. Luka est mon ami depuis des années, je décide de lui faire confiance pour cette fois. De toute façon, honnêtement, je n'ai pas d'autre option. Je ne vais pas lui faire la guerre alors qu'il semble avancer autant de preuves compromettantes.
Toutefois, cela reste impossible qu'Adrien est pu me mentir. Je refuse de le croire. Adrien n'est pas au courant pour son père, c'est la seule explication que je trouve pour expliquer qu'il ne m'est rien dit au sujet de ce livre. Voilà, la vérité est qu'Adrien ne connaît pas l'existence de ce livre. Il n'est même pas au courant, et c'est pourquoi il ne m'en a jamais parlé.
Pourquoi aurait-il accepté de mettre ma vie en danger s'il le savait ?
Luka se lève du lit, je fais pareil.
— Allons discuter de ça autour d'un thé, qu'est ce que tu en dis ?
Je fais un petit signe de la tête et il se retourne. Je sors de la chambre la tête emplie encore plus de questions qu'à mon arrivée. J'espère juste que Luka aura de bonnes explications.
***
— Il faut que tu fasses attention à toi, il y a des animaux dangereux dans la nature, soit prudente Marinette. Prévient Luka alors que je m'apprête bientôt à lui tourner le dos pour retrouver Adrien.
Mon cœur explose en miette dans ma poitrine à l'image de l'homme que j'aime dans ma tête. Il y a eu tant de révélations ces dernières heures que je doute d'avoir suffisamment de forces pour ne rien laisser paraître. Quand je serais devant Adrien tout sera différent. Luka sera loin mais ses mots seront dans ma tête. Ils me hanteront jusqu'à avoir ma peau. Je le sais.
Son regard s'enfonce dans le mien tentant d'être rassurant. Malheureusement le ton bienveillant de sa voix n'obtient aucun effet escompté.
— Ne reprend plus jamais contact avec moi et reste loin de nous, je ne veux plus jamais te revoir. D'ailleurs, tu peux garder ton livre.
Je tends le bras mais il secoue la tête.
— Garde-le.
— Je n'en veux pas.
— Il te sera utile, tu verras.
— La seule chose qu'il a été capable de faire c'est m'embrouiller le cerveau. Alors, reprend-le, maintenant. Réponds-je sèchement pour ne pas m'effondrer en larme juste devant lui.
Mes menacent ne le frôlent même pas. Mon ton sanglant quant à lui s'écrase sur mes lèvres avec un juron.
— Si tu veux vraiment t'en débarrasser, tu devras le brûler. Conclut-il calmement en croisant les bras et il cale son épaule dans l'encadrer de la porte d'entrée.
Nous nous défions du regard. Un long instant j'hésite à m'exécuter et à brûler ce livre. Mais une étrange partie de moi qui revient de loin me l'interdis. J'ai eu beau avoir envie de me jeter d'un pont à cause de chacune des lignes que j'ai pu lire, il m'apporte des réponses. Certes douloureuses mais c'est bien moi qui ne voulait plus de mensonges, non ? On dirait que le ciel m'a entendu et m'a exaucé en m'en servant tout un plateau.
Si je ne me faisais pas violence à l'intérieur de moi, je crois que je croupirais en enfer.
— Pourquoi tu fais ça ? Tu es jaloux d'Adrien, c'est ça ?
Il sourit en lâchant un rictus. Visiblement ce que je lui dis le fait rire. Mais pour être honnête, ce n'est aucunement mon cas.
— Pas du tout. Je suis juste amoureux de toi depuis la première fois que je t'ai vue et je suis incapable de ne pas vouloir te protéger.
Il cesse de sourire et se redresse me faisant sourciller.
Debout et droit, il fait un pas en avant. Je recule d'un pas et il recommence. Au bout d'un moment, j'arrive au début des escaliers et ne peut plus bouger. Il me bloque en se plaçant devant moi, tandis que mon regard se met à tressaillir le sien n'a jamais été aussi sombre et sûr de lui. L'assurance sincère de ses deux saphirs troublent violemment dans une vague d'émotion toute ma poitrine. Mon cœur rebondit mais il ne bat désormais plus pour moi.
