Nina n'était pas du genre à rester en contact avec ses anciens petits amis. Elle n'était cependant pas non plus le genre de personne qui détestait ses ex. Sauf un.
C'était une belle journée de mai. Il faisait beau, c'était enfin le weekend, et Nina pouvait profiter d'une balade dans la forêt avec sa meilleure amie et son nouveau petit ami. Ils n'avaient que quelques kilomètres à faire pour arriver à l'endroit tant convoité. Une petite étendue près d'un lac, cachée par de nombreux arbres.
A cet endroit précis, bien indiqué par de nombreuses pancartes, se trouvait une tourelle, seul vestige d'une époque médiévale tant inspirante. Elle était délabrée, mais une partie tenait encore debout. De l'extérieur, on pouvait entrevoir une bonne partie de l'intérieur du rez-de-chaussée, où de nombreuses personnes semblaient vouloir échapper au soleil, ainsi qu'une petite parcelle de l'unique étage à travers des brèches dans la pierre.
Tout autour de la tourelle se trouvaient des artisans de tout horizon et de tout domaine. Certains stands, plus gros que les autres, proposaient divers alcools à la vente, notamment des alcools typiques de la période médiévale. Il y avait également plusieurs échoppes de nourriture ainsi que des artistes présentant des sculptures, des peintures, et de nombreux objets sombres et proche de l'ésotérisme.
La jeune femme passa un bon moment à admirer les bijoux et les pierres, une en particulier qui la fascinait. Alors qu'elle l'a pris dans la main pour admirer ses couleurs à travers les rayons du soleil, son cœur loupa un battement en pensant apercevoir une silhouette au loin. Un sentiment désagréable l'envahie. Elle fut prise d'une rage indomptable et d'une haine qu'elle n'avait pas ressentie depuis plusieurs mois. Elle reconnut instantanément sa grande silhouette maigrichonne, sa chemise à carreaux rouge de bûcheron, ses longs cheveux noir à la fois gras et secs.
Une demi-seconde lui suffit pour détourner le regard de dégout, afin d'annoncer à ses proches que son ex petit ami était ici. Sa meilleure amie qui le connaissant bien, le reconnu immédiatement et détourna également les yeux. Son petit ami, quant à lui, lui attrapa la main comme pour lui dire "tout ira bien."
Alors qu'ils avancèrent doucement le long des stands comme si de rien était, le grand brun s'avançait dans leur direction, main dans la main avec une petite brune. Il ne prêta aucun regard à Nina ou son amie qu'il connaissait, probablement empreint d'un profond déni.
Alors qu'ils s'éloignaient vers la tourelle, Nina ne pouvait s'empêcher de les regarder, vociférant un nombre incalculable d'insultes à son égard. Son petit ami, terriblement mal à l'aise, tentait en vain de la calmer. Il avait cependant une forte envie de courir jusqu'à ce gars pour lui casser la figure. Il n'en fit évidemment rien. Nina fut interrompue dans ses sombres pensées par un bruit sourd. Sa meilleure amie s'était pris le pied dans un trou. Elle s'était violemment tordu la cheville, la faisant tomber dans l'herbe. Le jeune couple l'aida à se relever, et la maintinrent en voyant qu'elle ne pouvait plus poser le pied. Ils n'étaient arrivés qu'une demi-heure plus tôt, mais il ne leur fallu pas plus de quelques secondes pour conclure qu'il était temps de s'en aller.
Ils s'éloignèrent des échoppes, et marchèrent à pas lent pendant environ cinq minutes, lorsque Nina se rendit compte qu'elle n'avait plus ses lunettes de soleil sur sa tête. Elle reparti seule en arrière, demandant à son petit ami de rester auprès de son amie blessée.
Elle tenta de se remémorer chaque pas, chaque direction, chaque stand qu'elle avait parcouru. Elle chercha pendant cinq bonnes minutes, allant jusqu'à se faufiler sous quelques tables, avec une certaine gêne. Elle sentait comme une présence qui la suivait. Lorsqu'elle se releva de sous la dernière échoppe, s'avouant vaincue, elle tomba nez à nez avec l'une des deux personnes qu'elle n'aurait jamais voulu croiser à nouveau.
Elle avait les cheveux noirs, au-delà du naturel. Elle n'était pas très grande, à peine quelques centimètres de plus que Nina. Sa robe de style gothique, noire, pleine de lacets, laissait apparaître quelques tatouages qu'elle ne prit pas le temps de déchiffrer. Ce qui retenait davantage son attention, c'était ses nombreux accessoires. Elle arborait un petit chapeau de sorcière très simple que Nina avait déjà vu sur de nombreux sites pas chers et de mauvaise qualité, ainsi que des colliers, des bagues et des bracelets, représentant divers signes ésotériques et des pierres naturelles. Grâce à ses nombreuses recherches en lithothérapie, en sorcellerie et diverses coutumes et tendances, Nina reconnu la plupart d'entre elles.
