Il y a quelque chose de particulier, dans ce vaisseau. Une journée à déambuler à l'intérieur, faute de pouvoir faire mieux — comme assister à ces réunions qui lui sont interdites, ou apprendre ce qu'il se passe réellement ici car il se trouve que les langues sont nettement moins déliées que celle d'Anderson, qu'elle a rencontré en cuisines —, lui a appris qu'il y a des couloirs où l'atmosphère lui paraît d'une lourdeur intenable, sans raison apparente. Elle n'a pas pu y rester plus d'une dizaine de minutes, prise d'une nausée incontrôlable alors que rien ne semblait avoir changé : pas d'odeurs particulières, rien de visuellement alarmant non plus. Mais, elle avait dû se rendre à l'évidence, son estomac avait protesté et elle n'aurait pas pu l'ignorer.
Lexi se triture les doigts, assise en tailleur sur le sol froid de la chambre qui lui a été attribuée, prise entre l'envie d'en savoir plus et celle de rester enfermée ici. L'idée de mettre le doigt sur quelque chose qui risque de ne pas lui plaire l'effraie autant qu'elle fait monter en elle, doucement, de manière presque insidieuse, une forme d'excitation.
Elle tente de fermer les yeux pour se concentrer sur un calme intérieur qui ne vient pas. Puis elle détaille les murs vides, au gris anthracite lui rappelant par son aspect morne et uniforme qu'elle est dans un véhicule de la Garde, et compte le nombre de lignes verticales formant un dessin régulier devant elle. Lexi en vient même à espérer recevoir la visite de son frère ou celle de Zeck. Elle n'ose s'aventurer à soupirer sur celle de Coma, certaine qu'il ne laissera pas tomber son masque de capitaine avant un bon moment, désormais qu'il a réinvesti pleinement ses fonctions. Elle s'est d'ailleurs contentée de l'observer de loin, tandis que défilaient les heures. Et lui, de son côté, n'a pas pris un instant pour relever les yeux de sa tablette.
Malgré tout, son exploration solitaire lui a apporté quelques informations. Elle a appris que les journées étaient plutôt calmes, mais que les nuits devenaient de plus en plus angoissantes, depuis ces trois derniers jours. Le Sergent Walberg, devenu Officier en charge du vaisseau à la place d'une autre personne a-t-elle cru comprendre, a ordonné un confinement total de vingt heures à sept heures du matin. Personne n'est autorisé à l'extérieur des chambres, et pour s'en assurer (par mesure de sécurité, dit-on) toutes les portes sont verrouillées pendant ce laps de temps. Raison pour laquelle elle a été encouragée à rejoindre sa cabine, même s'il lui reste encore une bonne heure avant le verrouillage des portes. Bien entendu, ces informations n'ont pas arrangé ce sentiment de confusion qui grimpe et s'installe à mesure que le temps passe. Lexi n'est pas non plus certaine d'avoir envie de passer une nuit, seule et enfermée dans un endroit inconnu, pour une véritable nuit d'horreur selon ce qu'on lui a décrit, mais dont elle ignore tout.
Elle a également appris que la Base A n'est pas le nom du vaisseau dans lequel ils se trouvent. Ce dernier répond à l'immatriculation « T.U.F. Explorer Aquila ». Dans son peu de culture géo-politique, elle ignore ce que cet acronyme veut dire, mais elle s'est évidemment gardée d'interroger l'équipage ; elle a prévu de le demander à Z, une fois qu'elle se retrouverait seule.
Le moment est parfaitement choisi, ça lui changera les idées. Et Z ne tarde pas à lui répondre, polie et utile, comme à son habitude.
« Terrestrian United Federation, Cadet Walberg.
— Toi aussi, tu oublies le matricule, maintenant ?
— Notre capitaine est très persuasif. Il m'est tout simplement impossible de ne pas accéder à ses demandes.
— Tu m'en diras tant, rétorque Lexi en souriant, entourant ses genoux de ses bras et laissant aller l'arrière de sa tête contre le mur. Tu peux m'en dire plus sur cette fédération ?