Quelque chose d'étrange se mélange au mystère et l'atmosphère devient plus dense. Un peu comme si un courant électrique passait désormais entre nous. Nous aimantant l'un à l'autre, d'une certaine façon qui tout à coup, me parut complètement dingue et déplacée.
Il lève sa main et replace délicatement une mèche de mes cheveux derrière mon oreille, je resserre fortement le livre contre ma poitrine. Les bras cadenassés autour, il est ma bouée, celle qui me retient de plonger dans le néant complet. Luka me met une pression dont il n'imagine même pas l'existence. Et au fond, je sais qu'il sait que je ressens ces sentiments qui fourmillent dans mon ventre.
Tout comme lui peut les ressentir.
Il me tourmente et il adore ça.
Le démon sort sa patte en velours mais les caresses qu'il m'inflige sont chacune d'elles de terribles claques en pleine figure qui m'entraînent petit à petit vers l'amnésie.
Les souvenirs de notre enfance jaillissent brutalement et m'immolent la mémoire, ils s'emmêlent à un présent brûlant paré à nous éclater au visage.
Soudain, d'une traînée de poussière ils se superposent, nos anciens visages se posent sur les nouveaux et m'embrouille -ô oui tellement- le cerveau.
Nous partageons de beaux souvenirs ensembles, certains peuvent me déchirer la poitrine comme le ma réchauffer jusqu'à la forcer à fondre. Survivre au passé est un voyage durant lequel Luka a perdu des plumes, je le sais quand je le regarde. Son sourire est écorché et nourrit par un savoir que seul l'expérience est capable de résoudre.
Merde.
— C'est impossible pour moi... De ne pas savoir si tu vas bien, de ne pas pouvoir te consoler quand tu es triste, de devoir toujours me tenir loin de toi parce que tu en as choisis un autre. Souffle-t-il d'une voix suave.
Ses doigts effleurent ma peau. Je frémis et ferme légèrement les yeux sans les clore totalement. Le sentiment de ses mots me tord l'estomac, un noeud noue ma gorge et je suis dépourvue de voix. La haine est dépassé par la mélancolie.
Seul lui parvient à faire traverser des sentiments pareils. Puissants, ardents, dangereux, chers.
Irremplaçables.
Cette mélancolie qui me descend tellement bas que je découvre des beautés sombres me suppliant de ne jamais les quitter provoque ce confort dut à sa présence, à son parfum désormais entier dans mes poumons et dans ma tête.
Une image qui ne part pas, ni dans les cauchemars ni dans les rêves.
Quand Luka est si proche et qu'il parvient à recommencer à me hanter, je panique toujours. Et cette fois-ci n'écope pas d'une exception.
Brutalement, j'ouvre les yeux et dans un geste précipité j'emmêle mes jambes l'une avec l'autre et bascule en arrière.
— AHHH !! Crié-je les yeux écarquillés en sentant le vide intersidéral dans mon dos.
La mort ?
Est-ce toi ?
Es-tu enfin revenus ?
🕒 Quelques heures plus tôt... 🕓
— Assis-toi, je t'en prie.
Luka me propose chaleureusement une chaise qu'il tire vers lui pour que je m'installe et sans être un peu sur la défensive en serrant le livre qu'il m'a donné contre moi, je prends timidement place sur le fauteuil rouge, digne de l'époque des rois. Il pousse la chaise et me ramène près de la table puis s'installe en face de moi sur un fauteuil similaire.
Un service à thé est déjà posé sur la table. Nous sommes dans un grand salon et je peux voir derrière lui une grande fenêtre si haute qu'elle en est démentielle. Un grand jardin est percevable derrière les grandes vitres parfaitement nettoyées et translucides.
— Quel parfum préfères-tu ? Il y a tout ce qu'il faut, dis-moi juste ce qui te ferais plaisir et...