Sans un mot et sans une once d'expression faciale, la brune lui tendit une main pâle, dont les longs doigts fins tenaient sa fameuse paire de lunettes solaires. Nina fut partagée pendant plusieurs secondes entre son aversion incontrôlée envers cette fille, et sa politesse maladive. Elle réussit enfin à lâcher dans un souffle un léger "merci". Elle récupéra ses lunettes puis fit volteface, bien décidée à échapper à cette personne qui ne lui évoquait que de la haine.
Il ne lui fallut qu'une seconde pour qu'une voix nasillarde la rattrape.
_ Tu ne voudrais pas venir à notre soirée, ce soir ?
Nina s'arrêta net, déconcertée.
_ Pardon ? bégaya-t-elle en lui faisant de nouveau face.
_ On organise une soirée dans les bois, on serait ravie que tu viennes.
Nina était sous le choc et ne savait quoi répondre. Elle mourrait d'envie de dire non, mais elle en fut incapable. Quelque chose en elle-même lui interdisait de répondre non.
_ D'accord, dit-elle, hésitante.
_ Tu peux venir avec tes amis, sans problème, je t'enverrai les informations dans la journée !
Elle repartit en souriant et sautillant, disparaissant de son champ de vision, comme si elle n'avait été qu'une étrange illusion.
Nina reprit ses esprits puis repartit dans le sens inverse. Sa surprise fut partagée par son compagnon et son amie, qui jugeaient cette idée totalement saugrenue. Son amie refusa bien évidemment l'invitation, sa cheville étant toujours douloureuse. Après un long débat en voiture, son copain accepta de l'accompagner, ne pouvant rien lui refuser. Nina n'avait aucunement envie de voir son ex, mais n'ayant pu dire non à cette fille, elle ne pouvait se rétracter.
Elle reçut les instructions en début de soirée, comme prévu. Afin de montrer sa valeur à ceux qui ne l'appréciaient pas assez, elle choisit de porter sa plus belle robe, des chaussures à plateformes qui ne la dérangeraient pas dans l'herbe, et arborait un maquillage sombre qui la rendait d'autant plus belle. Ils prirent la route dans le silence, puis se garèrent sur un parking obscur et excentré, vide de toute vie. Ils suivirent les instructions de la fille, marchèrent en direction d'une ruelle à peine éclairée puis des bois.
Tout droit jusqu'au buisson en forme de pomme, puis à droite sur deux cents mètres, et enfin, à la statue d'une femme au bras brisé, encore à droite. Ils suivirent le bruit qui s'intensifiait à chaque pas, puis la lumière d'un feu leur éblouit les yeux.
Une dizaine de personnes étaient présentes autour du feu, discutaient en écoutant de la musique provenant d'une enceinte portable. Nina aperçut la brune, qui se leva d'un bond pour venir les saluer. Elle leur indiqua où s'installer, près de quatre personnes en pleine discussion. Le grand brun qu'elle ne connaissait que trop leva la tête vers elle, et lui adressa un simple signe de tête, qu'elle ne rendit pas.
La fille, dont Nina ne connaissait toujours pas le nom, engagea la conversation, orientée vers les différents tatouages qu'arborait Nina. Une heure passa, peut-être plus, lorsque son petit ami se rendit compte qu'il avait oublié son paquet de cigarettes de secours dans la voiture. Il lui proposa de l'accompagner, ne voulant pas la laisser seule avec des inconnus. Cependant, la brune, qui accaparait toujours Nina, retenu cette dernière par le bas de sa jupe pour qu'elle ne fuit pas la discussion. Nina n'eut pas le temps de se redresser qu'un homme se leva pour accompagner son ami jusqu'à leur voiture. « Tu peux rester, comme ça ! » dit la brune au large sourire.
Ils disparurent dans la pénombre, puis quelques minutes plus tard, un autre jeune homme se leva pour récupérer un instrument. Elle ne reconnut pas l'instrument, qu'elle assimila à une guitare. Quelque chose la dérangeait, tant cet instrument était inconnu à ses yeux. Elle avait l'impression qu'il provenait d'une autre époque, ou même d'une autre dimension. Sa couleur était sombre, bien plus sombre que l'obscurité de la nuit. Le bois semblait plus vieux que le premier arbre de la première forêt. Les symboles qui y étaient gravés semblaient provenir d'un autre univers.