— Avec plaisir. La fédération a été créée en l'an P-Terra 206, juste après la colonisation de la dernière Étoile Noire, par un groupe d'individus, tous à la tête de différents vaisseaux-nations. Ils ont associés leurs ressources et leurs connaissances pour assurer à l'espèce humaine un futur resplendissant, persuadés qu'ils épargneraient ainsi à cette dernière de revivre les années d'horreur et l'exil encore frais dans les mémoires des descendants des terriens.
— Tu viens de me rappeler pourquoi je déteste l'Histoire.
— Et pourtant, c'est une part importante de votre héritage qu'il ne faudrait jamais oublier, Cadet... »
Est-ce qu'une intelligence artificielle est en train de lui faire la morale ? Lexi lève les yeux au ciel.
« Tu peux me dire ce qu'il se passe le soir, ici ? Pourquoi le confinement ? »
Elle n'avait pas prévu de mettre les pieds dans le plat, mais il faut croire que la curiosité est un vilain défaut et qu'elle n'est elle-même pas prête à le voir s'atténuer. Si personne ne veut la renseigner, elle ne perd rien à essayer.
« Je suis navrée, vous n'avez pas les autorisations requises pour accéder à ces données confidentielles.
— Le contraire m'aurait étonnée.
— Pour votre sécurité, il me faut insister sur l'importance de respecter les consignes, cette fois-ci, Cadet.
— Pourquoi j'ai l'impression que cette phrase ne vient pas de toi, Z ? ronchonne Lexi après une seconde de battement.
— Probablement parce qu'elle ne vient pas de moi. »
Lexi hésite entre pouffer de rire et soupirer. Le son qui s'échappe est donc un savant mélange des deux, avant qu'elle n'enchaîne :
« Et il ne pourrait pas venir me le dire en face ?
— Sans vouloir être désobligeante, le capitaine a d'autres sujets à traiter, bien plus urgents et importants.
— C'était désobligeant, siffle la jeune femme.
— Mes excuses, Cadet Walberg. La vérité n'est pas toujours la plus agréable à entendre. »
Lexi se lève en pestant, comme si elle pouvait s'éloigner de la présence de l'intelligence artificielle, alors même qu'elle est partout et nulle part à la fois. Le seul avantage de Z, c'est qu'elle se manifeste rarement d'elle-même. Si elle n'est pas sollicitée, elle se fait oublier. Malgré l'exactitude de ses paroles, Lexi doit avouer que le fait de le lui rappeler n'est pas plaisant. Être placée brusquement face à ses pensées, puériles (que cela soit dit une bonne fois pour toutes), au regard de la situation autrement plus complexe à laquelle tous doivent faire face, ici... c'est humiliant. Heureusement que Z n'est pas dotée de la faculté de jugement et que Lexi ne risque donc pas de baisser dans son estime. Enfin, pas à sa connaissance, en tout cas. Estime-t-elle seulement les membres de la Garde ? Probablement pas. Mais Z semble souvent avoir sa propre personnalité, à tel point qu'il est devenu difficile de la considérer comme une simple entité programmée pour servir. Il suffit de voir comme Coma s'adresse à elle. Comme si elle existait vraiment, à part entière. À bien y réfléchir, tous ceux que Lexi a vus interagir avec Z se comportent de la même manière. Et, sans y faire plus attention, elle a suivi la tendance, elle aussi. Cette pensée lui arrache un sourire.
Les couloirs sont parfaitement silencieux, quand elle y passe d'abord la tête, puis qu'elle s'y engouffre franchement. Baignés dans une lumière rosée, entre quelques rayons oranges, ils reflètent les bribes d'un soleil couchant comme elle ne l'a jamais vu auparavant. Cela lui donnerait presque envie de se précipiter à l'extérieur pour observer l'astre sur le déclin, mais elle se contente de se mettre sur la pointe des pieds et de tenter de voir au travers des hautes fenêtres, sans grand succès malheureusement.
Elle ne s'éloigne pas trop de sa chambre, toutefois. L'insistance de chacun sur ces mesures de sécurité la met mal à l'aise et, pour une fois, tempère un peu sa curiosité. Et puis, il lui a suffit de faire quelques mètres dans le couloir pour qu'un nœud se forme dans son estomac. Un sentiment étrange l'envahit et elle rebrousse chemin.