— Depuis quand es-tu au courant que je suis en France ?
Je l'interromps en le regardant. Il lève les yeux de la thérière qu'il tient désormais dans ses mains. Sans répondre à ma question, il porte son regard sur sa tasse et se serre un peu de thé, il m'en sert aussi puis la repose au milieu de la table sans commentaire.
— Je veux rentrer chez moi, je n'ai rien à faire ici avec toi. Adrien va s'inquiéter et je ne veux pas qu'il fasse des choses qu'il pourrait regretter. Tu m'as enlevé, c'est interdit par la loi les kidnapping tu t'en rends compte !
Quand il se racle la gorge, il montre qu'il ne s'est pas transformé en statue, que l'angoisse n'a pas eu raison de lui, il me rappelle qu'il est vivant à sa différence mes phalanges sont blanches et serrent fermement le livre contre ma poitrine. Lorsque sa respiration se saccade et s'écourte, mes muscles se détendent et l'absence soudaine de crispassions n'a jamais été aussi bonne.
Mes phalanges étaient devenues blanches tant les doigts serraient le livre contre ma poitrine, craintives, exacerbées par la peur.
Le soulagement du relâchement ne porte pas de nom, une boule se creuse et s'étend néanmoins à l'infinie au fond de mon ventre et s'enfonce durement dedans, je dois mordre l'intérieur de ma joue afin de ne pas grimacer.
— Ça. Indique-t-il d'un geste de la tête et des yeux, le livre dans mes bras. Il est la raison de ta présence ici. Tu rentreras bientôt chez lui, n'est pas d'inquiétude.
Il précise bien chez lui sans ajouté mot. Le ton dur et légèrement excédé de sa voix montre qu'il est irrité. Mais j'ignore pourquoi ni la raison. J'imagine que c'est à cause de ce que j'ai dit et qu'il a été vexé. Je veux juste pas lui mentir et surtout qu'il n'oublie pas les circonstances qui me tiennent ici, aujourd'hui.
Le silence s'installe, j'ai l'impression que les murs tous blancs de cette gigantesque pièce dépourvue du moindre meuble à part les deux chaises et la table que nous occupons se rapprochent. Ce qui provoque une totale incompréhension car je ne suis pas claustrophobe. D'habitude, je ne ressens jamais cela. Cet oppressement. Cette suffocation qui me pressent les poumons comme un citron.
J'étouffe, mais pas pour les bonnes raisons, la honte et la culpabilité mélangent à mon sang une peur viscérale qui n'était pas du tout attendue et dont mon corps n'a pas prévue d'armes pour se défendre. Alors, je suis engloutis et ma descente aux enfers s'accentue quand je lève les yeux de la théière et croise le bleu de l'océan. Le sien, plongeant littéralement immédiatement dedans.
Sombres, les vastes ténèbres appellent plus à l'exécution qu'à la clémence, tantôt autrefois, tout ce qui fait profile bas au règle mérite pitié, le reste : au bûché !
Ces yeux sont des ennemis que je n'avais plus croisé depuis longtemps et l'espace d'une seconde je me souviens avoir oublier comment m'en défendre.
Catastrophe.
— Nous allons procédé très simplement, je pose les questions et tu réponds, compris ?
— Très bien. Tes souhaits sont des ordres. Abdique-t-il en déclinant un hochement de tête qui me remue l'estomac à cause de son désintérêt pur et dur pour cette histoire qui me tient tant à cœur et pour laquelle, je me suis pris un gros coup à la tempe qui m'a remué le cerveau comme on peut rarement le faire.
Ensuite, j'ai été trainé ici, dans cette endroit qui fait le triple de mon appartement avec Adrien et qui m'effraie quand les murs semblent se rapprocher pour m'étouffer et me forcer à dire la vérité.
Si Luka pense me faire peur...
— Alors, tu commences ? Il m'interrompt dans mes pensées d'un ton supérieur.
— Ne commence pas !