L'homme s'installa près du feu, commençant à jouer de son instrument à corde et chantant dans une langue que Nina ne connaissait pas. Sa voix n'était pas spécialement belle, mais les tonalités touchèrent Nina en plein cœur. Plusieurs filles se levèrent également pour se mettre à danser au rythme de la musique. Plus la mélodie s'intensifiait, plus elles semblaient être en transe. Les autres hommes se mirent à chanter en cœur, tandis que la brune rejoignit les autres filles.
Les secondes parurent plus longues, étant presque devenues des heures. Nina se sentait bien, comme si son âme quittait son corps pour la laisser vivre cette émotion paisiblement.
Un rire tonitruant, assez aigue pour qu'il semble venir d'une femme, fit sortir Nina de cet état second. C'est à ce moment qu'elle se redressa, la panique montant en elle. Elle chercha son copain dans tous les sens, au plus loin que ses yeux, affaiblis par l'obscurité, ne pouvaient lui permettre. Une forme avançait vers elle, alors elle pria pour que cela soit celle de son ami. Mais ce n'était pas lui. Le garçon qui l'avait accompagné revint seul. Plus il avançait, plus son sourire était clair, plus les rires étaient nombreux et devenaient hurlements. Nina ferma les yeux, tentant de recouvrer son calme, de réprimer les cris de terreur grondant en elle. Un bruit sourd, suivit d'une forte douleur à la tête, la fit tomber dans le néant.
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Lorsque Nina rouvrit difficilement les yeux, elle crut que ce n'était qu'un rêve. Cependant, la douleur qu'elle ressentait à l'arrière de son crâne ainsi que les chaines qui la retenaient à un arbre réveillèrent sa détresse.
Ils étaient tous debout dos à elle, se tenant la main face aux flammes qui semblaient avoir largement augmentées. Ils prononçaient de longues phrases sans fin, dont les sonorités lui étaient toujours étrangères.
Les flammes semblaient croitre de secondes en secondes. Nina se mit alors à hurler, à implorer ses inconnus ainsi que son ex de la libérer. Des sanglots s'entendirent dans sa voix, mais les larmes ne coulèrent pas. Lorsqu'une gerbe de flammes s'intensifia dans les airs, lui faisant douter de sa provenance du ciel ou de la terre, elle compris enfin.
Ce n'était pas une fête comme les autres. C'était un sacrifice. Leur langue était certainement celle d'un dieu ou d'une déesse que ces gens vénéraient et aux vues de la taille irréelle des flammes, ils étaient entendus.
Nina trouva la force de desserrer assez ses chaînes pour pouvoir se lever entièrement. Elle se mit à supplier son ex, prononçant son nom qu'elle s'était jurer de ne jamais prononcer à nouveau. Mais il ne réagit pas. C'est alors que sa haine envers lui, la haine qu'elle n'avait jamais pu lui cracher au visage, pris le dessus sur sa détresse.
_ Tu n'es vraiment qu'un lâche ! hurla-t-elle.
Les incantations ne s'arrêtèrent pas, mais elle vit la tête de cet homme tanguer vers elle. Elle vit aux mouvements de sa mâchoire qu'il continuait de scander ses mots. Mais son intention était tournée vers elle, désormais. C'était sa chance.
_ Je t'ai tout donné, j'ai tout fait pour toi ! Tu étais au chômage depuis deux ans et je t'ai trouvé un travail ! Tu étais retourné vivre chez tes parents, je t'ai accueilli chez moi ! Tu étais en dépression et je t'ai sauvé !
Sa voix était rauque, emplie de haine. Mais son monologue ne s'arrêta pas là.
_ Qu'est-ce que j'y ai gagné, moi ? Un mec qui n'a rien fait pour moi, tu n'as jamais fait la vaisselle, la cuisine, ni le linge, ni le ménage, ni même les courses ! J'étais obligé de te courir après pour que tu paies ta part du loyer, je devais te supplier pour que tu paies de la nourriture, ou même pour que tu t'occupes de nos chats ! J'ai dû subir un mec qui ne faisait rien et pire, un mec qui ne savait rien faire ! Même pas foutu de prendre sa douche ou de se laver les dents ! J'ai failli m'évanouir lorsque j'ai dû ranger tes vêtements !
Son intention était ouvertement détachée de son incantation. Sa mâchoire était immobile, mais serrée. Mais il ne lui faisait toujours pas face.
_ Tu n'étais même pas capable de rompre avec moi, alors que nous nous détestions presque officiellement ! On ne s'adressait même plus la parole sauf pour s'engueuler, et toi, tu ne m'as quand même pas larguée juste parce que mon appartement était quasi gratuit et proche de ton boulot ! Quelle lâcheté ! Se satisfaire d'une vie de couple merdique juste par flemme de retourner chez papa et maman ou de se trouver un appartement à toi ! Flemme de devoir t'occuper de toi-même, de ta santé, de ton argent, de ton foyer ! Parce qu'il n'y a qu'une femme pour s'occuper de ce genre de choses n'est-ce pas ?