La solitude ne lui a jamais posé problème. Depuis le départ d'Hayden, elle a vécu seule sur de longues périodes, avec pour compagnie principale une IA elle-même peu présente, en dehors des repas et des quelques tâches ménagères que Lexi ne programmait même pas régulièrement. Mais, ce soir, elle ne saurait l'expliquer autrement : l'idée d'être seule la dérange beaucoup.
Peut-être sort-elle de sa chambre dans l'espoir d'apercevoir un visage familier. Peut-être simplement pour se réconforter et faire reculer le malaise qui l'éprend. Ou pour avoir une explication qui lui permettrait de passer la nuit sans échafauder un millier de plans et de théories. Un millier de scenarii catastrophes dans lesquels elle n'imagine que trop bien à quel point la carlingue peut se déformer encore, de parts et d'autres, jusqu'à laisser passer des hordes de créatures gigantesques et meurtrières. Un frisson traverse son corps, Lexi ressert les bras sur son torse, malgré une température corporelle parfaitement maintenue par sa combinaison qu'elle ne retirera pas de sitôt. Les nuits sont froides, sur Norvendor.
C'est dans un lourd silence que les minutes défilent. À croire que plus personne ne traverse les couloirs de l'Aquila. Plus personne n'est ailleurs que dans sa cabine, après avoir récupéré son plateau repas au réfectoire, sans même avoir pris le temps de le manger sur place. Et, s'ils ont l'estomac aussi noué que Lexi, ils l'ont probablement laissé traîné sur leur lit en attendant que la faim les taraude. Comme elle.
Un chuintement attire enfin son attention et Lexi se retourne, entre espoir et menace d'une déception. C'est cette dernière qui vient la cueillir. Elle scrute tout de même les environs, obstinément vides pourtant, comme si sa ténacité pouvait lui réserver des surprises. Comme s'il suffisait de vouloir la présence de quelqu'un pour être exaucée. Et, quand la voix rocailleuse du capitaine se fait entendre dans le vaisseau, son cœur manque un battement.
« Verrouillage des portes dans cinq minutes. Vous êtes priés de rejoindre vos cabines. Et ne vous inquiétez pas : ce soir, nous avons la situation bien en mains. Je suis navré de ne pas être arrivé plus tôt. On fera bientôt décoller l'Aquila, je vous le promets. »
Lexi déglutit et n'attend pas pour s'exécuter. Entre l'avertissement dispensé par l'intermédiaire de Z, les paroles de l'équipage, le malaise ambiant et ce message, Lexi n'a aucune envie d'éprouver la véracité de ces messages. Encore moins de découvrir à quel point ce qui se cache derrière pourrait se révéler dangereux.
Elle dépose son plateau froid au sol, au pied de son lit. La pièce est trop petite pour être pourvue du moindre mobilier, elle n'a donc pas le choix. Et manger n'est pas une option, pour elle, en ce moment précis, à moins qu'elle souhaite redécorer son intérieur. En s'emballant dans son sac de couchage, posé à même le matelas, Lexi se demande d'ailleurs comment ils sont supposés aller aux toilettes s'ils ont un besoin pressant pendant la nuit. Mais elle est probablement la seule à se poser ce genre de questions.
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NDA :
Hello, hello !
Petit chapitre de la semaine posté, j'espère que vous êtes prêt(e)s pour la suite, si vous sentez quelque chose se profiler... je dis pas que vous avez raison, mais, aaaah, vous pourriez bien avoir du pif, quand même. Toute la question est : quoi ? :D
Je ne vous ferai pas attendre longtemps avant de vous donner la réponse, pas d'inquiétudes.
Oh, j'en profite pour vous signaler que j'ai changé ma description de profil, pour les curieux. J'ai également changé le nom de mon compte Instagram pour l'orienter plus du côté « auteur », si ça peut vous intéresser, vous me retrouverez sous le pseudo : « ania.jay.auteure ».
À très vites, mes petites étoiles !