— Qu'est ce que j'ai fait ? Je te pose simplement une question.
Je sourcils sans rétorquer pour éviter que notre discussion ne termine sa route dans une foire de cris, de hurlement et qu'on enflamme davantage le danger qui à mon sens est déjà suffisamment important. Peut-être notre face à face brutal et imprévus suscite chez moi un malaise dur à calmer. Je l'ignore, pour le moment tout ce qui compte ce sont les questions qui circulent dans mon esprit et rampent dans mon dos et sur le volet de mes souvenirs. Tout se mélange tandis que je pose la première question :
— Est-ce que tu connais le père d'Adrien ?
— Non.
Clair et net, je n'ai pas à me plaindre de la réponse qu'il me donne, cela se voit qu'il ne porte aucun intérêt à cette question ce qui est vraiment étrange. En avalant difficilement ma salive à cause de l'angoisse, une boule se forme dans ma gorge et m'empêche un instant de continuer. Je poursuis une fois la douleur passée.
— Si tu n'a jamais rencontré son père, comment as-tu eu ce livre ?
Luka ne semble pas paniqué par ma question, il répond en haussant les épaules.
— Il me l'a donné.
Quelques instants, je dois reprendre possession de ma perception de la réalité qui par sa faute a été victime d'un énorme court-circuit.
Il se moque de moi ou il le fait exprès ?
Il y a tant de questions qui se bousculent brutalement dans mon esprit. C'est soudain un gigantesque capharnaüm qui me renverse l'estomac et compresse mes intestins. Je suis prise aux tripes, la boule au ventre, partout.
— Donc, tu m'as mentis quand tu disais ne pas le connaître. Autrement, comment aurait-il pu te donner ce livre ?!
Il me regarde calmement, puis d'un geste nonchalant il prend sa tasse et il boit une gorgée ou deux. De toute façon, j'ai remarqué que lorsqu'il s'agissait de sujet important ou grave, Luka agit systématiquement avec un désintérêt désinvolte.
Il est fou.
Ou c'est moi qui suis perdue.
Cela me dépasse complètement, je préfère ne pas y réfléchir au risque de partir en vrille sous tant d'incompréhension.
Faut avouer aussi, que je meurs d'envie de lui sauter à la gorge pour l'étouffer et le secouer dans tous les sens. Je ne cède pas à la tentation seulement pour obtenir plus d'information et ne pas servir à rien, une fois de plus.
Sans lui, mes recherches replongent dans le néant. Cela ne peut pas arriver, pas si je veux aider Adrien à atteindre son objectif.
Si jamais je causais sa perte et me révélait être un poids pour sa mission, je ne me le pardonnerais jamais.
Tient, Adrien...
En parlant de lui, qu'est-ce qu'il peut me manquer. J'aimerais pouvoir à nouveau le serrer dans mes bras, comme avant. J'ignore s'il pense à moi ou s'il me cherche mais une voix ancrée au plus profond de moi-même espère de tout son cœur que ça soit le cas. Peut-être que suis-je immensément égoïste et prétentieuse d'espérer cela après ce que je lui ai fait.
Partir brusquement et m'isoler parce qu'il m'avait blessé sans penser aux conséquences était immature de ma part et loin d'être très pro.
C'est scandaleux, soupire ma conscience trop méchamment.
Je soupire intérieurement, d'accord avec elle malgré moi.
— Tu te trompes, il déposa ce livre un soir devant ma porte sans qu'il est eu la moindre rencontre.
— N'essaye pas de me mentir, je ne suis pas une enfant que tu peux berné comme tu le penses. Tu ne pourrais pas savoir que c'est lui si tu ne... Je renchéris furieuse en tentant de garder mon venin pour moi, mais quelques gouttes dépassent la commissure de mes lèvres.
Plus fort que moi, les mensonges sont détestables.
D'un regard, Luka indique un emplacement dans mon dos dirigé vers le plafond. D'un élan intrigué et pressé, je me tourne à moitié et découvre une belle caméra blanche dernier cri encastrée dans le mur et pointée sur nous.