Elle y était presque, elle pouvait voir ses mains se resserrer sur celles des autres. Sa copine se tourna vers lui, probablement avec la volonté de le calmer pour qu'il ne lui broie pas la main.
_ Et parlons-en des femmes ! Toi qui n'es pas capable de donner du plaisir à une femme ! Toujours recevoir mais jamais donner, n'est-ce pas ?
Sa copine lâcha prise et se tourna vers Nina. Elle s'avança en furie vers elle, et sorti une dague de sa poche. Arrivée à quelques centimètres de Nina, elle lui décocha un coup dans la joue en vociférant "fermes-la !", puis fit demi-tour afin de terminer son rituel.
Nina se tut pendant un temps, accusant le coup puis elle reprit sa tirade.
_ Tu n'es qu'un lâche ! répéta-t-elle de toute la force dont sa voix était capable.
De haine, des larmes noires se mirent à couler le long de ses jouent, se mêlant au sang qui y perlait déjà.
Ce tableau la rendait davantage démoniaque que n'importe lequel de leur rituel.
_ Tu n'es qu'un lâche ! dit-elle à nouveau. Tu ne peux même pas me regarder dans les yeux et assumer que tu es la pire personne au monde ! J'ai fait une dépression à cause de toi, mon cerveau était aussi dévasté que l'appartement que tu m'as laissé ! Tu es radin, égoïste, égocentrique, misogyne, un incapable capable de rien, tu es stupide et profondément lâche !
S'en était trop. Il lâcha les mains de ses camarades, et s'approcha de cette fille qui l'avait humilié publiquement et lui décocha un coup en plein visage. Nina cracha du sang, puis se mit à rire. Un rire acre qui lui glaça son propre sang. Mais seules la rage et la haine la gouvernait à cet instant.
_ C'est tout ce dont tu es capable ? Tu es si lâche que plutôt que de m'affronter et me quitter, tu préfères faire appel à tes nouveaux copains pour faire don de moi à je ne sais quel monstre !
Les flammes s'intensifiaient davantage, devenant noire comme la mort. Elle se mirent à virevolter dans tous les sens. Nina baissa les yeux face à une bourrasque de flamme, et les rouvrit doucement pour faire à nouveau face à cet homme.
_ C'est moi, le monstre, dit-elle dans un souffle.
A ces mots, l'inquiétude s'installa sur le visage de son ex petit ami. Il s'éloigna d'un pas, apeuré par le regard sombre et glaçant de son ancienne compagne. Les flammes tournoyèrent dans les airs, puis tout autour du feu, telles des ombres démoniaques, et emportèrent tout sur leur passage. Il suivait des yeux les flammes qui partaient dans tous les sens, entourant ses amis les uns après les autres, puis lui. La dernière chose qu'il vit avant de s'effondrer fut le regard sombre de Nina, accompagné d'un sourire qu'il aurait qualifié de suffisant, si le temps lui avait permis de le qualifier.
Les flammes d'ombres enveloppèrent finalement Nina, qui s'effondra à son tour, poussant un hurlement funèbre.
Lorsqu'elle reprit connaissance, il faisait toujours sombre. La nuit était humide et froide. Le feu était éteint, tout était calme. Elle porta ses doigts frigorifiés à ses joues collantes puis regarda sa main qui était maintenant recouverte d'une substance noire et visqueuse. Elle essaya de se lever, mais elle ne tenu pas sur ses jambes moites. Elle regarda enfin autour d'elle, et l'effroi lui donna la force de se relever.
Tout le monde était mort. Toutes les personnes qui, quelques instants ou quelques heures plus tôt avait tenté de la tuer, de la servir en offrande, tous étaient allongés au sol. Tous étaient démembrées, les yeux exorbités, un liquide noir coulant de leurs orifices.
Mais Nina n'avait pas peur, elle n'était pas tétanisée. Elle était en colère.
_ Pourquoi ? hurla-t-elle.
Elle regardait autour d'elle, comme à la recherche de quelque chose ou de quelqu'un.
_ Pourquoi m'avoir sauvée ? Pourquoi moi ? Pourquoi eux ? dit-elle avec un air dégouté en les regardant.
Elle n'eut évidement aucune réponse. Elle continua a tourner et se retourner dans tous les sens, cherchant à travers la terre et le ciel, celui ou celle qui s'était servis d'elle pour réaliser ce désastre. Elle hurla de désespoir, puis disparu dans les profondeurs de la forêt.