Est-ce qu'elle est allumée ? J'en ai l'impression bien qu'elle ne bouge pas.
Peut-elle enregistrer le son ?
Désolée, ma question est bête. Quand je m'en aperçois, il est trop tard.
— Ces petits bijoux sont mes yeux et mes oreilles, il y en a dans tout mon domaine et même à l'extérieur. C'est mon achat le plus rentable jusqu'à présent, je suis un grand fan. Qu'en penses-tu ?
Je me retourne, et sans voix je bredouille :
— Ça... Cela explique beaucoup de chose. Mais pas tout non plus. (Je commence à reprendre confiance en moi et relève la tête en le regardant droit dans les yeux). Cela n'explique pas comment tu as pu savoir que c'était lui.
— La ressemblance est frappante, tu sais. La démarche aussi, ils se prennent pas pour de la merde.
Il laisse échapper un rictus, mais je ris pas avec lui car il n'y a rien de drôle. Luka pense que je suis de son côté, il a tord. Je resterai fidèle à Adrien même si le monde s'effondrait. Il n'a aucune idée, mais jamais je n'irai le trahir.
La loyauté et la confiance sont deux principes primordiales dans une relation. Elles sont les règles qu'il faut respecter et chérir. Si, par malheur elles viennent à se briser, la rupture est assurée. Souvent, on ne résiste sous le poids de la difficulté.
Plus personne ne se bat maintenant.
A quoi bon ?
Je me surprends à m'enfoncer lentement dans ma chaise. La boule dans mon ventre s'agrandît bizarrement. Le calme de Luka semble nourrir ma galère et mon angoisse. Cela est surprenant.
Nous nous défions du regard, la lumière du grand lustre au-dessus de nos têtes reflètent dans les siens. Approfondissant la noirceur de son regard me faisant avaler ma salive à cause de la panique.
Luka n'est pas en colère. Mais Luka n'est pas non plus ouvert à rire.
Quelle plaisanterie.
Perso, je ne sais pas trop où je me situe. Peut-être sur la limite entre l'euphorie et la peur.
— Gabriel.
— Pardon ? Réponds-je en sourcillant.
— Il s'appelle Gabriel.
— Le père d'Adrien ?
Il hoche la tête.
Pour la première fois, tremblante comme une feuille et toujours bien enfoncée dans mon siège, j'attrape ma tasse et boit quelques gorgées. Le thé a refroidis, mais je m'en réjouis ou je me serai brûler la langue. Mes pensées sont tellement confuses que mes réactions n'ont aucune réflexion.
Dangereux.
Attention.
— Je suppose que tu te demandes comment il a survécu, n'est-ce pas ? Mais en réalité Adrien ne t'a jamais raconté la vraie version des faits. (Il hausse les épaules en ayant le debout d'un sourire au coin des lèvres) Né menteur et tu mourras comme tel.
Je fronce les sourcils durement, la colère me fait serrer les poings et enfoncer mes ongles dans la chair.
Le sang coule, il prend lui aussi une sorte de liberté.
Mais chaque goutte coûte excessivement.
Une véritable fortune.
Cette liberté qu'il prend pour insulter l'homme que j'aime, m'accable sans me permettre de le supporter et je me force dans un élan de rage à remballer mes envies de meurtres.
Il est vraiment méchant.
Il a changé.
Beaucoup changé.
Heureusement, la douleur indolore de ma paume à sang apaise le brasier. Faisant diminuer...
— Dis-moi, tu sembles tout savoir sur la vie des autres. Lancé-je piquante en croisant les bras après avoir posée ma tasse.
Il sourit, narquois.
— C'est marqué noir sur blanc à l'intérieur du livre sur tes jambes, je n'invente rien. Tu peux le voir par toi-même...
— Je ne le lirai pas. Révélé-je froidement.
— C'est une erreur. Il rétorque les sourcils haussés en penchant deux secondes la tête. Le père d'Adrien explique noir sur blanc que sa femme la jeté de l'avion et qu'il a été piégé. Tu penses tout connaître sur Adrien et sa mère, mais les apparences sont trompeuses et elles le seront toujours quoique tu fasses et quoique tu dises. Au fond de toi, tu sais que je ne mens pas. Tu es facilement bernée, ta gentillesse à toujours été ton plus gros défauts.
Et bam.
Un point pour lui et zéro pour moi. Avec un peu de chance, j'esquive le KO total. Ces paroles provoquent un craquement dans ma poitrine qui résonne en échos deux longues secondes. La détresse plonge dans la peur. Il y a tellement de confessions douloureuses, tellement de larmes qui mériteraient de couler.
Blocage.
Ça ne passe pas, non, non, non.
— Tu... tu dis n'importe quoi. Adrien n'était pas au courant c'est sa mère qui lui a tout raconté. Elle s'est battue pour lui, et elle aimait son mari, jamais elle ne l'aurait tué ! Tu... tu essayes de m'en bobiner, tu veux que je déteste Adrien car la simple idée que je puisse l'aimer t'est insupportable. M'exclamé-je plus fortement en manquant de me lever et partir.
Pourquoi, je reste ?
Il prend ce qui me torture le cœur à la rigolade. Je suis en colère et aussi tellement triste. Si ça ne compte pas pour lui, comment fait-il pour ne pas voir à quel point ça m'atteint ?
Parfois, il peut arriver que ce qui nous fait le plus souffrir soit insensible pour d'autre. Le visage sans expression est l'image capable d'assassiner puis d'enfoncer mon âme dans la terre, très loin de la surface.
Dans ma tête, je vais jusqu'à rire de moi et de ma crédulité. J'aurais dû me douter que c'était du vent, qu'elle n'était qu'une grosse blague et rien de plus. Mais l'espoir a eu raison sur tout. J'ai été trompé par amour, naïvement.
Ce serait trop dur, pour moi, d'avoir à encaisser une nouvelle trahison. Je préfère le déni.
— Adrien est venus à Paris pour quoi à ton avis ? Si tu t'en rappelles, il est quand même partis très vite. Et lors de son séjour sans toi ne t'a-t-il pas dit qu'il avait fait des recherches ? Penses-tu sincèrement, en connaissant Adrien comme tu le connais, qu'il n'a pas appris la vérité entre temps ? Voyons, Marinette.
Il fait une moue. Je retiens ma respiration tant le ton de sa voix me poignarde le cœur. Il retourne le couteau dans la plaie et son regard accusateur emprunt de la pitié la plus détestable me retourne l'estomac.
Une brusque envie de vomir m'agrippe par les tripes.
Chut, silence.
Ne pleure pas.
Pas un bruit, Marinette.
Des doutes s'immiscent trop loin dans mes songes. Et finissent par m'échapper.
Adrien ne peut pas...
Impossible.
Je m'obstine. Je secoue la tête violemment en baissant le visage. Les yeux remplis de larmes je fixe la couverture en peau du journal.
Sale livre de malheur.
Est ce que Luka... peut dire vrai, finalement ?
Non, je ne peux pas le croire.
Mais parfois, il faut détruire pour construire. Et prendre un nouveau départ implique des sacrifices. Seulement... à ce point ? Adrien n'aurait jamais commis une telle chose. Il ne souhaiterait jamais la mort de quelqu'un si la vérité était elle.
La mort, c'est un voyage duquel on ne revient pas. Elle n'est pas une blague, ou une mauvaise farce. La vie n'est pas un jeu, elle ne l'a jamais été, et je refuse que quiconque puisse en rire.
Perde quelqu'un nous condamne à nous retrouver seul, sans personne, impuissant et vulnérable. Et Adrien connaît cette tristesse, il a participé à ce sentiment de chaos.
Par conséquent... il ne peut pas.
Je ne veux pas.
Je ne veux pas.
Je ne le croirais jamais.